Marathon-concert hier puisque ce n’est pas un mais deux lives qu’on est allé voir. Récit d’un grand écart musical entre l’électro-pop pour club de Theophilus London et le flower punk viscéral des Black Lips.
Le choix était impossible : aller revoir sur scène l’électro-pop sinueuse du new-yorkais Theophilus London, impressionnant au festival des Inrocks en novembre dernier, ou se laisser (re)tomber dans le grand n’importe quoi punk des Black Lips qui commençaient sérieusement à nous manquer depuis le Primavera Sound festival 2010 ? Programmés le même soir dans deux salles différentes à Paris, les Américains d’Atlanta et leur compatriote new-yorkais nous ont mis, sans le savoir, face un dilemme de taille que l’on a décidé de gentiment contourner en tentant un marathon-concert entre l’Alhambra et le 104 – un grand écart musical et culturel dont on n’est pas franchement sortie indemne.
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20h30 : direction l’Alhambra où joue donc, très tôt, le nouveau (grand) prince de la bidouille électro tout terrain. L’ep de l’ami Theo nous avait déjà mis KO, son concert à la Boule Noire au festival des Inrocks aussi, et à en croire le principal intéressé rencontré la veille lors d’une interview, on pouvait attendre beaucoup de ce nouveau show parisien.
Massé dans la fosse de l’Alhambra, le public – composé d’un joyeux mélange de costumes-cravates, de robes American Apparel savamment accessoirisées et de chemises à carreaux-lunettes-de-vue-sans-correction – trépigne : le new-yorkais devait entrer en scène il y a déjà presque une demi-heure. La lumière s’éteint finalement et entre alors son DJ, qui, il faut bien l’avouer, se la donne bien derrière ses platines. Chapeau vissé sur le crâne, lunettes de soleil sur le nez et costume cintré, Theophilus débarque enfin. Première constatation : l’Américain a la classe. Deuxième constatation : il est en effet bien décidé à brutalement secouer la salle qui lève les mains en l’air à la moindre de ses incitations.
Déhanchement de dingue et voix grave (pas toujours juste malheureusement), le rapper-hipster, épaulé par Devonte Hynes de Lightspeed Champion à la guitare, lance ses savants mix de pop, électro, hip-hop et rock les uns après les autres, de When Even Try à Strange Love en passant par Wine & Chocolate qui, avec son groove imparable, transforme très vite la fosse de l’Alhambra en club géant. Theophilus met le paquet pour se mettre la foule dans la poche (distribution de t-shirt en prime) et brille par son mètre quatre-vingt-dix de charisme et son flow saccadé.
On regrette un peu cependant sa manie de tout commenter, de parler très (trop ?) souvent de lui entre les chansons et de ne pas prendre plus de risques : sur scène, pas de remix improbable de ses tubes, pas de morceaux retravaillés, mais seulement sa voix posées sur la bande son de son ep et de son premier album à venir le 19 juillet, Timez Are Weird These Days – disque dont on peut déjà distinguer quelques titres prometteurs (I Stand Alone, Last Name London). Pas le temps de débattre puisqu’avant même la fin du concert, il nous faut filer au 104 pour les Black Lips dont on ne veut pas rater une miette.
Quinze minutes de métro, et on se retrouve dans le XIXe arrondissement pour assister à la grande messe des sales gosses d’Atlanta. Alors qu’on s’attend légitimement à tomber dans un sacré vortex culturel (le costume Gucci de Theophilus vs le vomi des Black Lips), on s’étonne de voir s’entasser dans la salle une réplique de la foule que l’on a pu croiser quelques minutes plus tôt à l’Alhambra. Pas de relent de transpi, ni d’odeur de mauvaise bière : ici, à quelques exceptions près, les t-shirts sentent la Soupline et ont probablement coûté plus cher que l’intégralité des vêtements que l’on porte sur le dos ce soir. Les mèches ont été domptées et les looks trashos, préparés dans la salle de bain familiale pendant probablement 2 heures.
Qu’à cela ne tienne, rien n’arrête Black Lips qui débutent leur concert comme certains le finissent : pied au plancher et feu aux planches. Les plus vieux titres au goût de cendre et de sueur gardent une place de choix au milieu de ceux du nouvel album du groupe, Arabia Mountain, que l’on classe déjà, après 497 écoutes compulsives, parmi nos albums préférés de l’année (on vous en reparlera bientôt, promis). Modern Art claque aussi fort que sur disque, New Direction déroule ses riffs sixties effrénés comme dans un road-trip US bien alcoolisé et l’on se réjouit toujours autant de voir les quatre potes vivre leur concert comme si c’était le dernier : montés sur ressorts, fiévreux et rigolards malgré les nombreux problèmes techniques et sonores (on citera un collègue lui-même rigolard et survolté concernant ce point là « on ne vient pas à un concert des Black Lips pour le son bordel ! »).
La scène est envahie une première fois pendant O Katrina!. Les crachats volent du côté du guitariste Cole Alexander – qui finira par se faire rouler une pelle magistrale par un grand chevelu torse nu –, les mains se tendent vers le groupe qui se fait régulièrement voler ses micros. On voit des bouts de corps, des paires de fesses et des gros fuck.
La frénésie habituelle du public aux concerts des Black Lips paraît pourtant légèrement faussée ce soir : est-ce la salle ? la trop grosse concentration d’élèves d’Henri IV venus se dévergonder ? On ne le saura jamais mais les images des mouvements de foule incontrôlés (et incontrôlables) et des corps en transes lors des prestations des Américains au festival des Inrocks il y a deux ans ou au Primavera Sound festival l’année dernière nous manquent un peu : la ferveur de la foule, proche des messes gospel si chères au bassiste Jared Swilley, ne semble pas aussi authentique ce soir. Peu importe, le groupe, lui, n’a rien perdu de sa fougue et de son sens du n’importe quoi scénique – en témoigne les envolées de PQ à travers la salle et les remontées d’acides de leur reprise de Jacques Dutronc, Hippie, Hippie, Hoorah.
Point culminant de la soirée : l’arrêt impromptu du concert en plein milieu de Bad Kids pour cause d’alarme à incendie déclenchée par des fumigènes nous dira-t-on. Tandis que Swilley s’escrime à continuer le morceau malgré la coupure de son en faisant du air-bass et en hurlant les paroles de sa voix de sudiste usées par des milliers de clopes, Cole revient, extincteur en main, pour « éteindre » la foule – et nous faire manger pour la première fois de la poudre d’extincteur par la même occasion. Le concert reprendra quelques minutes plus tard devant un public trempé de transpiration et d’eau qui terminera, comme il le devait, sur scène avec le groupe sur une seconde version de Bad Kids, intégrale cette fois. Comme d’habitude, la conclusion est sans appel : Black Lips = 1, le reste du monde = 0.
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