Du 6 au 9 juillet dernier se tenait la nouvelle édition du festival lisboète. Au programme de ce grand retour post-Covid, été caniculaire, The Strokes en roue libre, Metalheads et découvertes lusophones. Récit.
Sous l’inévitable cagnard lisboète, la nouvelle édition du festival NOS Alive avait pour tâche de conjurer le mauvais sort de la 13e édition – dont le chiffre maudit préfigurait déjà la pandémie qui, deux années durant, aura contraint la non-tenue du festival. Sur l’immense terrain recouvert de pelouse synthétique, à deux pas du front de mer, on reprend donc nos marques, on lézarde au soleil devant la pop brésilienne de Mallu Magalhães, les Belges de Balthazar – auteurs d’un concert tonitruant sans être bourrin, Jungle puis The War On Drugs sous une chaleur accablante.
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The Strokes et les lois de l’aléatoire
Si l’on en veut un peu à la bande de Julian Casablancas de nous avoir fait quitter précipitamment le show plein de lyrisme de Fontaines D.C. pour finalement se pointer avec 20 minutes de retard, on leur pardonne rapidement cette incartade devant un concert qui défie et déjoue tous les pièges du groupe de rock patrimonialisé, obligé à ses tubes et à l’immobilisme de sa setlist. Piégé par un double syndrome de Stockholm (Julian prenant en otage ses Strokes le prenant lui-même de court), les New-Yorkais livrent une performance mue par une logique d’imprévisibilité et d’impermanence : interminable prise de parole de Julian interrompue par une reprise impromptue de Clairo (contrainte d’annuler sa venue à NOS Alive) ; liberté vocale totale de Julian, tordant ses mélodies, jouant des possibilités du vocoder sur l’exécution parfaite d’Albert Hammond Jr. et compagnie. Une prestation éminemment polarisante pour le public, mais qui sonne pourtant comme une véritable bouffée d’air frais avant le concert de Stromae et de sa scénographie à la Kraftwerk qui nous réconcilierait presque avec son approche datée de la musique pop mais ô combien efficace pour clôturer la soirée. Mention spéciale – et chauvine – au plaisir d’entendre le public chanter phonétiquement des punchlines scatologiques.
Un concert peut en cacher un autre
Jour 2. On nous promet la fournaise mais NOS Alive s’est payé le luxe d’inviter deux stars de la soul et du R&B britannique pour nous la faire oublier : Celeste et Jorja Smith. Après une première partie de concert passée à inventer le néologisme “formoliste” pour qualifier ce mélange de soul engoncée et de musique passéiste figée dans la stase, le concert de Celeste se révèle finalement dans un second temps absolument enchanteur grâce aux tubes que l’Anglaise s’était réservée pour descendre près de la moitié de son concert dans la foule. Après cette prestation XXL, Jorja Smith s’invitait elle aussi sur la main stage. Toujours tiraillée entre son statut de tête d’affiche et son incapacité à trousser une setlist à même de retourner les foules (on attend toujours son deuxième album), la Londonienne a, le temps de quelques morceaux (parmi lesquels l’immanquable Blue Lights et l’ouverture sur Teenage Fantasy), happé le public de NOS Alive malgré une relative impuissance à porter haut et fort les tubes de sa jeune discographie.
Tristement fidèle à l’inexplicable indifférence générale autour de sa musique, Nilüfer Yanya faisait pâle figure face à la prêtresse new age d’opérette Florence + The Machine. Pourtant, malgré un public clairsemé et un show on ne peut plus minimal, c’est du côté de la Londonienne qu’il fallait chercher pour retrouver un supplément d’âme. Peu loquace, laissant d’interminables silences entre les morceaux (le temps de réaccorder sa guitare), avare en interactions, Nilüfer se concentre sur sa musique, rien que sa musique. Contre l’approche maximaliste des groupes l’ayant précédé sur la scène Heineken, elle s’est illustrée par un son cristallin et tranchant magnifiant chacun des solos de saxophone, riffs et effets de guitare essaimant une performance absolument parfaite. L’un des meilleurs concerts de ce NOS Alive, tout en quiétude intranquille, en impétuosité contenue. Une certaine idée du contre-pied qui militerait presque contre l’hypertrophie sonore qui guette les festivals.
