Le phénomène de l’île de Wight était de passage samedi 14 mai dans le repaire indé parisien, niché le long du canal Saint-Martin. Récit d’un concert abrasif, un mois après le retentissement de leur premier disque.
Par quelle espièglerie s’est-on fait avoir ? Par Wet Leg, la sensation britannique qui excelle dans l’art du braquage, du genre à nous surprendre avant de dérouler un plan infernal minutieusement élaboré. Établies sur l’île de Wight, au large de l’Angleterre, Rhian Teasdale et Hester Chambers ont tout misé il y a à peine un an sur leur Chaise Longue. À base d’un minimaliste trio basse-guitare-batterie qui défie un parlé-chanté nonchalant et un refrain tapageur aux injonctions insolentes, le single paru à l’été 2021 s’est immédiatement mû en tube aux allures de siège éjectable. Une poignée de mois s’éparpille et le duo entérine ses promesses avec un premier album débitant les tubes à tout-va et, sans surprise, auréolé de succès dès sa sortie en avril.
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Sur le quai bondé d’un Point Éphémère affichant complet en ce samedi 14 mai, plusieurs voix nous racontent le festival Culturebox, au Cirque d’Hiver, où Wet Leg a joué la veille. Les Anglaises se seraient égarées dans une performance frustrante, engourdie par un son pourri et une ambiance glaciale. Pourtant, un premier disque aux contours si parfaits donne l’impression d’être à l’abri des déceptions. Quand on les avait rencontrées l’an dernier, Rhian (la brune) et Hester (la blonde) assuraient même faire des “pop songs” pour “s’amuser” – avec le sourire malicieux de celles qui connaissent déjà la chanson.
Les lumières s’assoupissent et une salve de cris déferle sur la salle, adoubant le duo qui s’élance sur l’inaugural Being in Love. S’enchaînent ensuite Convincing, une déclaration d’amour transparente à PJ Harvey, Wet Dream, Supermarket et, plus tard, Too Late Now, en guise d’engrenages oniriques qui fonctionnent avec autant de flegme que de hargne. Un étrange mélange passif-agressif, marque de fabrique de Wet Leg, où la (fausse) paresse s’avère être la meilleure arme pour en découdre.
Sur leurs jambes, les tatouages dispersés essaient de se faire discrets, parfois rattrapés par les Dr Martens noires, bien cirées entre les lacets jaunes et les plateformes intégrées pour amortir les pogos. Le long de ces silhouettes de teens avancées, mais pas tout à fait adultes, coule une certaine timidité. Aussi charismatique que pernicieuse. Là où la pudeur pourrait frôler l’embrasement, elle provoque parfois l’impassibilité du duo face à un public en convulsion qui n’attend que le décollage.
Outre ces passages apathiques qui ne causeront pas de réelle contrariété, Wet Leg écume (quasiment) l’intégralité de son album (dommage pour Loving You et sa basse distordue ascendant Le Tigre) au gré des coups de jus de Ur Mum, Oh No, I Don’t Wanna Go Out, dissimulant le riff du fameux The Man Who Sold The World de ce cher David Bowie, ou encore de quelques inédits, comme I Want to Be Abducted (By a UFO) et le superbe Obvious. Entre quelques messes basses au fond de la scène comme au fond de la cour de récréation, les filles tentent une danse synchronisée et brandissent en rythme basse et guitare avant de balancer le carillonnant Angelica. C’est évidemment la fracassante Chaise Longue qui clôt le grand soir de Wet Leg. Le morceau déclenche la pagaille dans les premiers rangs avant de se dissoudre dans la salle bouillonnante d’où émanent encore quelques braillements : “On a chaise longue / On a chaise longue / All day long / On a chaise longue”. De quoi mettre tout le monde d’accord.
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