Dans les jardins de la Villa Médicis, la 4e édition du festival Villa Aperta a vu se croiser Concrete Knives, The Master Musicians of Joujouka, Erol Alkan, Terakaft, Arnaud Rebotini, Klaxons ou encore Christine & The Queens pour quatre jours de concerts dans un lieu surréaliste. On y était, on vous raconte.
La surprise : Concrete Knives
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On connaissait les talents scéniques des jeunes normands, mais on était un peu perplexe quant à leur programmation dans le cadre de la soirée consacrée aux musiques du monde – premier jour du festival pour nous puisqu’arrivés le lendemain de la soirée d’ouverture avec Claire Diterzi et Laetitia Sadier. World music Concrete Knives ? « Heavy world » répond leur fascinante chanteuse Morgane Colas. Et au fur et à mesure que le set des Français avance, on comprend ce qu’elle veut dire : tenu par une batterie tribale et une guitare aux sonorités parfois clairement caribéennes, le rock de Concrete Knives se transforme en hybride de riffs abrasifs et de mélodies chaudes qu’on situent géographiquement bien au-dessous de Caen dont le groupe est originaire. De Africanize à Wallpaper en passant par une reprise délirante de Here Comes The Hotstepper de Ini Kamoze, les six jeunes gens modernes, pieds nus sur scène et portés par une énergie toute juvénile, ont déroulé leurs titres comme si c’était la dernière fois. Ou comment Kurt Cobain s’invitent à une fête zoulou sans frontière.
Le voyage : Klaxons
On ne parlera pas de voyage en terre inconnue ici, mais plutôt de voyage dans le passé. Il est pas loin de minuit quand retentissent, en ce dernier jour de festival, les alarmes de Atlantis To Interzone au milieu des jardins de la Villa Médicis : direction 2007, année de sortie du premier album des Klaxons qui avait lancé la vague nu-rave et le grand retour du fluo (qui, dieu merci, est reparti d’où il venait). Rien n’a changé depuis, si ce n’est les vêtements un peu plus sobres des quatre Anglais, le mariage de l’un d’entre eux à l’actrice Keira Knightley et le passage du groupe à un son plus brut, plus gros, taillé pour les grandes scènes et même les stades qu’ils ont écumé ces dernières années.
Les Klaxons ont toujours dans leur sac une flopée de tubes – de Golden Skans à It’s Not Over Yet qui clôturera d’ailleurs leur set –, mais le public romain semble aussi réceptif aux nouveaux titres Rhythm Of Life et New Reality qu’à leur prédécesseurs. Une explication à cela : un tiers de la foule au moins paraît découvrir les premiers faits d’armes des Klaxons en même temps que ses nouveautés – la capitale italienne n’a pas bonne réputation quant au développement des musiques actuelles, d’où la création du festival Villa Aperta pour contre-carrer tout cela d’ailleurs. Qu’importe : les spectateurs réservent un accueil plutôt bon aux Anglais qui jonglent avec bravoure entre nu-rave punk parfois malheureusement trop datée pour le Marty McFly que nous sommes ce soir et électro-pop futuriste qu’on attend de découvrir sur disque à la rentrée. Entre 2007 et 2013, il faudra alors choisir : le nouvel album des Klaxons à venir en septembre tranchera certainement d’un côté ou de l’autre. En espérant que ce soit le bon.
La découverte : Mind Entreprises
Nouvelle signature de Because, Mind Entreprises ouvrait la dernière soirée du festival où le label français avait carte blanche. La vingtaine, voix haut perchée pas toujours très juste, aussi à l’aise sur scène que devant un peloton d’exécution – c’est son cinquième concert précise-t-il après quelques morceaux -, l’Italien Andrea Tirone n’est logiquement pas très en place. Accompagné d’un batteur qui passe sans cesse de ses fûts à une batterie électronique, il livre pourtant une électro-pop prometteuse qui flitre allègrement avec le hip-hop ou le dubstep. On sent l’influence de SBTRKT derrière les titres de Mind Entreprises, mais aussi quelques restes de longues sessions d’écoutes de Metronomy. Si l’ampleur, la fluidité et la maîtrise ne sont pas encore là, on retournera sans doute voir le Turinois une fois qu’il se sera familiarisé avec les exigences du live.
Les héros : The Master Musicians of Joujouka
Se faire coucher par un groupe de musiciens du double voire triple de notre âge, c’est possible. En pleine forme, les Berbères ont rappelé au public de Villa Aperta ce que voulait dire le mot « inarrêtable ». Après une heure d’improvisation dans les loges, c’est par le double de temps de concert que The Master Musicians of Joujouka ont enchaîné leur soirée à une heure déjà très avancée de la nuit. Alignés sur scène comme une chorale d’écoliers, menés par la danse de l’un des leur vêtu d’un costume de poils de chèvres (?), une branche d’arbre à la main (on entendra « c’est un peu le sosie d’Agecanonix dans Astérix déguisé en Ewok non ?« ), ces maîtres de la transe ont fait jouer la tectonique des plaques pour transporter le mont Pinto de Rome dans le Rif marocain, et ce, sans montrer le moindre signe de fatigue. On s’est laissé emporté par leurs boucles infinies et leurs rythmiques étourdissantes jusqu’à l’épuisement. On est restés bouche bée devant cette fête berbère sans fin brouillant les années d’histoire de la Villa Médicis. The Master Musicians of Joujouka, eux, ne semblaient pas avoir de baisse de régime puisque c’est au milieu du public, puis dans les salons de la Villa que le concert s’est poursuivi jusque très tard dans la nuit. Inoubliable.
