Développant un langage musical toujours plus riche et ouvert, au confluent de l’Orient et de l’Occident, le Franco-Libanais revient avec un splendide nouvel album en clair-obscur.
Aventureux et poétique, le remarquable premier album de Bachar Mar-Khalifé, Oil Slick, est sorti au début de l’automne 2010 – il y a exactement dix ans – et a révélé d’emblée “un univers rigoureusement personnel, irréductible à quelque style que ce soit”, comme nous l’écrivions à l’époque, dans ces colonnes.
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Cultivant inséparablement goût de l’expérimentation et recherche de l’émotion, chantant et jouant de plusieurs instruments (en particulier du piano), cet auteur-compositeur-interprète sans frontière n’a eu de cesse, par la suite, d’approfondir son territoire musical en gravitation libre entre musique libanaise, chanson française, electro, néo-classique et jazz (post-)moderne.
Très présent sur scène au cours de la dernière décennie (exception faite du printemps-été 2020, pandémie oblige…), il a donné de nombreux concerts et s’est engagé dans divers projets en marge de sa discographie. Intitulé Mahmoud, Marcel et moi, le plus récent consiste en un concert-hommage à Mahmoud Darwich pour lequel Bachar Mar-Khalifé a réuni plusieurs musiciens (très) proches autour de lui, à commencer par son prestigieux père, le chanteur et oudiste Marcel Khalifé.
Une gestation dans une région montagneuse au nord de Beyrouth
Depuis Oil Slick, il a enregistré d’autres albums ainsi que des musiques de films. Il livre à présent son cinquième lp solo, On/Off, qui succède à The Water Wheel (2018), projet un peu à part dans sa discographie, dédié tout entier au musicien nubien Hamza El-Din. Contrairement aux précédents, ce disque n’a pas été conçu en France, où Bachar Mar-Khalifé vit depuis l’âge de 6 ans, mais au Liban, où il est né en 1983.
Loin du confort et de l’équipement d’un studio professionnel, la gestation s’est déroulée en décembre 2019 entre les murs d’une maison de famille, située dans une région montagneuse au nord de Beyrouth, tout près de la forêt de cèdres de Jaj – l’un des joyaux naturels du Liban.
“J’aime beaucoup cette maison même si elle peut paraître assez rude, surtout l’hiver car elle n’a pas de chauffage, hormis une cheminée et un vieux poêle, confie Bachar Mar-Khalifé. Je rêvais depuis longtemps d’y enregistrer un album. Je m’y sens vraiment bien. A chaque fois que j’y vais, je n’ai pas envie d’en repartir. En soi, la perspective du voyage s’avère déjà très stimulante, elle représente un défi et elle raconte déjà quelque chose.”
Echafaudée plusieurs mois en amont, l’opération a failli capoter au dernier moment à cause de la profonde crise économique et politique survenue au Liban à partir d’octobre 2019. L’aéroport de Beyrouth étant parfois fermé et certaines routes barrées, cela devenait très compliqué – voire risqué – d’organiser un séjour là-bas… Le projet a néanmoins finalement pu se concrétiser, dans un contexte d’instabilité extrême.
Un musicien entouré d’instruments divers, dont un piano droit
“La crise actuelle touche tout le pays et tous les Libanais, y compris ceux qui vivent à l’étranger, observe Bachar Mar-Khalifé. Même dans une région aussi reculée, elle a un impact sur la vie quotidienne. Se procurer certaines choses devient difficile. A un moment, nous avons craint de ne pas pouvoir aller au bout de l’enregistrement par manque de fuel pour alimenter le générateur électrique.”
Durant les deux semaines qu’a duré cette session peu ordinaire, le musicien – entouré d’instruments divers, dont un piano droit – a été accompagné par plusieurs personnes, notamment ses ingénieurs du son, François Baurin et Clément Marie. Vivant dans un petit village à proximité, ses parents lui ont aussi rendu visite très régulièrement. “Petit à petit, l’envie m’est venue de proposer à mon père d’enregistrer quelque chose avec moi. Il a tout de suite accepté comme s’il n’attendait que cela (sourire).”
C’est ainsi qu’a pris forme le morceau Prophète. Sur un dense entrelacement de cordes vibrantes et de percussions légères, Marcel Khalifé y lit (en français) un extrait du célèbre livre de Khalil Gibran, Le Prophète, extrait qui évoque la transmission de parents à enfants. Fruit ardent de l’union musicale entre un père et son fils, le résultat est de toute beauté.
“Dormir la nuit n’est plus une option”
Placé sous le signe de la dualité, On/Off contient au total onze morceaux, superbement arrangés et mis en espace, qui se déploient dans une oscillation continue du jour à la nuit, de l’arabe au français, ou encore de l’Orient à l’Occident. Taraudante, l’ombre de l’insomnie plane à plusieurs reprises. Elle traverse le murmurant morceau-titre à cœur ouvert, se glisse au creux du doucement syncopé Je t’aime à la folie (“Dormir la nuit n’est plus une option”) et envahit totalement Insomnia, magnifique ode incantatoire portée par de puissantes pulsations rythmiques.
Démarrant par une lente et envoûtante ballade onirique (Zakrini), On/Off s’achève avec une reprise d’une chanson de Fairouz (Ya Hawa Beirut), déclaration d’amour à Beyrouth qui prend une résonance particulièrement forte en cette période si éprouvante pour la capitale libanaise. Seul morceau n’ayant pas été conçu durant l’hiver dernier, Jnoun – duo au sommet avec Christophe, enregistré en 2018 – figure aussi sur l’album et lui apporte un éclat mélancolique supplémentaire.
Si la situation sanitaire le permet, Bachar Mar-Khalifé va partir en tournée à partir de fin novembre avec ses fidèles complices Aleksander Angelov (contrebasse) et Dogan Poyraz (percussions), ce dont il se réjouit. “Depuis la rentrée, j’ai déjà fait quelques concerts, en solo ou en trio, et je suis tellement heureux de retrouver la scène, de revivre cet échange privilégié avec le public. Je mesure combien c’est important, aujourd’hui plus que jamais. Au-delà de la musique, ce sont les rapports humains qui m’importent dans l’expérience du live. Pour moi, il s’agit avant tout d’amitié et d’amour.”
On/Off (Balcoon/IDOL)
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