De la pluie, de la boue, de la bonne humeur et quelques excellents concerts, Thee Oh Sees, Caribou, Angel Olsen notamment : on est à la Route du Rock, on vous raconte.
Le rituel est, chaque année, le même. Une quinzaine de jours avant, taper « meteo Saint-Malo 15 jours » dans Google. Voir du beau temps sur les sites les plus optimistes, crier (intérieurement), « Youhou ! ». Réitérer l’opération chaque jour, chaque jour voir les tendances changer, en mieux, puis en pire, puis en mieux, puis en incertain, préparer les tongs comme les bottes, les débardeurs comme les polaires avec chaufferette intégrée.
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Cette année, pas de bol, les statistiques historiquement plutôt favorables au festival, quoiqu’on en pense, sont détrempées : ce jeudi, premier jour du festival au Fort de Saint-Père après une ouverture la veille à la Nouvelle Vague, se fera dans la boue, sous la pluie, la grande boue, la grande pluie. Ca tombe comme chez Noé, les animaux en moins, la fosse ressemble à un parcours du combattant, ça tonne un peu : pas glop.
Pas glop ? Tant pis : comme les Anglais le font à peu près chaque année à Glastonbury, avec la pointe de fierté qu’ont aux coeurs vaillants les braves combattants, on devra faire avec. Donc on fera avec. Et on aura raison -ça finira par se calmer, et on trouvera de quoi se sécher les âmes.
La soirée débute, pas de bol pour elle, par Angel Olsen, qui doit sur la de-moins-en-moins-petite Scène des Remparts débuter son concert sous des hallebardes. La demoiselle n’en est pour autant pas attendue et, déjà, une grosse poignée de Caspers engoncés dans les plastiques multicolores de leurs ponchos bravent l’averse pour la belle Américaine. Qui, dans un set plutôt musclé, son groupe ne rendant pas toujours parfaitement hommage à sa voix et à ses chansons sublimes, n’est plus celle que l’on a vu, plus tôt dans l’année, au Divan du Monde : qu’Acrobat soit coupée en plein milieu par une panne d’électricité n’entame pas une bonne humeur surprenante chez cette femme dont on a connu le charisme plus glacial, elle se marre, fait des blagues, communique beaucoup, sourit encore plus -hasard, ou coïncidence, ou sorcellerie, le soleil perce un peu alors que le concert avance. Espoir.
The War On Drugs balance ensuite, sur la grande scène et devant un public embourbé et clairsemé, son énergie pop et ses chansons musclées, et ça a l’air bien, et ça sonne bien, et c’est bien mené, mais c’est au final un peu plat, sans vie, sans aspérité, bourré de soli inutiles, c’est du Springsteen atone ou du Dylan sans âme, un Dire Straits de l’âge moderne : pas franchement épaté par la débauche d’un peu tout, on repart en crawl sous une nouvelle averse terrible.
Et hop, galette saucisse (pt. 1)
Le pire semble derrière nous, du moins les nuages tournent autour du site mais n’y déversent plus de hallebarde, un soleil couchant s’imposant même entre la fin de War On Drugs et l’arrivée, sur la même scène principale, de Kurt Vile et de ses Violators. Le soleil est pourtant bien vicié, malade, drogué sur les chansons du chevelu et de son groupe, sur scène sans décorum, tête baissées, guitares crasses, voix trainante, psychédélisme de mauvais poil : le contraste avec The War on Drugs semble, sur papier, complet. Et dans la tête, et dans les jambes ? Ben bof : très honnêtement, on s’ennuie (presque) autant.
Et le froid s’installe, orteil par orteil, de l’épiderme à l’os. On se réchauffe comme on peut (on vous laisse imaginer, rien de sexuel c’est promis), en attendant Real Estate, très attendu, sur la Scène des Remparts. Certes, la pop de diamant des Américains ne risque pas de mettre le feu aux semelles de nos bottes, bien détrempées, mais leurs chansons délicates, sages mais alambiquées, exécutées avec une fine grâce réchauffent le cœur des amateurs de joliesses que nous sommes : un peu de douceur dans un monde de boue peut faire des miracles.
Un peu de douceur mais aussi le bruit et la furie : il fait à nouveau 36°C dans le Fort de Saint-Père, et quelques morceaux zinzins de Thee Oh Sees, sans doute un des meilleurs concerts de la soirée, même si les avis divergent, suffisent à garantir, on en mettrait nos bottes à parier, une suite de festival sans une goutte d’eau. Du muscle mais surtout du nerf, un ravissant short et une guitare dont le plastique cristallin contraste avec l’électricité sanguine qu’elle crache, une basse ronde maboule, une batterie en uppercuts, des chansons frénétiques, du punk-pop et des éructations rock à décorner le diable : les Californiens, qui regroupent une foule dense et de plus en plus remuante devant la grande scène, méritent leur flamme.
(Et hop, galette-saucisse, pt.2)
Flamme que, retour sur la « petite » scène, essaie d’entretenir The Fat White Family, précédés d’une grosse réputation de cinglés scéniques -voire de gros cinglés tout court. Premier morceau, approximatif et rampant, hurlant et lent, progressif et acide, de plus en plus acide : le folie règne plus que la furie. Elle arrive ensuite, dans un rock post-un peu tout glissant et branleur, dans des guitares et claviers bordéliques, dans des traces de pop pétée à on ne sait quoi, et dans le torse nu du chanteur, de plus en plus secoué et secouant au fil du concert. Quelques bouts de super chansons, salopées à coups de n’importe quoi : c’est zinzin, tordu, c’est plutôt drôle, même en slow patraque, ce n’est peut-être pas « primordial » mais c’est très étonnant, et ça réchauffe encore un peu la foule.
Qui pourrait presque, tant l’atmosphère a gagné en chaleur, se foutre à poil pour accueillir l’un des héros du soir, Caribou(e), devenu grande machine à remuer les masses depuis le précédent Swim, bien décidé à rendre tout l’amour reçu avec le prochain Our Love, à paraître cet automne. Et la magie, les équilibres, les mélanges que le garçons, depuis plus de 10 ans de carrière, a fini par trouver, se sont encore apparemment affiné : visuellement spectaculaire dans son exécution pour quiconque est suffisamment proche de la scène, soniquement spectaculaire pour quiconque tout court, le concert est un set d’électronique joué avec les bras, les muscles, le coeur, à la foi dans la précision scientifique et les petits pains accidentels, sur un fil constant entre le rétro et le futuriste, la pop et la dance, les batteries fauves et les beats tapageurs, les morceaux connus ou nouveaux de Dan Snaith s’allongent dans un synthétisme grandiose, ils sont parfois rendus méconnaissables par sa volonté d’unir la foule dans un hédonisme collectif paradoxal. Ca monte, ça accélère, ça prend son temps pour décoller, pour atterrir à nouveau puis repartir ailleurs : c’est excellent et s’il pleut, c’est uniquement des étoiles, et dans les têtes.
Les têtes, et les jambes, fatiguées ; du moins certaines. Il reste Darkside, autre grosse attraction de la soirée, mais on part vers d’autres horizons : patience, on vous racontera néanmoins très vite le concert.
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