La déception : Erol Alkan
Dernier artiste du troisième jour du festival, l’Anglais, au début de set tortueux et sombre, a fini par décevoir avec un show plutôt paresseux et pas très inventif. Si l’on s’est laissé happé par les vrilles tribales et les beats de l’enfer de la première partie de son concert, sa fin, où Erol Alkan s’est contenté d’enchaîner les remixes, certains à peine retravaillés (The Bay de Metronomy, Get Lucky des Daft Punk et Forever Dolphin Love de Connan Mockasin), a laissé un goût amer au public venu pourtant en masse ce soir-là.
La classe : Terakaft
Après Tinariwen au festival Primavera, c’est avec Terakaft que l’escalade de classe continue à Rome. Aussi statiques que captivants sur scène, les Touaregs ont fait résonner leur blues et déroulé leurs boucles d’arpèges sur la façade de la Villa Médicis avec une humilité et une maîtrise bluffante – tenter de suivre leurs doigts sur les cordes semble humainement impossible. On se prend à exécuter quelques pas de danse tandis que les musiciens, eux, ne bougent pas d’un millimètre : chez Terakaft, tout se passe dans les notes et la tête. La classe infinie d’une musique universelle.
Le vieux : Arnaud Rebotini
Dissipons d’emblée un malentendu : l’appellation « vieux » ne concerne pas l’âge de Mr Rebotini, mais sa longévité dans le milieu électronique. A 43 ans, le géant, moitié des mythiques Black Strobe, s’est offert un décor de choix pour un set costaud qu’on a pourtant fini par trouver un peu long. Bâtisseur de beat technoïdes abrasifs particulièrement chers aux Romains qui ne jurent que par l’électro qui tabasse, le Français a tout de même fait trembler les murs de la Villa Médicis, tant et si bien qu’on s’est presque demandé s’ils n’allaient pas s’écrouler. Plus de peur que de mal cependant : les murs s’en sont sortis sans fissure, et Rebotini, imperturbable, sans friser le moindre poil de sa moustache.
La claque : Christine and The Queens
On suivait Héloïse Letissier, aka Christine and The Queens, depuis un bon moment maintenant sans avoir eu l’occasion de la revoir sur scène. C’est désormais chose faite et on ne regrette certainement pas le déplacement. Vêtue d’un costume blanc immaculé, la Nantaise, théâtrale au possible, joue sur le fil du ridicule sans cesse sans pourtant tomber dans ses travers. Avec Christine, tout passe : les beats techno ou R’n’B old school, les paroles mi-anglaises, mi-françaises, une reprise risquée de Photos Souvenirs de William Sheller et même l’arrivée, au milieu du concert, de deux danseurs en leggings à paillettes. Christine a la classe, un sens de l’auto-dérision tout à elle et le rythme dans la peau – on sent les heures de visionnage de vidéos de Michael Jackson derrière ses déhanchés. Et c’est justement dans la peau du King of Pop que semble se glisser la blondinette, actrice jusqu’au bout des ongles, avant de camper tour à tour une vamp façon Beyoncé ou une cantatrice 80s façon Witney Houston. « Je suis cinq personnes à la fois » explique-t-elle au public, visiblement conquis. On ne la contredira pas : s’il lui manque encore une scénographie digne de ce nom et des musiciens live, les talents d’actrice de la Française à la voix chaude la sauveront de la schizophrénie et d’à peu près tous les écarts. Longue vie à la reine Christine donc.
Le moment de solitude : Krisma
Précurseurs de l’électro en Italie au tout début des années 80, les deux Krisma étaient invités à Villa Aperta pour faire revivre en live leurs expérimentations électroniques. Était-ce le son très faible ou le fait que les trois-quart du set sortait d’instru pré-enregistrées, mais on est resté insensible et coi devant la prestation du duo dont même le public italien semblait douter.
La photo
1h30 du matin : mini-stage invasion pendant le concert de The Master Musicians Of Joujouka feat. des membres de Concrete Knives, de Terakaft et une partie de l’équipe de l’organisation du festival et le directeur de la Villa Médicis himself.
La phrase
« On a été obligé de déplacer la scène de ce côté-ci parce qu’on craignait que les vibrations abîment les bas-reliefs de la façade »
Éric de Chassey, directeur de la Villa Médicis, initiateur du festival Villa Aperta, fan de punk et de bas-reliefs donc.
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