Le musicien était de passage sur la scène de la salle parisienne ce mardi 11 octobre, pour le premier round de sa trilogie de concerts dans la capitale. Une prestation au-delà des espérances, qui fixe à tout jamais Dylan dans la légende.
Il y avait du beau linge, mardi 11 octobre, boulevard Poissonnière. Avec un confrère, dans un bar voisin de la salle du Grand Rex, où Bob Dylan doit jouer le premier round de sa trilogie de concerts parisiens, on croit même reconnaître Mark Lanegan. Dylan pourrait-il ressusciter les morts ? “John Locke n’aurait pas pu faire du rock, mais Dylan aurait pu écrire Essai sur l’entendement humain. Sauf qu’il aurait appelé ça Like a Rolling Stone”, écrivait un pote du critique rock Lester Bangs. Dès lors, qui pourrait l’empêcher d’avoir un droit de regard sur ce qu’il se passe au royaume des cieux ?
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Malgré les honneurs, les pouvoirs surnaturels qui lui ont été prêtés et la place d’autorité morale supérieure qu’il semble occuper et dont il se fout éperdument depuis belle lurette, le Nobel de littérature n’est pas le genre de type à se faire oublier. Disons simplement qu’il sait se faire discret. “Attitude indigne, même pas un petit ‘Bonjour Bayonne’”, pouvait-on lire dans les commentaires d’un article consacré à l’une de ses prestations lives en 2015. Et pourquoi pas une queue leu-leu, un feu d’artifice et une entrée fracassante de l’artiste à bord d’une vieille Cadillac qui descend du plafond ? À quoi s’attendent les gens quand ils se déplacent pour voir Bob Dylan sur scène ?
Une chanson, c’est mille chansons
Hier soir au Grand Rex, Dylan a présenté ses musiciens à la salle et remercié le public. Mais plus important, il a livré une prestation inoubliable, soutenu par un band de qualité supérieure. C’est dans la pénombre classieuse d’une salle éclairée à la bougie que s’est ainsi ouvert le show : une introduction instrumentale maîtrisée, puis l’apparition de Bob derrière son piano (il joue debout, c’est peut-être un détail pour vous…), qu’il ne quittera qu’à deux ou trois reprises durant le concert, pour saluer respectueusement les spectateur·trices. Il n’empêche, les deux premiers titres, Watching the River Flow et Most Likely You Go Your Way (And I’ll Go Mine), jaillissent dans la douleur, la voix du chanteur venant s’écraser dans le micro comme l’océan sur les rochers un jour de tempête. Et puis on prend le pli, on accepte la façon que le vieux Bob a de dilapider ses mots, de chanter I’ve Made Up My Mind to Give Myself to You comme s’il chantait Key West (Philosopher Pirate), qui, elle-même, ressemble de loin à Not Dark Yet (qui ne figure pas sur la setlist du jour).
Comme on pouvait s’y attendre, la setlist ne bouge pas. Le Rough and Rowdy Ways Tour fait la part belle à Rough and Rowdy Ways (2020), son dernier album, avec des versions plus ou moins décharnées de I Contain Multitudes et Black Rider (sa voix est plus accidentée que jamais ici, donnant à la somme du morceau une aura chaude et flippante à la fois) et des moments plus épiques, durant lesquels Dylan s’abandonne complètement, pris dans la matrice étirable à l’infini de ses chansons (Mother of Muses, spectral et Goodbye Jimmy Reed, volcanique). Au rayon des vieilleries, I’ll Be You’re Baby Tonight (époque John Wesley Harding) et surtout Gotta Serve Somebody (morceau d’ouverture de l’album Slow Train Coming) sont transfigurées. Il y a mille chansons dans la première, tandis que la deuxième est à la limite d’atteindre les sommets du prog rock.
Joey Starr en trottinette
Le concert se termine avec Every Grain of Sand, grand morceau de confession devant l’éternel, avant liquidation totale. Rares sont les moments où l’on assiste à une telle ovation pour un artiste. Rares sont les artistes qui prennent autant soin à faire vivre leurs chansons. Comme une bande de Maverick de western, le groupe, avec Dylan au milieu, fait face au public dans un ultime geste immobile, marque de respect pour celleux qui sont venu·es les écouter.
Dehors, au milieu de la foule qui stagne dans la rue Poissonnière, adjacente à l’entrée du Grand Rex, un cri vient perturber les échanges ébahis : “PAAARRDDOONN JE PAAASSEE”. C’est Joey Starr en trottinette.
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