L’Ambassadeur Salif Keita se prend le melon et manque de diplomatie. Kenny Garrett la joue star. Et Aziz Sahmaoui met tout le monde dans sa poche. Essaouira, revue de détail de la 3ème soirée.
C’était l’un des évènements les plus attendus de cette cuvée 2015, quelque chose comme un alignement d’astres, ou le retour des rois mages à Bethlehem. Pensez donc ! Salif Keita, Amadou Bagayoko (d’Amadou & Mariam) et Cheikh Tidiane Seck, trois légendes de retour au sein des Ambassadeurs, formation qu’ils ont animé entre les années 70 et 80, qui a rénové de fond en comble la musique ouest africaine, qui fut le point de départ à de brillantes carrières respectives. Les retrouver sur une même scène trente ans plus tard relevait autant de l’improbable coïncidence que d’un évident pragmatisme, sachant que pris séparément, ils n’ont plus grand-chose à prouver et qu’un retour aux sources n’a jamais fait de mal aux vieux éléphants. Dans ces conditions, l’élémentaire principe du plaisir de jouer à nouveau réunis semblait devoir présider à cette reformation dont nous attendions beaucoup, qui fut parfois à la hauteur, aurait même pu transformer la soirée en apothéose, si l’ego toujours aussi bouffi de Salif Keita n’était pas venu un peu gâcher la fête…
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Le moins convaincant des Ambassadeurs
Vêtu d’un costume de premier communiant, d’une chemise immaculée, coiffé d’un melon, que la suite des évènements nous fera considérer comme ridiculement petit en comparaison de cet autre « melon »- celui qui sert à mesurer l’importance qu’il s’accorde-, Salif accaparait l’essentiel de la scène Moulay Hassan. Une scène devenue trop grande pour lui en raison d’un jeu de scène se limitant à faire le piquet de corner. Ajoutons à cela, une voix, dont on connaît toute la valeur mais qui manqua souvent du souffle et de l’émotion qui en ont fait l’une des plus incroyables jamais entendues et avouons que Salif fut le moins convaincant des Ambassadeurs.
Heureusement que derrière lui, les musiciens dirigés par Cheik Tidiane Seck, devenu band leader naturel depuis la mort de Kanté Manfila, ont fourni une musique de grande qualité. Même si l’on aurait aimé entendre plus souvent la guitare d’Amadou, qui se contentera, hormis un solo, d’accompagner l’autre guitariste, Ousmane Kouyaté, le groupe se montra solide et d’une rayonnante fraîcheur. Le vieux Idrissa Soumaoro prenant parfois le chant à son compte dans un registre moins lyrique que Salif, nous eûmes droit à une manière de best of des années abidjanaises avec Seydou Baly, Ntoman, Saly, Super Coulou et autres Tie colomba. Il y eut même un Primpin qui en son temps avait lancé la carrière solo de Salif.
Une certaine gêne palpable
Pendant ce temps là, à l’autre bout de la ville, Oumou Sangaré, invitée non comme chanteuse mais pour participer au forum organisé en parallèle au festival, et dont le thème cette année était la femme en Afrique, se réveillait de sa sieste. Légèrement grippée, la diva malienne entendait garder la chambre malgré la présence de ses amis musiciens sur scène dont un, Cheikh Tidiane Seck, a produit son dernier album Seya. C’est alors qu’elle reçut l’appel de Neila Tazi, directrice du festival qui lui vanta si bien les mérites d’une réunion au sommet, dont elle serait en quelque sorte la cerise sur le gâteau, ou mieux, la perle sur le diadème, en venant chanter un titre avec les Ambassadeurs, qu’elle finit par accepter, par s’habiller, par se maquiller… Dans la voiture qui la conduisait au site, elle aura ces mots : « je le fais pour vous, pour vous faire plaisir… » . Arrivée au pied de la scène, elle attendit que le groupe entame un morceau correspondant à la tessiture de sa voix avant de monter les marches.
Elle embrassa Cheikh, se pencha pour faire de même avec Salif qui aussitôt recula et dit « Personne d’autre ne chante ici ! » Sachant la vue du chanteur peu fiable, elle lui dit à l’oreille : « Salif, c’est moi, Oumou. » et s’entendit répondre : « Oui je sais, mais personne d’autre ne chante ici ! ». Humiliée, elle rebroussa chemin. Sans que le public ne se rende compte de l’incident, l’ambiance générale chuta pourtant brutalement et le concert se termina pour ainsi dire en queue de poisson, avant que le groupe ait pu jouer le très attendu Mandjou, pourtant prévu. Dans les coulisses, la gêne était palpable. Certains manifestèrent franchement leur colère, comme ce photographe qui lança « c’est bien la peine qu’en interview, ces artistes parlent de solidarité et de fraternité entre africains s’ils ne sont même pas capables de se montrer respectueux les uns envers les autres. » Quant à Oumou, peinée mais digne, elle puisa en elle-même pour trouver les mots, qui à défaut d’effacer l’affront, la consolaient : « Tu vois comme les gens sont jaloux…Mais au fond Salif a eu raison, je n’avais pas à monter sur scène comme ça… » Même si c’est ce que nous attendions tous…
Aziz Sahmaoui, délectable onguent
Le problème c’est que ce couac faisait suite à un autre dérapage survenu en début de soirée lorsque Kenny Garrett refusa de jouer avec le maâlem Hassan Boussou, alors que celui-ci se présentait sur la scène et que le programme le prévoyait. Peut être que ce saxophoniste émérite, pourtant habitué à « fusionner », a considéré que son standing d’ancien accompagnateur de Miles Davis lui interdisait de se produire avec ce musicien habillé en robe de fakir et jouant de son espèce de guitare à trois cordes recouverte d’une peau de chèvre ? Auquel cas, nous dirons qu’il avait doublement tort, qu’il aurait du écouter les albums qu’un autre grand nom du jazz, Randy Weston, a enregistré au Maroc avec des gnaoua, et aurait dû prendre la mesure du talent de Hassan Boussou qui s’affirme au fil des ans comme le légitime héritier de la haute tradition gnaoui et son meilleur espoir pour aborder l’avenir. Après ces menus désagréments, la prestation d’Aziz Sahmaoui, ancien membre de l’Orchestre National de Barbès, qui ne s’était plus produit à Essaouira depuis plus de 10 ans, fut comme un délectable onguent que l’on applique sur des ecchymoses. Pour ce grand escogriffe aux longs cheveux bouclés, la fusion c’est bon pour les autres, pas besoin de s’obliger, ou de forcer quiconque. De par son parcours personnel, il est pour ainsi une fusion à lui tout seul tant physiologique que culturelle.
Né à Marrakech, il a grandi à l’écoute des différentes musiques qui circulaient alors dans l’ensemble maghrébin, chaabi, raï, tradition amazigh, ou gnaouie. Après son passage dans l’ONB, ou sa collaboration avec le fondateur de Weather Report, Joe Zawinul, il a produit une synthèse personnelle de tout cela, aujourd’hui augmentée de sonorités rock ou sub sahaienne, mandingue notamment, et accompagné de textes qui, dans la lignée de ceux des légendaires Nass El Ghiwane, prennent le parti de dire ouvertement les choses sans nécessairement se contraindre au militantisme. Un savant mélange que son nouvel album Mazal (Harmonia Mundi) restitue, comme du reste ses prestations sur scène. Il se produira le 8 Juin au Divan du Monde à Paris, avant d’entamer une tournée d’été qui le conduira de Paimpol à Chicago… en passant par Alger.
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