L’épuisement a failli avoir le dessus, mais les corps et les esprits ont tenu bon pour l’ultime soirée de notre présence aux Transmusicales de Rennes : The Very Best, Mr Oizo ou Django Django ont ainsi joliment aidé au réveil des sens.
Vendredi – la Cité, le Parc des Expos
Jamais on ne remerciera assez Jean-Didier Houbon, René Cocacola ou Michel Vodkarèdeboule : ces hommes, héros méconnus, sauvent du naufrage soir après soir des festivaliers que l’extrême fatigue, dans des circonstances normales, auraient cloué au lit sans espoir de décollage.
Avant de faire appel à leurs services, en continu pendant une belle dizaine d’heures, notre jeudi commence ainsi plutôt mollement à la Cité, les deux hémisphères et le corps dans son ensemble abrutis par une veille légèrement tardive et épuisée. Vénérable et belle Cité où, comme à l’Ubu, les souvenirs sont aussi vieux qu’ils sont beaux qu’ils sont nombreux -chouette salle, donc. Mais l’esprit qui est encore dans la brume qui, 139% d’humidité, enveloppe Rennes cet après-midi aurait pu assez vite sombrer définitivement dans la ouate. Car ces sales hippies yankees de Brightblack Morning Light entament la triplette de concerts, et l’âme a alors très concrètement deux options. La première : s’emmerder fermement en laissant ces morceaux lents et sombres, sans fin, ni queue, ni tête, prendre le dessus sur l’épuisement. La seconde : adhérer, voire supergluer sans lutter, aux arabesques psychédéliques, droguées, noires, tangentes et tordues des Américains, se lover dans ces chansons aux angles chancelants, aux cultes noirs. Chance, l’âme fait un effort et choisit la seconde solution.
Chance parce qu’il lui fallait sacrément aiguiser ses attentions pour ce qui allait suivre. « Wowowow youhou yeepee ! ». « Le concert du festival, ah ouais, clairement ». « La claque, bordel, la claque ! « . « Jamais vu un truc comme ça ». On a tout entendu, et on a toujours été d’accord. Ce qui allait suivre, c’était Gablé, et Gablé est, c’est clair, de l’amour en barre, de l’admiration instantanée, du génie au kilo, un truc incroyable, un groupe extraordinaire, un concert magique, des bananes infinies sur des visages définitivement réveillés. Décrire ? Une sorte de Tunng musclé et à la française. Un Animal Collective très pop mais tout aussi fouineur. Du folk de l’an 3254, venus de forêts où les bois poussent à l’envers et les villes sous la terre. Des bricolages ahurissants, autant d’idées dans un seul morceau que dans trois ans d’écoutes intensives de groupes que l’on pensait pourtant inventifs. Des chansons totalement dézinguées par un sens de l’illogisme absolument admirable. Des mélodies à se vendre au diable. Et un concert totalement maboule, visuel, inventif jusqu’à la déraison, un évènement par seconde –il s’est d’ailleurs passé tellement de choses qu’on aurait du mal, pas encore tout à fait redescendu des étoiles, à tout relater. On va pourtant tenter. Un univers sonore passionnant, perdu entre boiseries délicates, déflagrations acoustiques, cordes belles et/ou vicelardes, électronique frappadingue, ronde et frappante, rythmiques à rebondir dans la joie, chant possédé. Un groupe qui tourne, tourne, tourne jusqu’au tournis. Qui des fois (une fois, en l’occurrence) bondit sur scène comme un bel ensemble de kangourous hilares. Qui des fois pédale derrière la batterie avec ses pieds. Qui des fois, dans son souffle et sa capacité à saisir le public sans jamais le lâcher, fait penser à Arcade Fire. Et, surtout, qui des fois se fait accompagner par une imposante chorale locale, une vingtaine de personnes en fond de scène, qui : chantent, logique, jouent chacun d’une guitare, moins logique et visuellement hallucinant, envoient leur doyenne en devant de scène chanter une vieille ode traditionnelle à la Normandie portée par la musique moderniste des Caennais. Le moment le plus bouleversant d’un concert dont les idées, les rêves, les préconçus musicaux sortent de toute façon changés pour longtemps.
