Kelis, Mount Kimbie, un rabbin, Angel Haze, des films pornos : on était au Sziget et on vous raconte tout de cet étrange festival qui mixe géants de la pop et groupes indés, un esprit DIY et des airs de fête foraine.
Entre Buda et Pest, au milieu du Danube, se trouve l’île d’Obuda. Chaque année cette dernière accueille des centaines de milliers de festivaliers (415 000 en 2014 selon le communiqué de presse) et des centaines d’artistes. Mais le Sziget est loin de n’être qu’une question de musique. Le festival, avec ses allures de kermesse complètement barrée, regorge de stands et d’activités, des plus étranges (10 forints pour poser une question à un rabbin) aux plus sensationnalistes (le classique saut à l’élastique).
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En arrivant la tête nous tourne. Difficile de se repérer dans ce gigantesque lieu où la foule est parfois très dense. On découvre d’emblée une population hétéroclite où se croisent hipsters aux cheveux fleuris, hippies en quête d’un Burning Man à l’européenne et festivaliers à l’esprit « Full Moon Party ». Difficile de faire la synthèse de ce festival plein de paradoxes, surtout lorsqu’on n’y reste que le temps d’un week-end.
Le Sziget ne dort jamais. Les dernières sonos s’éteignent au petit matin et les premières crachent dès midi. Tout l’enjeu est donc de faire des choix, mais aussi de se laisser surprendre. Côté musique, donc, on ouvre les festivités avec la scène « A38 », caution indé du festival (London Grammar, Darkside, Jagwar Ma…). En attendant qu’Angel Haze arrive, son DJ enchaine M.I.A et autres Estelle pour chauffer le public. Sans surprise, la Détroitienne joue la grandiloquence et annonce d’emblée que c’est l’un de ses derniers concerts. Mais connaissant la tendance de la diva pour le barouf médiatique, l’information est à prendre avec des pincettes. Le set, lui, est plutôt carré. La rappeuse se fait plaisir sur des instrus bien lourdes et déroule un flow parfois un peu lisse, même si les bombes comme Werkin Girls ne laissent aucun doute sur son potentiel.
On avait prévu d’enchaîner directement sur Kelis et de cueillir les perles soul issues de son dernier album, malheureusement la scène souffre de quelques problèmes techniques. On part donc se balader. On a le temps de se faire chanter joyeux anniversaire par une bande d’Anglaises ivres, de chopper une currywürst et de jeter un rapide coup d’œil aux Hongrois de Brains que le concert de Kelis n’a pas commencé. Elle arrive donc sous les huées mais calme les esprits en une paire de tubes. Elle commence par balancer ses Millionaire, Milkshake et autres Trick Me à la sauce Food avant d’enchaîner les morceaux dudit album. Comme on pouvait s’y attendre, Kelis fait preuve d’une grande maîtrise et gère le concert sans même un back up vocal. On se tape quelques frissons. C’est ensuite au tour des Klaxons, plus rapides à arriver sur scène mais que l’on quitte au milieu d’un set-autoroute un poil cheap et pompier.
Direction le Magic Mirror, chapiteau LGBT du festival qui a invité le teuton nd_Baumecker, résident du Berghain. Ça tabasse sec avec ce qu’il faut de groove, et le set tranche avec le reste des DJ entraperçus ce week end, souvent plus proches de l’eurodance qu’autre chose. Sans doute le meilleur set que l’on ai vu avec celui de Siriusmo. En plein dimanche après midi, ce dernier nous aura donné envie de réenfiler des sneakers montantes et fluo grâce à un set hip-house plutôt efficace. Un petit bémol tout de même pour la conclusion « ronesque » un peu bancale.
Du samedi, on retiendra surtout ces vieux routards de Prodigy qui balancent un breakbeat épais comme à leur habitude. Du fond de la grande scène, le set manque un peu de puissance et le groupe passe le début du concert à se faire mousser. Ce qui provoque quelques cris énervés (« Give us some fucking music », s’exclame non sans raison un festivalier Anglais). On loupe malheureusement Jagwar Ma, trop occupés à mater la sélection proposée par le Berlin Porn Film Festival.
On se rattrape avec Wild Beasts. Le groupe n’est pas si sauvage, et ses morceaux sont bien plus jolis lorsqu’ils se calment sur les basses. Ces fauves apprivoisés livrent un set plein de percussions chaudes et mates devant un parterre clairsemé. On achève cette seconde journée relativement tôt, et on tente de trouver un peu de sommeil, coincé entre les tentes de quatre Français décidés à faire de leur séjour au Sziget une Perfect Week.
