Comme chaque année, le festival espagnol a été à la hauteur de nos attentes malgré une programmation bien plus sombre que l’année précédente : 140 000 festivaliers, 267 concerts sur quatre jours et la reformation, après dix ans d’absence, de Pulp. Récit.
Jeudi 26 mai
La journée de jeudi commence avec une bonne nouvelle : si l’on s’en tient aux prédictions de la météo espagnole, il ne devrait pas pleuvoir cette année au Primavera Sound. Meilleur festival du printemps (voire de l’univers), l’évènement espagnol qui se tient près de la plage dans le Parc du Forum est bien plus agréable à arpenter en short et tongs qu’en K-way, surtout lorsqu’il s’agit d’écouter les adorables (mais visiblement fatigués) Cults, dont la pop sixties et les slows d’un autre âge prennent tout leur pouvoir chauffés par les rayons du soleil.
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Du côté de la grande scène, c’est avec Of Montreal que la température monte d’un cran. Les frappadingues américains, très en forme et plus nombreux que d’habitude, livrent une (ker)messe funk, sexy et bordélique qu’on n’oubliera pas de sitôt – mention spéciale au combat de catch pendant Suffer For Fashion et au béret de Kevin Barnes, en micro-short et collants rouges.
Un hot-dog à la main après avoir croisé ce cher Jarvis Cocker, venu en touriste avant le très attendu concert de reformation de Pulp le lendemain, on fonce du côté de la scène Ray-Ban, gigantesque amphithéâtre en plein air où Big Boi s’applique à montrer au public ce que peut être un gros show hip-hop US. Les hanches s’agitent dans tous les coins lorsque le groupe repend Ms. Jackson d’Outkast et on salue les prestations remarquables des apprenti-Beyonce convoquées sur scène pour l’occasion.
Alors qu’on court à l’autre bout du site en pensant avoir vu le nom de Public Enemy sur le programme (il s’agissait en fait de Public Image Limited mais il faut dire qu’on ne lit pas très bien dans le noir), c’est avec Connan Mockasin que d’autres passent la soirée. Malgré des problèmes de son, le Néo-Zélandais impressionne : il n’y a qu’à voir l’immense foule massée devant la scène Vice chanter en chœur Forever Dolphin Love pour comprendre que la pop du chanteur à de très beaux jours devant elle.
Pendant que l’on regarde, amusées, les Klaxons, venus eux aussi en touristes, s’étreindrent lors d’émouvantes retrouvailles, Grinderman arrive sur scène pour un concert qui pourrait tout aussi bien annoncer l’apocalypse que la provoquer. Plus charismatique que jamais, Nick Cave, dont la classe mondiale n’a plus à être démontrer, fait figure d’antéchrist après la pop fofolle d’Of Montreal : son énorme, voix possédée, l’Australien met une violente claque à la foule qui commençait à piquer du nez après une journée intense, avant de la sommer de quitter son concert avant la fin pour ne pas rater celui, tout aussi impressionnant et puissant, de Suicide à qui il dédie sa prestation.
Après un passage express au concert de The Walkmen, apaisant retour au calme pourtant perturbé par la grande cérémonie de Grinderman (« qui joue sur l’autre scène ? » demande d’ailleurs le leader des New-Yorkais), c’est donc dans les bras d’Alan Vega, 73 ans, et de Martin Rev que l’on passe un moment troublant – le niveau sonore du concert de Suicide est à 12 sur l’échelle de My Bloody Valentine – avant de courir au show des remuants Das Racist, très bonne surprise du festival. A l’aise sur scène comme dans leur piaule new-yorkaise (l’un d’eux finira en caleçon, tranquillou), les trois zozos au hip-hop blagueur réussissent à captiver le public, qui avait malheureusement pour eux le choix, à la même heure, entre Suicide donc, Interpol et Caribou dont le show électrique sera l’un des plus grands moments du weekend – Odessa a rarement été aussi entêtante qu’au milieu de milliers de festivaliers exaltés.
