La cinquième édition du festival mélangeait les genres et les langues et célébrait à leur « beau bizarre » sous le ciel d’orage de la Ville éternelle. En prime un Christophe solitaire qui incarnait comme personne la Dolce Vita.
Christophe, Cheveu, Gesaffelstein, Brodinski, Connan Mockassin : quatre jours de concerts sous le ciel romain.
Existe-t-il une promesse plus douce que celle de débuter l’été en écoutant Christophe jouer seul au piano La Dolce Vita dans les jardins de la Villa Medicis à Rome ? C’est en tout cas le beau cadeau qu’offrait l’édition 2014 de Villa Aperta, festival de « musiques actuelles » organisé depuis cinq ans sur la piazzale de la Villa, par son directeur Eric de Chassey. Au programme : quatre soirées et un line up audacieux, mélangeant les genres et les langues et célébrant à leur manière le « beau bizarre », concept finalement plus proche de l’Italie contemporaine que le cliché éculé de la grande bellezza.
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Ouvrant le festival, That Summer, projet initié il y a vingt ans par David Sanson (fraîchement ex-pensionnaire de la Villa), s’accorde à merveille avec le temps orageux – mais incroyablement lumineux – qui plonge ce jour là la Ville éternelle dans un bain d’intensité. Au set tendu et mélancolique des Français succède Luminal, groupe romain plus habitué à se produire dans les centres sociaux de la ville que dans ses palais. Comme encore un peu surpris d’être ici, aussi énergiques qu’ironiques, ils livrent en live les courts morceaux de leur troisième album, Amatoriale Italia. Un trio batterie-basse-voix au service d’un punk qui éructe, avec un décalage à la Nanni Moretti, l’Italie d’aujourd’hui. Celle, par exemple, des affaires politiques où le parcours des élus du peuple croise celui de proxénètes.
En témoigne leur morceau Lele Mora, joyeusement repris par les locaux travaillant au bar ce soir là. 47 secondes de rage pure. Soit le temps de répéter une vingtaine de fois le nom de cet ami de Silvio Berlusconi, ex manager de starlettes de la télévision italienne, impliqué dans le Rubygate et condamné pour incitation à la prostitution de mineur.
Luminal à Villa Aperta, 18 juin 2014
Car si d’un point de vue purement musical le groupe ne se distingue pas particulièrement par son originalité, les textes, eux, témoignent avec acuité du malaise de la jeunesse italienne. Celle qui, loin des fantasmes de la dolce vita, passe des journées « joyeuses comme la discographie de Cohen » et garde tout de même l’énergie de raconter l’histoire triste et violente d’un pays où beaucoup de choses restent à reconstruire. Une histoire qui explique peut être aussi le fait que ce soir là assez peu de Romains se soient déplacés.
Dans la fosse, de nombreuses hypothèses, principalement formulées en français, naissent çà et là : l’orage qui menace, la Coupe du monde qui bat son plein ou les habitudes dispersées du jeune public local ? C’est en tout cas à une audience réduite que se mesureront les Français de Cheveu pour clore la soirée. Le groupe que beaucoup considèrent comme une des formations les plus excitantes de la scène française tente vigoureusement le coup. Avec les morceaux de leur quatrième album Bum, tournant pop dans une discographie autoproclamée « shitgaze », Etienne Nicolas, Olivier Demeaux et David Lemoine donnent un aperçu de leur superbe. Comme avec leur irrésistible Madame Pompidou, dont le nom résonne étrangement dans les jardins de cette vénérable institution.
Caroline Polachek à Villa Aperta, 19 juin 2014 © Messer Manue – wwww.officinek.com
La deuxième soirée débute avec Ramona Lisa, dernière formation de Caroline Polachek de Chairlift, qui livre un live aussi hypnotisant qu’une choré de natation synchronisée. Vêtues d’étranges combinaisons blanches, trois créatures du futur (munies de 4 yeux chacune, soit 12 yeux en tout) dessinent sur scène des paysages inédits. Aux élans électroniques et acrobaties vocales s’ajoutent une scénographie minimaliste mais fascinante qui donne aux filles de Ramona Lisa des allures d’avatars du futur.
C’est ensuite Christophe qui prend les rênes de la soirée. Seul pendant près de deux heures, au synthé, au piano ou à la guitare, il parvient avec un dispositif ultra-sobre à créer une grande intimité. La voix claire, Christophe chante et enchante, s’adresse au public en Italien, prend le temps de discuter. Il évoque Tanger, son retrait de permis il y a douze ans, ses bandes originales de film, le cinéma, l’Italie ou sa collection de Ferrari (miniatures), bref cabotine comme personne et traduit certains de ses textes… Ainsi Parle-lui de moi devient Parlali di me. Et sous les pins parasols illuminés dont la silhouette contraste avec le ciel noir, Christophe enchaîne les tubes (Les Marionnettes, Ces petits luxes, Succès fou, Les Mots bleus), les titres plus confidentiels (Le P’tit Gars) et les morceaux qui semblent avoir été composés pour être joués ici (La Dolce Vita, Le Dernier des Bevilacqua).
Autre ambiance le lendemain où pour ouvrir l’avant-dernière soirée du festival le Néo-Zélandais Connan Mockassin et son groupe déploient un set maîtrisé dans une ambiance moite. Loser magnifique et faussement lubrique servi par des musiciens impeccables, le jeune homme à la chevelure peroxydée impose une lascivité complice, interagissant avec un public déjà acquis à sa cause.
Un moment de trouble à mille lieux des minauderies d’Au Revoir Simone qui, derrière leurs franges, ne semblent pas vraiment avoir réussi à se renouveler – tant sur le plan musical que capillaire. Leur electro-pop ingénue peine ainsi à soutenir le niveau de la soirée que clôt de manière assez grandiloquente Jackson & His Computer Band. Fendant la fumée blanche qui se propage sur la scène, la silhouette lunaire de ce grand garçon à la chevelure platine se détache derrière un poste de contrôle futuriste.
Figure incontournable de la musique électronique en France, référence pour Daft Punk ou Justice, celui que l’on décrit parfois comme le cousin de l’ombre le plus doué de cette génération semble en tout cas venir d’un autre monde. Bien au-delà des poses, des effets de mode et des plans de carrière, Jackson trace sa route et, entre electronica psychédelique et techno éruptive, fait fuir les derniers nuages qui menaçaient et prépare les bas-reliefs à un tsunami de grosses basses.
Car pour cette dernière soirée, I:Cube, figure singulière et précieuse de l’electro française ouvre le bal sur ses terres en tant que pensionnaire. Suit The Hacker qui, mêlant new wave et techno sombre, fait lentement mais très surement monter la pression. Après un set impeccable, il laisse la place à Brodinski et Gesaffelstein, têtes de proue de Savoir Faire. Avec un DJ set efficace pour le premier et un live ténébreux et maîtrisé pour le second, le duo donne sans complexe à la foule présente en masse ce soir là ce qu’elle attend d’eux. Plus inattendue : la présence sur scène d’un autre pensionnaire, Laurent Durupt (et son groupe Links) proposant en inter-plateaux deux quarts d’heure de musique contemporaine à une foule chauffée à blanc. Jouissif pas de côté qui donne à cette dernière soirée sans nuage tout son relief. Et clôt ce beau festival aventureux et précieux.
Presque tous les concerts sont à revoir pour quelques heures encore sur le site d’Arte.
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