Alors qu’on croyait ce genre éteins depuis Jean Jacques Goldman, Cass McCombs ressuscite le style du chanteur à col roulé. Et on s’en serait bien passé. Avec des ballades pop folks poussives et sans grande consistance, la musique de notre ami Cass nous fait autant d’effet qu’une galette-saucisse : c’est assez bon au début mais on en est vite écœuré. Surtout après la claque que nous a asséné Gablé juste avant, Cass McCombs ne parvient pas à sortir de son marasme pseudo mélancolique pour nous faire décoller. Et on ne peut pas dire non plus que le style blonde platine/chemise de bucheron de ses acolytes féminins rende la chose plus attrayante. Grosse déception donc pour un artiste dans lequel on plaçait pourtant beaucoup d’espoirs.
Direction, ensuite, le Parc des Expos. Pas la même histoire. Pas le Liberté, pas le charme du centre, de grands hangars qui ne facilitent pas toujours la fusion des chairs et le contact entre les groupes et des publics volatiles. Des concerts en mitraillette permanente, qui obligent à des choix parfois cruels, parfois heureux, parfois malheureux. Mais un tel espace que l’on s’y sent libre -paradoxalement plus libre qu’au Liberté, donc.
On déboule en plein set de FM Belfast qui, comme son nom l’indique assez peu clairement, est l’une des récentes petites sensations venues d’Islande –la faillite de la nation congelée n’est pas, c’est une évidence, celle de sa musique. La petite troupe stylée, looks de nerds, de clercs de notaires dégénérés aux nœuds papillons troisième degré, fait penser à une version nordique et moins expérimentale de Hot Chip, à un Whitest Boy Alive gavé aux testostérones, à un Gus Gus pour demain et après -demain. Synthétique, se permettant des incartades ultra-pop à l’extrême limite du bon goût et du second degré, drôle sur scène –la troupe au complet se retrouve en bas lors de son tube consacré aux sous-vêtements- et plutôt très efficace, les Islandais ne réinventent pas le fil à couper l’eau tiède mais font leur joli petit effet : il est encore tôt, le hall est froid, le sang pas alcoolisés mais les bras sont déjà en l’air, les sourires sont déjà crampés et les membres très actifs. Hop hop hop, on file voire Gaggle, troupe de choristes britonnes, grimées et satinées, pop et hop hop hop : le concept est amusant mais les chansons sont plutôt aux abonnées absentes, donc hop hop hop on retourne au bar blablater entre professionnels de la profession.
Un des membres de Lost Valentinos ayant été victime d’un accident de voiture (rien de grave heureusement), c’est Slow Joe accompagné de The Ginger Accident (décidemment) qui les remplace au pied levé. On l’avait manqué mercredi, quelle ne fut pas notre bonheur de le retrouver là, par surprise. Ce vieil indien à la très grande classe parvient à se muer en Elvis Presley tant la voix et la présence du crooner sont impressionnante. Il est tellement investi dans sa musique que les français de The Ginger Accident ne parviennent pas vraiment à le suivre dans ses délires. Mention spéciale cependant pour le clavier qui a sonné ce soir à la perfection avec des sonorités blues au combien chaudes et séduisantes.
Avant l’autre grand moment de la soirée, un passage plutôt sans avis ferme et définitif devant les Ecossais de Phantom Band : le groupe est efficace, a un son grand comme le Texas, quelques morceaux aux angles, mélodies, torsions et harmonies assez formidables, on lui promet le grand soir, et même à manger et à boire, on a envie d’adhérer, mais un téflon incompréhensible -la voix du chanteur, qui ne colle pas au rock à tendance kraut de ses accompagnateurs- fait que l’on reste un peu sur notre fringale, qu’on aime plutôt bien sans adorer complètement. Peut-être étions-nous déjà plongés, mentalement, dans ce qui allait, pour nous, suivre.