Le dimanche aussi livrera son quota de surprises et de retrouvailles. Après le set de Siriusmo, déjà évoqué plus haut, et un tour au Luminarium (une construction en plastique multicolore à mi-chemin entre un corps humain et un vaisseau spatial), on se dirige vers Mount Kimbie. Ces hérauts du post-dubstep anglais livrent un set tranquille et parfois un peu (trop) vaporeux. Le duo, devenu sur scène trio, s’échange pas mal les instruments et chante assez peu. Le concert s’écoule calmement et il faut attendre les deux tiers du set pour entendre un Made to Stray qui nous donne enfin envie de décoller les pieds du sol.
Après cette mise en bouche, on file donc sur la grande scène prendre une leçon de hip hop old school par Outkast. Les tubes de Speakerboxxx/The Love Below s’enchaînent et le Hootie Hoo du premier album (1994) nous colle un coup de nostalgie. Andre 3000 n’a rien perdu de son charisme mais un « c’était ça le hip hop avant ? » se lit sur la tête de certains kids. Qu’importe, on apprécie à sa juste valeur la maitrise du duo, sur un soleil couchant, au milieu d’une foule compacte. Au fait, quelqu’un dira aux caméramans qu’il n’y a pas que des filles aux poitrines fournies dans le public (on a battu le record de gros plans, loin devant la Coupe du Monde) ?
Juste après, et toujours sur la grande scène, c’est Calvin Harris qui est en charge de clôturer cette semaine un peu folle. L’Anglais mixe Icona Pop et Justice à la truelle, mais la ferveur qui se dégage de la foule est ahurissante. La grand-messe se fait à renforts de serpentins, de bâtons luminescents jetés dans le public et de pyrotechnie : on est fasciné.
Le réconfort, on le trouvera auprès de La Roux qui – malgré un second album moyen – déroule des tubes 80’s estivaux d’une efficacité certaine. On se rend compte que la demoiselle est une véritable icône gay lorsqu’on assiste au pugilat de deux bears pour les beaux yeux d’un garçon (le tout sur un Quicksand qui n’a rien perdu de son potentiel). En plein milieu du concert, on flippe un peu de pétarades que l’on entend. Heureusement, on comprend vite que c’est le feu d’artifices final qui démarre sur la grande scène. Pour couvrir le bruit, les techniciens n’ont rien trouvé de mieux que de mettre le volume de la scène au max, manquant de peu de nous faire péter les tympans. Aie. On se recule pour terminer de suivre le concert de loin, il se clôture sur un Bulletproof nickel.
On terminera le festival sur Darkside, dont on apprenait la séparation le matin même. Le set s’ouvre sur des nappes mélancoliques, tendres et presque mélodiques. Ou peut-être est-ce la triste nouvelle qui nous fait cet effet ? Quoi qu’il en soit, après quelques minutes grises et planantes, on retrouve le Darkside que l’on connaît : bruitiste, foisonnant, mais moins avare en groove et en basses que d’ordinaire. Un dernier petit tour de l’Île avant le départ final nous fera découvrir à quoi ressemble la grande scène après une telle débauche d’effets, et l’on navigue désormais entre des festivaliers bien décidés à rester au Sziget jusqu’au dernier moment (lundi 8h) et ceux déjà sur le chemin du retour.
Pour notre part, on n’est pas sûr de s’être bien remis de ce paradoxal festival. D’un côté le Sziget défend une vision de la débrouille et un esprit collectif, de l’autre le billet pour cinq jours de festival (209€) coûte plus de la moitié du salaire minimum hongrois (environ 350€). Quant à la programmation, on a pu voir s’enchaîner sur une même scène Wild Beasts, Crystal Fighter et Quentin Mosimann, ou découvrir le même jour Bonobo, Macklemore et Lily Allen.
On y a donc vu des mastodontes mainstream comme des groupes indés, croisé des festivaliers bouillants comme des promeneurs en famille, et aperçu des artistes en herbe construisant des sculptures en matière recyclable à côté d’une enseigne McDo. Le Sziget est peut-être à l’image du pays : à cheval entre un passé communiste et un capitalisme galopant. Quoi qu’il en soit on vous prévient : on n’en sort pas indemne.
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