Exaltée, la foule l’est tout autant au grand concert des Flaming Lips, où ballon, confettis et serpentins trouvent comme toujours une place de choix tandis que Wayne Coyne surfe sur le public dans une bulle en plastique géante et que Kevin Barnes, sur le côté de scène avec son groupe, roule une énorme pelle à son guitariste façon Super Bowl lorsque les caméras se braquent sur eux. Comme à leur habitude, les Américains commencent leur concert comme certains le finissent : en une énorme fête de fin d’année sur laquelle on terminera la nuit, épuisées.
Vendredi 27 mai
La fin d’après-midi se passe sous le signe d’Avi Buffalo, visiblement totalement bilingues en espagnol, qui donnent un concert parfait pour débuter cette nouvelle journée de festival tandis que plus tard, James Blake rafle la mise sur la scène Pitchfork avec son groupe devant une foule toute dédiée à sa cause.
Après le concert mitigé d’Ariel Pink’s Haunted Graffiti, et un passage éclair au concert de Pere Ubu, venu jouer The Annotated Modern Dance, direction la grande scène de nouveau pour celui de Belle & Sebastian. Très attendus, les Ecossais déçoivent pourtant : malgré le sourire imperturbable de Stuart Murdoch et un son parfait, le concert peine à démarrer et retombe vite comme un soufflet, tout comme celui de Twin Shadow, plutôt mou. On leur préfèrera le set poignant et tendre de Low, probablement l’un des groupes les plus touchant de la scène rock actuelle et le post-rock massif d’Explosion in the Sky.
On croise Sufjan Stevens en short venu au festival pour deux concerts qu’on ne verra malheureusement pas puisqu’accessibles sous réservation seulement et déjà complet à notre arrivée, puis course à travers le festival pour atteindre la très (très) lointaine scène Llevant où jouent Deerhunter. Le groupe fait son grand retour à Primavera, et semble très heureux d’être là. Si le son mériterait quelques corrections, l’ambiance elle, est électrique, parfaite préchauffe du concert de Pulp qui se tiendra quelques minutes plus tard.
Sur la (longue) route qui mène à la grande scène, on s’arrête devant Javiera Mena, chanteuse chilienne, croisement entre Florence and The Machine et Kylie Minogue, dont le public, entièrement espagnol, semble connaître toutes les paroles.
1h45 : un P violet géant s’allume sur la scène San Miguel. Suivent le U, le P et le L : Pulp est de retour après dix ans d’absence et l’intégralité des festivaliers présents est bien décidée à le fêter. En costard-cravate, Jarvis Cocker s’avance sous les hurlements et débute son one-man show à la fois drôle, classieux, touchant et gentiment maladroit. « Ce soir nous ne sommes pas là pour parler d’histoire ancienne, mais pour la faire » lâche de Britannique après un Do You Remember The First Time éclatant. Les six Anglais ne sont en effet pas là pour évoquer le passé mais pour montrer que dix ans après, leur brit-pop n’a pas pris une ride : de Disco 2000 à I Spy, de Sunrise à Underwear, entamée par un Cocker aux déhanchements sensuels après une demande en mariage d’un spectateur à sa copine dans le public, le groupe n’a rien perdu de sa classe, son cynisme si britannique et son sens de l’humour. Le set, conclu sur Common People et Razzmatazz laisse bouche bée : comme Blur il y a deux ans, Pulp signe un retour à la vie grandiose dont on n’est pas près de se remettre.
La redescente sera de courte durée puisque c’est avec le dubstep de l’ingénieux Jamie xx que l’on continue la nuit pendant laquelle on apprendra d’ailleurs la mort de Gil-Scott Heron, dont le jeune Anglais a récemment remixé l’album I’m New Here. Brillant, Jamie xx entraîne la foule avec ses mix risqués, entêtants et physiques – celui du Rolling In The Deep d’Adele concluant le set alors que quelques gouttes de pluie tombent sur le Parc du Forum.
