My Bloody Valentine était la tête d’affiche d’un festival qui s’affirme, année après année, comme l’un des plus chouettes de France. Ils furent aussi l’une des uniques déceptions d’un week-end qui, par ailleurs, a été riche en jolies surprises ou confirmations brillantes. Récit.
Réunis en colloques, un aréopage de météorologues experts n’en revient toujours pas et cherche encore, en panique à comprendre l’incompréhensible : les 14, 15 et 16 août, il a fait beau, très beau sur Saint-Malo. Pas une goutte de pluie, pas une seule molécule de crachin sur la Route du Rock. La fin d’un cycle : après de longues et belles années sur le sec absolu, le meilleur festival de l’été était devenu depuis quelques éditions un défilé de bottes de pluie, de K-Way sortis des greniers et, pour les non autochtones, de cirés Guy Cotten très couleur locale. Presque une blague, pas drôle, et récurrente. Mais une blague qui n’a pas empêché le festival malouin, au fil des années, de devenir le favori des professionnels de la profession, un camp de vacances hilares et alcoolisées pour le music business, qui se retrouve, généralement fin bourré, dans un bar VIP transformé en poilade générale. Mais les pros ne sont pas les seuls, heureusement, à chérir l’événement malouin : tous ceux qui, un jour, ont mis les pieds dans le fort de Saint-Père, tous ceux qui ont campé dans ses champs, tous ceux qui ont goûté à la douceur de ses humeurs, à l’intelligence de sa programmation fouineuse, amoureuse et tous azimuts ou à sa relative petitesse en font aussi généralement leur chouchou annuel.
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Et presque leur petit secret : si elle ne s’est non plus ébrouée dans le vide, La Route du Rock n’a pas, cette année, aspiré d’immenses foules –c’est, après tout, son charme. Notamment le premier soir, que l’on imaginait massif : My Bloody Valentine, seule date française de l’été, était dès les premières heures programmées noisy et shoegazeuse le premier clou du week-end. Le premier clou d’un cercueil, malheureusement, celui de nos tympans, reposez en paix, celui des espoirs aussi : le show des Irlandais a méchamment déçu. Sorte de Lunapark de l’acouphène définitif, gimmick de l’assourdissant, son râpé et concert raté, ridicule quart d’heure réglementaire de mur blanc –avec les bouchons auditifs, presque des morceaux mais pas de bruit, sans les bouchons auditifs, pas de morceaux, pas de voix ni d’éther mais un pénible gloubiboulga sonique. On s’est donc rabattu sur A Place to Bury Strangers : un rock dégueulasse auquel on ne confierait pas sa fille, des morceaux démoniaques découpés à la tronçonneuse diamantaire et démentielle attitude scénique. On s’est aussi agrippés, le cœur en fleurs, sur les rares Deerhunter : la légère fainéantise scénique des Américains n’oblitère à aucun moment la magie de morceaux qui, immédiatement, collent aux émotions et dont les monts, vallées et merveilles soniques, d’une finesse absolue, décollent les synapses assoupis par la chaleur.
On imaginait le second soir comme celui où l’on passerait le plus de temps le cul vissé sur sa chaise, au bar VIP, à étudier le sourire en coin cet étrange renversement stylistique qui fait que, désormais, les looks sont plus impressionnants dans le public que sur scène. Les Kills ou Peaches, attendus par tous, un peu moins par nous, ont fait mentir les prédictions alcooliques. Les premiers en sauvant leur set de multiples pains techniques, en mettant fin au spectacle guignolesque de leurs ébats symboliques et en délivrant des morceaux dont on avait fini par oublier, la tête ailleurs, la puissance rageuse, les arômes sexuels et l’efficacité crasse. Peaches a, elle, fait le show, au sens « propre » du terme : un spectacle costumé en équilibre précaire et constant sur le fil ténu du mauvais goût et de l’humour, oscillant entre cabaret, combat de catch, un concert musclé de hard-électro-rock dégénéré. Ca tourne, ça cogne, ça badaboume -et, surprise, ça impressionne, même un peu, les plus sceptiques. Plus tôt, les enthousiasmants Camera Obscura, repeignait la chapelle 60s de mélodies superglues en clair-obscur fascinant, de bubble-gum acidulé, et collaient une banane permanente aux bienheureux s’étant déplacés. Plus tôt encore, on découvrait les morceaux mélancooliques des Californiens Papercuts -et on se trouvais de potentiels nouveaux amants, en remplacement de Grandaddy ou de Jason Lytle.
Troisième soir. Toujours beau. Bill Callahan ouvre. L’ex-Smog plombe : malgré sa voix indélébile et sa présence certaine, son americana un peu plan-plan, voire carrément plate-plate, replonge dans les fatigues de la veille et creuse un peu plus les cernes catastrophiques. En fin de soirée, Autokratz déçoit, aussi, beaucoup : il ne manque, devant la scène, que des auto-tamponneuses pour donner un véritable intérêt leur électro poussive -et pourtant formidable sur disque. Entre les deux, que de l’impeccable. Dominique A, héroïque, prend la scène d’assaut seul, et donne à ses chansons une grandeur et une rage magnifiques, presque désespérée, admirable. Grizzly Bear sera sans doute l’un des plus beaux concerts du festival : on craignait que les morceaux de Veckatimest ne passent pas le test du live, ils s’y trouvent pourtant plus beaux que sur plastique, plus forts, plus nuancés, plus vallonnés encore -Radiohead peut décidément se faire pas mal de soucis. Quant à Simian Mobile Disco, premier vrai moment électronique au Fort de Saint-Père, il libère les guiboles de ceux qui étaient sevrés de beats depuis le début du week-end : ceux qui n’ont pas encore abandonné, vaincus par la fatigue, remuent leurs jambons las et popotins fermes dans une grande passion hédoniste, uppercutés par la puissance, terrible, des agressions synthétiques du duo.
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