Il faudra bien qu’un jour quelqu’un se décide à entreprendre une thèse sur la mort des grands musiciens classiques un sujet non dénué de trivialité mais qui prouve que ces gens-là savent mourir en faisant preuve d’originalité. En attendant, contentons-nous d’esquisser le sujet à la lueur des derniers CD économiques parus dont cette rubrique se propose désormais de faire l’inventaire.
Prenez Ernest Chausson, par exemple : ce musicien joignit à un patronyme désolant une fin non moins navrante (il périt d’une chute de bicyclette, en 1899) mais aussi, heureusement, un génie mélodique authentique. Son Poème de l’amour et de la mer, chef-d’ uvre de l’art vocal français fin de siècle, est entonné d’une voix vibrante par Dame Janet Baker, ainsi que d’autres pièces de Ravel ou Schumann qui résument l’art de cette mezzo anglaise, chez EMI Forte. Cette nouvelle collection permet aussi de retrouver l’alerte Petite messe solennelle de Rossini (compositeur mort à Passy à 73 ans, gavé d’or et de tournedos) par Ricardo Muti malheureusement dénaturée par une bande de chanteurs poitrinaires et surtout de découvrir les deux formidables Sérénades de Brahms dirigées par sir Adrian Boult, une musique et un chef qui feraient aimer Brahms aux plus réfractaires.
Tchaïkovski, dit-on, aurait été forcé d’ingurgiter de l’eau empoisonnée par un tribunal d’exception, pour avoir fauté avec un jeune aristocrate une thèse un peu rabat-joie prétend que l’intoxication aurait été naturelle. Philips Mercury a le bon (?) goût de rééditer son Ouverture 1812, musique épouvantable mais disque mythique de 1958, qui requit l’utilisation d’un canon en bronze de 1775 et divers carillons d’église. Pour La Victoire de Wellington de Beethoven, couplée sur le même disque, on alla chercher un véritable arsenal (fusils, canons, baïonnettes, pistolets à eau), le tout pour mettre en valeur la qualité des prises de son du label Mercury fondé par Wilma Fine qui se souvient aujourd’hui qu’« il fallait surtout éviter de pulvériser les micros par les tirs ». Un qui pulvérise les micros, c’est Antal Dorati, maestro hongrois dont le même Mercury réédite les Bartok : modèles de style et de sèche exubérance chez un chef qui pécha parfois par excès de boulimie discographique. Le Prince de bois est particulièrement recommandable.
A sa mort, Verdi fut porté en terre par l’Italie entière aux accents du chœur de Nabucco (qui n’était pas encore à l’époque l’hymne officiel du FN). Son Requiem aurait aussi pu faire l’affaire : musique sublime, qui bénéficie aujourd’hui d’une discographie pléthorique, où l’enregistrement de Reiner se distingue par une sorte de recul et de froide spiritualité qui a souvent divisé les esprits. Pour nous, c’est une version de choc qui donne l’occasion d’entendre Leontyne Price dans une forme olympienne (deux CD Decca Caractère). Autrement dit, le Reiner du mois, ou de la semaine, ou de la demi-journée.
Franz Liszt prit froid dans le train qui l’emmenait à Bayreuth, et ne s’en remit pas. Ses dernières paroles furent, dit-on, « Tristan » (à l’occasion, il faudrait faire une thèse sur les dernières paroles des musiciens). On a rarement donné une interprétation plus effervescente de ses deux concertos pour piano que celle de Sviatoslav Richter, rééditée chez Philips « Solo » (couplée avec la Sonate en si mineur, un luxe). Le même Richter revient dans le Concerto de Schumann, buriné à souhait (Deutsche Grammophon « The Originals »).
Carlo Gesualdo, prince de Venosa, s’éteignit dans son lit en 1613, quelque temps après avoir poignardé sa femme et l’amant d’icelle. Ce contemporain de Monteverdi reste l’un des esprits les plus singuliers de la musique, auteur d’une uvre vocale audacieuse et prophétique qui semble encore titiller nos Gorecki ou Arvo Pärt. Sa vie et son uvre sont l’objet d’un livre-disque édité par Naxos, élégamment illustré (par un admirateur de Tardi, visiblement), mais qu’on aurait aimé un peu plus épicé. La prochaine fois, nous tâcherons de parler de Lully (emporté par une embolie après s’être assené un coup de bâton sur le pied gauche) et de Charles-Valentin Alkan (mort écrasé sous sa bibliothèque).
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