M Pour Montréal, suite. Et M Pour Montréal, belle fin : la révélation Monogrenade, le drôle de Damien Robitaille, les toujours excitants la Patère Rose ou Misteur Valaire ont joliment clôt le festival québécois.
M POUR MONTREAL : VENDREDI 19
On savait que ça n’était pas fini, on n’imaginait pas à quel point ça ne faisait que commencer. M Pour Montréal, jour 2, ou 3 ou peut-être 12, on ne sait plus trop, l’épuisement guette mais l’excitation, en bras de fer démentiel, finit toujours par lui faire la peau. Dans les premiers frimas d’un hiver que les Montréalais attendent de radiateur ferme, et après un concert raté d’Hey Rosetta que nos envoyés spéciaux de confiance, sur place, nous ont décrit avec des étoiles dans les yeux comme fantabuleux, la série quotidienne de concert commence dans les velours et la soie, dans les beautés baroques et théâtrales des très belles chansons de Courtney Wing : des Belle Orchestre ou des Godpseed étant planqué dans les recoins rococos de ces morceaux ambitieux, le projet étant au croisement étrange entre opéra, pop et soul, la chose ne pouvait que nous plaire a priori. Ce qu’elle a fait, a posteriori –beaucoup, même. La suite sera encore plus belle : le retour d’Olivier Alary et de son Ensemble, et un concert vécu comme dans un nuage mousseux d’émotions indéfinissables, un concert regardé comme on observe, un figé de fascination et pendant de longues heures, les nuances infinies d’un tableau impressionniste ou pointilliste, des pleins et déliés magnifique et des arrangements magiques, la voix diaphane d’une sirène timide : grand, beau moment dans la Chapelle du Bon Pasteur.
Qui en annonce, crescendo impressionnant, un autre encore plus beau, peut-être, encore : le concert habité du déjà grand, oui oui, Leif Vollebek. Un garçon qui, en plus d’être d’une saisissante beauté, en plus de posséder une prestance qu’on ne croise pas à chaque coin de concert et une élégance absolue, peut déjà être considéré comme un grand songwriter classique, une grande voix pénétrante et acrobate, un garçon qui, dès le premier regard, dès les premières notes fragiles, happe l’attention sans jamais la lâcher –les deux brillants musiciens qui l’accompagnent, extraordinaires eux aussi, amplifient encore le phénomène sorcier. Une amie connaisseuse, Claire Morel, nous avait d’ailleurs prévenus : « Ce type est comme un vilebrequin pour les cœurs ». On pense qu’elle voulait plutôt dire chignole, mais on est à peu près d’accord : Leif Vollebeck, comme Ray LaMontagne, comme Devandra Banhart, comme Patrick Watson ou Bon Iver à qui on le compare souvent, sera bientôt dans tous les bleus à l’âme.
Quatre concerts, trois chocs : la journée commençait donc plutôt bien, plutôt très bien. La suite ? Du même acabit : du bon, du très bon, de l’excellent, du oulala. A tel point que l’esprit finit par ne plus séparer le grain de l’ivresse, signe d’une soirée à la richesse de Midas. Qui commence par une pétulance aussi battue et rebattue qu’étrangement attirante : Molly Rankin, petit modèle de nana adorable mais dont non n’aimerait pas subir les foudres sentimentales, qui mène sa troupe de garçons efficaces au doigt et à l’œil, qui fait revivre dans ses chansons carrées et joliment troussées les belles heures de la britpop de nanas ou de la pop US de filles à fort caractère. Pour résumer : pas transcendant, mais très excitant. La suite, les Barr Brothers, porte bien son nom : on avoue avoir suivi le concert, dans un Cabaret Juste pour Rire plein à craquer, aux alentours du bar. Ce qui n’a pas empêché de remarquer que la harpe se faisait trop rare dans le blues et que le groupe, d’une grande élégance, capable de beaux velours comme de rêches coups de trique, était déjà d’une maturité frôlant l’insolence et avait écrit une tripotée de morceaux plutôt très appréciés. Amateurs de boiseries à échardes et de forêts électrisées, vous êtes prévenus : vous pourriez adorer.
Pour adorer le groupe suivant, Metz, qui comme son nom ne l’indique pas vient bien de Vendée mais bien de Montréal, il faut avoir le cœur bien accroché, les tympans bien décrochés, des protège-tibias et pas mal de courage : le très très très remuant groupe et son post-punk brûlant a partagé les délégués amis entre admiration franche absolue et reconnaissance plus sobre d’une redoutable efficacité noise et d’une vraie violence visuelle. Il les a donc partagés entre le très très bon et le bon tout court : c’est quand même déjà pas mal.
En attendant la suite, qui restera sans doute comme la plus belle des confirmations des désirs présupposés et le grand moment du festival, Valleys embarque déjà ses auditeurs attentifs et prévenus de leur propre grandeur dans un sacré voyage. Encore un groupe aux goûts tranchés, à l’écriture vaporeuse et montagneuse russe affirmée, à l’univers déjà parfaitement dessiné. Comme Braids la veille, les trois jeunes gens sont de très fortes têtes et ont déjà écrit une belle poignée de grands morceaux : entre folk camé, à la fois médiéval et futuriste, post-un peu tout, cauchemardesque et doux-rêveur dans un même élan, sonique et intimiste, Valleys est déjà grand sur scène comme sur disque. Du moins sur MySpace.
Valleys, donc. Des creux et bosses, avant les bosses et le bleus : ceux provoqués par ce qui reste, on l’a déjà vaguement dit mais on ne se lassera pas de le répéter, comme la grosse révélation (certes attendue) de la cinquième édition de M Pour Montréal : Suuns. Sincèrement ? Difficilement définissable, une fois de plus –sans doute l’une des plus impressionnantes des qualités de nombre des groupes Canadiens, totalement et définitivement sorties des sentiers battus, rebattus, signalisés, ennuyeux. Suuns, exemple typique ces très rares groupes qui, dès qu’ils débarquent sur scène, redéfinissent à peu près tout ce qui vous entoure : des intimités génétiques à la géométrie euclidienne, des notions de temps et d’espace aux couleurs des sentiments, mais qui le font pourtant sans douleur ni pose expérimentalo-arty, qui le font naturellement et sans fermer aucune porte, à personne –bien au contraire. Suuns réinvente le big bang dans les éclats d’une rage absolument bouleversante : bien plus musclé et rock qu’en studio, où ils affolent déjà sacrément les papilles, Suuns est sur scène un spectacle extraordinaire pour les mirettes. Si la logique sonique et structurelle frappadingue des titres des Canadiens peut sembler difficilement appréhensible aux neurones seuls, les mouvements furieux de chacun des membres d’un groupe à la précision collective de chirurgien maniaque précisent et définissent le sens et la finalité de tout ce qui s’invente en permanence dans ce nouvel univers, de la naissance d’étoiles à l’explosion de vielles supernovae.
On pense aux Liars mais pas tout à fait, à TV On the Radio mais encore moins, à un Foals brutal, à des Klaxons sans le sucre, à un langage en pleine invention : on pense à Suuns et on a hâte, déjà, d’explorer à nouveau leurs dédales nucléaires. Dernier groupe, enfin, de la soirée : Random Recipe. On aimerait vous hurler que c’était excellent, encore meilleur que Suuns, pour avoir déjà vu le groupe il y a une quinzaine de mois et lui avoir trouvé un sacré potentiel à affiner avec l’âge, on imagine sans forcer que ce fut excellent, on fait même le pari que ce le fut réellement. Oui mais voilà : on avoue, on a honte, on n’y était pas. On se reprendra, les amis, promis.