Villette Sonique a commencé très très très fort hier avec Sunn O))), et The Jesus Lizard, qui est comme chacun sait, le meilleur groupe de rock de tous les temps.
Bon OK, The Jesus Lizard n’est pas nécessairement le meilleur groupe de tous les temps, mais faut bien trouver un moyen de vous faire cliquer. Villette Sonique donc. Déjà, on en pense ce qu’on veux, mais c’est quand même drôlement couillu comme affiche. Men Without Pants, le groupe le plus susceptible de séduire la hype (la fameuse…) en ouverture des papes du drone métal, et des légendes de l’alternatif US des ninneties. Pour ma part, aucun problème, je suis très ouvert à l’éclectisme. J’en ai d’ailleurs fait quand j’étais jeune.
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Ces Messieurs Sans Pantalons entament, donc. Plus explicitement rock que l’album, le set est tout de même un peu pataud. Évidemment, l’horaire, 19h30 est ingrat et le public un peu frileux. Par ailleurs, la sécurité fait du zèle et réprimande les deux ou trois kids qui s’essaient au frotti-frotta d’épaules. Pinaise, si le pogo est prohibé ce soir, ça va pas être jouasse, The Jesus Lizard… Quoi qu’il en soit, le groupe se démène, et montre des réelles qualités mais le machin ne fonctionne pas bien. On reste sur un « doit faire ses preuves », et on passe à la suite.
[attachment id=298]Un concert de Sunn O))) est une expérience sensorielle totale et singulière. « Ma gueule, si t’as pas vu Sunn O))) sur scène, tu sais même pas ce que c’est le son ». Ainsi parlait Zarathoustra. Vêtus de leurs noires robes de druides, au centre de leur dolmen d’amplis, O’Malley et Anderson se livrent à leur rituel païen. S’abreuvant de vin rouge à même la bouteille, poings et barbes tendus vers le ciel dans une débauche permanente de fumigène. Dans un premier temps, le son choque l’organisme et lui inflige des sensations inédites. La gorge se noue, le ventre se creuse, les jambes démangent, et toutes sortes de parties du corps se trouvent en proie à des vibrations angoissantes. Pour ma part, j’ai cru que j’allais perdre mon nez. Impossible de s’habituer à cet état, mais on l’apprivoise. Dans un second temps, on observe la lente et harmonieuse chorégraphie des deux bonshommes. Fascinant. Ensuite, on attends le degré total de l’abstraction. Non seulement il n’y a plus de notes, mais en fait, il n’y a plus de musiques, et plus vraiment de musiciens. Juste une atmosphère absolue, sonore et visuelle et presque palpable. C’est à ce moment là qu’on commence à voir les gens faire n’importe quoi. Tel ce vieil homme filmant les visages de ses voisins à 15 centimètres de distance, ou cet individu rampant sur scène les bras tendus vers les deux prophètes, qui disparait dans la fumée. Et que l’on ne reverra plus. On ressort de là hébété et étrangement serein. On se ferait pas ça toutes les semaines, mais un set de Sunn O))), c’est plutôt agréable en fait.
[attachment id=298]Vient l’heure de la légende en action. Les concerts de Jesus Lizard, pour nous autres nés après 1980, c’est un mythe. De l’ordre de la bataille de Roncevaux. Allons-nous pouvoir juger sur pièce les dires des anciens ? Oui. Trois fois oui. Dés les premières notes de Puss (à confirmer, je retiens rarement l’ordre des morceaux…) David Yow est dans la fosse. Il y passera les 3/4 du concert. Quoi que bedonnant et un rien calvite, il est à la hauteur de sa réputation, et fait honneur à ses maitres, Iggy Pop et Lux Interior (le diable ait son âme) notamment. C’est un vrai cowboy, qui boit de la bière salement et jette sa cannette dans le public, se fourre la main dans le falzar pour se saisir le sboub, mollarde à qui mieux-mieux parfois même sur lui-même, et tripote les gamines collées à la scène. C’est aussi un chanteur incroyable, qui parvient à tenir sa partie tout au long de ses stage-divings héroïques. Autour de lui, son gang est stoïque, mais tellement bon, tellement puissant, tellement efficace. A croire qu’ils ont passé leur décennie de silence à répéter leurs morceaux. McNelly cogne comme s’il voulait couper un baobab à mains nues, Denison assène ses riffs malsains, et Sims plombe ses notes comme on enfonce des clous de 23 cm. La basse de Jesus Lizard, c’est pas un instrument, c’est un paradigme. Le concert est généreux, il déborde de partout. Le tracklisting est en mode best-of. La sécurité a déclaré forfait, elle se concentre sur les photographes clandestins. Et délègue la gestion du public au pauvre martyr chargé de contenir les slammeurs, et de maintenir en tension le câble de micro de Yow quand celui-ci est dans la foule, afin qu’il ne s’étrangle pas avec du mou. Respect mec. Ton boulot n’est pas simple. Mais c’est ainsi. Et Erving Goffman l’a écrit : si le chanteur s’approprie l’espace du public (la fosse), il n’est pas possible de demander au public de ne pas faire irruption dans l’espace des artistes (la scène). Yow n’a pas de soucis avec ça, il traine les gens sur scène, les renvois d’un amical pied au cul dans la foule, et s’assure que les kids aient toujours des bouteilles d’eau. C’est pas une diva le bonhomme, c’est un rockeur, un vrai. Et le concert, c’était un concert de rock, un vrai. Le prochain qui me dit que Dionysos est un groupe de scène, je lui éclate de rire au nez.
Photos : Pascal Bertin
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