Retour à la main stage et, s’il faut bien reconnaître au trio londonien d’Alt-J son habilité à avoir assumé sa mutation en tête d’affiche de festivals en transformant leurs astucieux collages pop rock en hymnes de stade, on préférera délaisser la voix nasillarde de Joe Newman pour se frotter à DJ Danifox, figure de proue de la scène batida depuis 2015, aux côtés de festivalier·ères en quête d’espace et de musique pour se déhancher. En somme, la meilleure manière de boucler en mouvement cette seconde journée écrasante de chaleur, loin de l’immobilisme des trois Londoniens.
Talking Metalheads
Qu’importe la pop de field recording et d’obédience ambiant de la portugaise Meta_, la drill UK d’AJ Tracey ou le concert noctambule de M.I.A., le troisième jour de NOS Alive était tout entier consacré à la venue des pontes du heavy metal : Metallica. Festivalier·ères tout de noir vêtu·es s’étaient donné·es rendez-vous sous 35°C pour être témoins de la pyrotechnie de l’interminable concert de la bande de James Hetfield (dont on ose à peine imaginer l’empreinte carbone), mais pour l’heure, au défilé de guitares, on lui préfère largement le concert de St. Vincent, chef-d’œuvre de charisme et de cool. Bâtie sur les fondements de son dernier album en date (le dansant Daddy’s Home), la performance de l’Américaine a revitalisé tout à la fois l’influence new-yorkaise des Talking Heads et l’héritage de la musique des seventies (micro carré à l’appui) en passant sa pléthorique discographie au crible de ces nouvelles sonorités. Une leçon de magnétisme et un coup de maître signé Annie Clark que toutes les guitares de Metallica, à l’effigie de Boris Karloff, ne sauraient prendre à défaut.
Clôture idéale
Après un concert qu’on n’imaginait pas aussi réussi des sœurettes d’Haim – balance idéale entre setlist solaire et le meilleur d’un son mielleux qui réussit à ne pas verser dans la mièvrerie – on se dirige sans trop y croire au concert de Phoebe Bridgers. Si l’on n’a jamais vraiment consacré sa musique dans ces pages, l’éventualité d’apercevoir le phénomène américain en chair et en os (costumes de squelettes à l’appui) a quelque chose d’éminemment stimulant pour des poptimistes convaincu·es. En s’exposant à cette horde de fans complètement électrisé·es par chaque interaction avec l’artiste, chaque riff, chaque changement d’instruments, difficile de prendre à défaut les résonances de cette musique bouillonnante croisant emo-rock, folk et country jouée par une fan de Jeff Buckley et d’Elliott Smith.
Mais après la baffe intimiste de Nilüfer Yanya et l’énergie chaotique des Strokes, ou encore l’impeccable show de St. Vincent, il aura fallu attendre les tous derniers instants de NOS Alive pour être témoins des deux meilleurs concerts de cette édition. Loin de la pyrotechnie des fossoyeurs du rock Imagine Dragons – de loin l’un des pires groupes enfanté par les années 2010 , la bande australienne de Parcels et l’agrégé de maths reconverti en star de la dance Caribou ont livré, back to back, deux prestations dantesques en forme de final euphorique de ce retour de NOS Alive. Les premiers en gonflant leur riffs pop à la musique électronique – que le public entonne comme des hymnes de stades de foot à la façon de Seven Nation Army ou des hits de Kaiser Chiefs –, le second en transformant les tubes de Sun ou Suddenly en morceaux club percussifs et complètement euphorisants. Mention spéciale à ce finish aussi dansant qu’émouvant sur Never Come Back/Can’t Do Without You, bande-son des dancefloors retrouvés et hymnes officieux de cette 14e édition de NOS Alive.
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