Alors qu’on se sépare sur le chemin de la scène Llevant, on apprend que le show de Simian Mobile Disco a été avancé et vient de se terminer : ce sera l’occasion de voir le duo français Carte Blanche mettre le feu aux plantes des pieds déjà surchauffées des spectateurs tandis que Battles livre un show épileptique et très pointu sur la scène Ray Ban. Il est 5h, Barcelone ne s’éveille pas : elle n’est pas encore couchée.
Samedi 28 mai
Le dernier jour au Parc du Forum débute avec The Soft Moon. Malgré un set intense, ancré dans la new wave anglaise des eighties, on regrette que le groupe ait été programmé si tôt sur une scène aussi grande. Leur succède Warpaint : son très mauvais voire même assez pauvre, les Californiennes font pâles figures à côté de leurs compatriotes. Le couperet tombe après quelques titres : « rubbish band of connasses » nous déclare notre collègue anglaise. Il est temps de partir rejoindre le centre du festival en écoutant, sur le chemin, la pop ensoleillée des Papas Fritas (qui du coup nous donne faim).
Hot-dog en main comme d’habitude, on se laisse porter par la sublime folk des Fleet Foxes qui donnent un concert d’une incroyable beauté, au soleil couchant. Autre très beau moment : la captivante tUnE-yArDs qui, de sa voix profonde et puissante, armée de percussions et de ses pédales de loop, nous collent la claque surprise du festival.
Gros coup de mou devant Gonjasufi, qui essuie de gros problèmes de son et ne réussit pas à rendre justice à son rock pourtant convainquant, ainsi que devant Money Mark, qui joue quant à lui devant une foule clairsemée, match de finale de League des Champions FC Barcelone – Manchester United oblige.
On laisse PJ Harvey se débattre sur la grande scène pour aller voir Matthew Dear sur la scène Pitchfork. Avec son électro-pop eighties, l’Américain conquiert les cœurs et les jambes du public et on ne peut que fondre lorsqu’il lâche de sa voix sexy « Hello, my name is Matthew Dear… ». Plus musclé mais aussi plus drôle, les Portoricains de Davila 666 ravagent la scène Vice au son de leur punk instinctif dont on ne verra malheureusement que quelques titres pour cause de concert de Mogwai à l’autre bout du festival. Nullement assagi, le combo brille par sa vigueur et son don pour élever ses titres très haut au dessus du sol, tandis que du côté du Jon Spencer Blues Explosion sur la scène ATP, il s’agit plutôt de se rouler par terre dans un rock graveleux et physique porté par la classe folle de Monsieur Spencer.
Autre genre, autre siècle puisque l’on poursuit la nuit avec le hip-hop coup de poing d’Odd Future. Mené par le (très) grand et pourtant si jeune Tyler The Creator, le collectif s’escrime à enflammer la scène Pitchfork sans concession. Ça rebondit, ça hurle, ça menace, ça saute dans le public violement – Tyler gagne d’ailleurs le prix du meilleur slam dans le public, détrônant ainsi de la première marche du podium celui de Jared Swilley des Black Lips au Heaven de Londres il y a quelques années. On ne sait plus vraiment où donner de la tête mais on est sûres d’une chose : autant l’agiter de concert avec le reste du public qui finira d’ailleurs sur la scène à la fin du show lors d’une gigantesque stage invasion.
On poursuit dans une toute autre ambiance puisque c’est avec Animal Collective que se clôturera le festival sur la grande scène du Parc Du Forum. Inspiré, possédé, tordu, le groupe entraîne le public dans sa cérémonie pop avec une ferveur proche de l’extase. La nuit se terminera sur la même note avec le set de DJ Shadow qui tiendra tout le monde en haleine jusqu’au petit matin.
Le lendemain, au magnifique Poble Espagnol, ce sera au tour de Mercury Rev de conclure le Primavera festival avec un concert parfois légèrement cliché, souvent touchant, où le groupe rejouera en entier son Deserters’ Songs dont une version planante de Holes. Muchas gracias Primavera, à l’année prochaine.
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