[attachment id=298]Soit concert que l’on attendait le plus du festival, sans grand risque de se tromper : Fever Ray. L’obsédant album de la Knife et suédoise Karin Dreijer Andersson est sans doute l’un de ceux que l’on a le plus usé, abusé, surabusé de l’année. Les cauchemars qu’il développe, les flous qu’il installe entre réalités tangibles et cultes sombres, entre humanité et animalité, entre sexes opposés mais mêlés dans un genre nouveau sont certainement ceux dans lesquels on a le plus aimé se paumer, en pâmoison, en 2009. Si on savait, par avis autorisés interposés et par lectures 2.0, que ses concerts ne décevaient pas, on ne pouvait imaginer qu’ils étaient à ce point capables de transcender, de décupler, de raviver, de retranscrire les concepts intimes de Dreijer, leur puissance, leur mythologie, leur mystère brumeux –un spectacle rebrousse poils et chairdepoulant. La scénographie est éblouissante, les effets spéciaux faramineux. Sous un plafond de lumières glauques et vertes, mécaniques et menaçantes, dans une semi obscurité que n’illuminent que de d’antiques lampes de maison hantée et qui ne laisse apparaître que des ombres fantomatiques, des formes fantasmatiques, sous des costumes informes, énormes, lovecraftiens, le groupe et sa sorcière en chef mènent une fête païenne et sauvage, sexuelle et froide, étrange et fascinante. Les morceaux de Fever Ray, ce chef d’œuvre, trouvent une puissance sonore qu’on ne soupçonnait pas, leur synthétisme se fait de chair et de sang, la voix de Dreijer est une merveille de possession satanique. Incroyable, de bout en bout.
Il faudra s’en remettre, et vite, pourtant : c’est l’heure de Major Lazer.
Ca trépigne, ca trépigne avant l’arrivé sur scène de Diplo et son tout nouveau projet. L’album jouissait d’un prestige certain auprès des amateurs d’électro et de ragga. Véritable bordel musical très inspiré de a musique jamaïquaine, il s’écoutait et se réécoutait à foison. On s’attendait légitimement à un show moite et puissant. Quelle ne fut pas notre déception. Sans doute victime de son succès, Major Lazer est entré dans un conformisme affligent avec des rythmes électro basiques et un MC qui parfois ferait mieux de se faire oublier. L’efficacité est là, certes, mais ce n’est pas aussi jouissif que ce que nous promettait l’album -mais comment tenir la route en live, quand sur un disque épatant apparaissent les immenses Mr Lex et Santigold. On reste donc assez largement sur notre faim.
Décidément en force, la Suède n’a pas encore frappé son dernier beat. The Field, qui finira par achever les bonnes volontés et mettre au pas les dernières résistances, ont livré devant un aréopage plutôt clairsemé mais clairement très amateur un set d’une efficacité et d’une puissance guinchante redoutables. The Field et ses bras qui remuent leurs instruments comme le paysan retourne sa terre a surtout été la preuve vivante et suante que la musique à danser comme un insecte frappadingue peut aussi se faire avec des laptops en sourdine mais des guitares vivantes, des basses vibrantes, une batterie cogneuse -et des morceaux aux formes plus humaines que n’importe quel amas de cases colorées dans un software de M.A.O.
Si Major Lazer a un peu déçu, le mélange électro ragga et hip hop prendra plus facilement avec les Solillaquists of Sound. C’est authentique, les deux chanteuses et Assan Brooks se donnent à fond. Même s’il est 3 h du matin et que le public a été très largement achevé par le set imparable d’Aeroplane, les jambes bougent encore, les bras se lèvent et c’est reparti pour un tour. Et on n’a franchement plus envie de quitter le Hall 9 du parc expo tellement la chaleur y est tropicale et les rythmes entrainants. Mais c’est sans compter l’arrivée de Module Club sur la scène du Hall 4, porté par le sémillant Dan alias Dj Good Feeling (et on comprend pourquoi) et Steph, ex-Darlin’Nikki. Ca cogne dur et ça remue sec, même s’il l’heure est très tardive. Alliant techno anglaise et electro french touch, ils parviennent à faire le bonheur de tous et à nous soutirer les dernière forces qui nous restent avant d’aller profiter d’un sommeil salvateur.
Thomas Burgel et Jérémy Platini