M Pour Montréal, suite. Et M Pour Montréal, belle fin : la révélation Monogrenade, le drôle de Damien Robitaille, les toujours excitants la Patère Rose ou Misteur Valaire ont joliment clôt le festival québécois.
M POUR MONTREAL : MERCREDI 17 ET JEUDI 18
Cinq ans. A cinq ans, on ne marche pas trop mal, on parle un peu, on dit deux trois trucs, on fait marrer les parents éreintés et leurs amis blasés feignant l’admiration. Cinq ans : M Pour Montreal est plutôt mûr, très mûr pour son âge, très en avance, même : le festival Montréalais (donc), originellement destiné à montrer au Monde entier la vitalité de la scène locale mais de plus en plus ouverts à toutes les belles brises canadiennes, voire un peu au-delà, dépasse les espérances. Cinq ans, c’est peu dans la vie d’un festival mais celui-ci est doué et précoce : en Usain Bolt des raouts internationaux, sorte de South by South West à taille humaine et à température plus North by North East, il est de plus en plus gros mais court de plus en plus vite, parle de plus en plus fort, dit de plus en plus de choses, et ce de manière de plus en plus intelligente.
De plus en plus de « délégués » du monde entier –programmateurs, patrons de salle, de festivals, des Canadiens, des Américains, des Français, une délégation chinoise. De plus en plus de moyens institutionnalisés et rendez-vous rodés pour que tout le monde puisse parler à tout le monde, avec le vrai plaisir des échanges tous azimuts ; des coquetèles, des speed-rencontres, des débats, des dîners, des goûters. Un rythme épuisant mais ultra-excitant pour qui, de l’aube à l’aube, essaie de participer à tout, pour qui, hectolitres de café et de jus d’orange, de bière locale chaque demi-heure, de taurine quand les nerfs tombent voire de calmants quand ils s’excitent, réussir à garder la fraîcheur minimale requise pour faire battre le cœur évident de l’événement : ses concerts.
Arrivés au deuxième soir, les concerts de mercredi ayant été, en off officiel (offofficiel ?), partagés avec d’autres chouettes festivals (Iceland Aiwaves et The Great Espace, dont Martin Elbourne est également le co-papa de M Pour Montréal), on a déjà de quoi être heureux, très heureux, d’être de la partie. Braids, d’abord. On était prévenus. On avait aimé ce qu’on avait vu et entendu sur l’Internet. On est immédiatement tombé en amour, assez fou, de ce qu’on a vu sur la scène du Café Campus. De plutôt jeunes garçons et filles très visiblement surdoués, très visiblement déjà capables d’épater le monde entier : chansons cérébrales, constructions obsédantes, groupe proche d’un Animal Collective un poil plus pop, malheureusement encore un peu sage sur scène, morceaux qui disent merde à la logique mais embrassent pleinement une profonde beauté, voix de Méduses glaçantes, on en reparlera, il le faudra, il faudra les revoir, c’est comme le craquelin pour le Malouin, c’est une nécessité.
Le même soir, les encore plus jeunes Islandais Retro Stefson ont fait plaisir à voir, au sens propre. Une large troupe à la pop acidulée et aux visages radieux, partie chercher certaines de ses racines en Afrique, essayant de toucher les étoiles de ses joliesses naïves –les Local Natives, cousins possibles, sont certes encore hors de portée, les chansons sont certes encore un peu cliniques, mais l’avenir est là, c’est certitude. Même soir toujours, on fera court sur le concert des furieux We Are Wolves, dont on ne se lassera jamais de hurler La grandeur à une Europe bizarrement pas encore conquise, injuste vieille terre : excellent, ravageur, de mieux en mieux, de plus en plus puissant, de plus en plus impressionnant, à voir absolument, encore, toujours.
Lendemain. Début du « véritable » M Pour Montreal, début des concerts en mitraillette au Cabaret Juste Pour Rire. Sept concerts en quelques heures, des sets courts, parfois difficiles pour des groupes lâchés devant un aréopage de blasés à badges, des sets plutôt pas mauvais pour la plupart des invités –l’ « hindi pop » bien troussée d’Elephant Stone, le classicisme pas désagréable des balades de Jason Bajada ne laisseront pas de grandes traces sur les âmes, du moins pas sur les nôtres, mais préparent agréablement les joues pour ce qui vient.
Ce qui vient est une énorme baffe, dont le claquement sec résonne encore dans toute la ville : PS I Love You, deux garçons qui sonnent comme s’ils étaient mille, un guitariste-chanteur rouquin énorme, au propre comme au figuré, physiquement ultra-impressionnant, penché sur sa guitare et derrière sa mèche grasse comme un geek possédé, un proto-rock ultra-efficace, aussi anguleux qu’il sait, éventuellement, aller chatouiller quelques miracles dans des mélodies sous-terraines sorties des enfers, des rythmiques à la précision démoniaque, et surtout de grandes grandes chansons. Un groupe génial, donc, dont il faudra également reparler, et vite, très vite.
Très très vite, c’est la manière dont on parlera de la seconde grosse claque de la soirée : Black Feelings. Très très vite parce que c’est ce qui définit sans doute le groupe -qui est par ailleurs, malgré tous les efforts, presque indéfinissable. Issu de l’excellente scène noise de la ville, le groupe, sa formation à trois mais son imparable armada sonique, son batteur frappadingue et ses chansons incandescentes sont un ouragan permanent, informe et carré à la fois, qui emporte tympans, logique et épuisement sur son passage.