La DJette parisienne Chloé assume sa schizophrénie : elle fait danser la nuit, mais offre le jour une musique électroacoustique à son image, sombre et rêveuse.
On aurait dû la croire dès son premier disque en 2002. C’est par un cinglant et pas si ironique I Hate Dancing que la DJette entamait sa carrière de productrice sur un maxi joliment intitulé Erosoft. Depuis, Chloé Thévenin n’a jamais menti – ni à ses fans, ni à elle-même. Si elle réserve ses sets technohouse enfiévrés à des hordes de clubbeurs qu’il n’est plus nécessaire de convaincre, sa propre musique demeure lovée du côté obscur et apaisé de sa force.
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A l’époque, elle est pourtant la DJette qui monte, aux côtés de Jennifer ou d’Ivan Smagghe. Ils sont les chouchous du Pulp, club parisien aujourd’hui défunt dont la programmation acceptait techno minimale, new-wave ou rock sans demander de papiers d’identité ni de caution des parents. Plusieurs maxis et un magnifique album plus tard (The Waiting Room, 2007), One in Other, son successeur éclos ce printemps, brouille encore plus les pistes, entre électronique, matière organique et instrumentation acoustique.
La productrice, qui demeure une infatigable DJette, y avoue une meilleure maîtrise technique. “Ne pas produire de musique pour le dance-floor me permet d’explorer, d’aller plus loin dans les textures sonores. Dès mon premier maxi, j’amenais des samples qui élargissaient les possibilités. L’évolution des logiciels m’a permis de pousser au maximum mon envie de mélanger électronique et acoustique, de créer cet entre-deux idéal.” Le live apparaît aussi comme un terrain d’expérimentation fertile. “Jouer m’a permis de traiter ma voix en confrontant mes productions au public. Assumer le fait de ne pas faire danser a été un moyen d’affirmer mon univers.”
Univers que Chloé a élargi à d’autres disciplines, comme l’accompagnement fin juin du chorégraphe Fabrice Ramalingom dans le cadre du festival Montpellier Danse. Tandis qu’avec son ami Krikor, elle laisse libre cours à une electro dansante et ludique au sein du duo Plein Soleil. Du coup, sur One in Other, son monde intime fait davantage que s’affirmer. Elle y invente un nouvel espace hors du temps, peuplé de synthés sous l’eau, de bleeps tristes et de rythmiques noyées dans leur chagrin.
Quand on lui demande d’où vient cette indicible tristesse qui inonde ses productions, la Parisienne se retranche derrière cette envie de se dévoiler, exprimée dans le titre de l’album. “En musique, comme en peinture ou en littérature, c’est le romantisme qui m’attire. Je n’écoute pas de style précis, j’adore des tubes des années 80 tout simples avec de l’innocence dans les paroles, et j’ai recherché cette façon simple de parler de moi.” Si Chloé ose chanter de sa voix fantomatique, elle module les ambiances avec plusieurs invités.
You est une étrange mélopée criarde où le folkeux américain Chris Garneau vient apaiser les esprits maléfiques. Ailleurs, la chanteuse Etyl, à la formation lyrique, donne une atmosphère baroque au Diva, par ailleurs le plus electro-rock des morceaux du disque. Parfois son corps s’agite et reprend goût à la danse (Fair Game). Mais dévoiler son côté sombre la rapproche d’autres électroniciens somnambules ou pris dans les glaces new-wave tels Trentemøller ou Circlesquare, comme sur One in Other, Slow Lane ou Ways Ahead.
Elle compose alors une effrayante bandeson pour un au-delà dont personne n’est revenu. Les guitares sont enfin assumées et les batteries sortent de la clairière pour donner une teinte psychédélique (ou folk déviant) à une musique pour laquelle l’électronique est plus un mode de conception qu’une fin en soi. Bienvenue dans l’âge de glace de Chloé.
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