Entouré d’une fine équipe, l’ex-chanteur des Innocents a donné à Rennes, dans le cadre des Tombées de la Nuit, un concert porté par la grâce. Royal.
Mardi 6 juillet, à l’initiative de Claude Guinard, directeur du festival, et de notre ex-confrère Richard Robert, désormais programmateur, l’ex-chanteur des Innocents prenait ainsi ses quartiers d’été sous les prestigieux lambris de l’Opéra de Rennes, accompagné de son groupe et d’une dizaine d’invités choisis en raison d’évidentes affinités électives.
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On ne tardera pas à voir et entendre se déployer comme par magie – malgré un manque cruel de temps pour répéter tous ensemble – cette compagnie éphémère, Big Bazar dont le barbu Nataf serait le Michel Fugain d’un soir, les comparaisons musicales s’arrêtant évidemment là.
Après un démarrage en solo complet et un tour de piste en petite formation, Jipé se retrouve donc entouré par les deux membres de Holden (Mocke et Armelle Pioline), par la régionale de l’étape Laetitia Shériff, la craquante Mina Tindle, le surdoué Bertrand Belin, l’étonnant duo Flodor Dream Dog et d’autres éléments papillonnant autour des instruments comme à l’intérieur d’un cabinet de curiosités.
Une fois sur scène, cette troupe élégante – six filles, sept garçons – se met immédiatement au diapason des principes toujours défendus par leur hôte, à savoir la circulation fluide des idées, le respect mutuel, l’égalitarisme et une certaine forme de liberté collective qui ne tourne pourtant jamais à la chienlit musicale.
Il arrivera ainsi à plusieurs reprises pendant les deux heures et quart de concert que cinq guitares turbinent en même temps. Aucune pourtant ne tente de marcher sur les autres, de rouler des mécaniques aux dépends des plus fragiles, chacune étant au contraire comme un filament sensible cherchant à éclairer ses semblables. C’est aussi le rôle que tient pendant une bonne moitié du concert Jipé Nataf, qui laisse chacun de ses invités interpréter deux titres de leurs répertoires, soutenus par l’ensemble avec une exemplaire galanterie.
Laetitia Shériff est ainsi la première à se lancer, dans un exercice rock assez périlleux au sein d’une soirée plutôt orientée vers les échanges feutrés. Holden aura ensuite la charge de tamiser l’ambiance pour mieux y installer ses compositions en filigranes qui finissent pourtant toujours par s’extérioriser, comme le très beau Dans la glace et ses clappements de mains presque enfantins, très en phase avec l’ambiance joueuse de la soirée. « C’était un concert de claps » dira après-coup l’un des participants, et c’est vrai que l’on aura rarement eu l’occasion de tomber autant dans les paumes, sur scène comme dans la salle, mais jamais pour marteler comme à Taratata un tempo de métronome.
Car les chansons de Nataf, comme celles de ses amis, constituent de vrais pièges rythmiques et mélodiques, impossibles à domestiquer, et s’il est un lien invisible qui réunit tous ces participants d’un soir, c’est bien ce désir à chaque fois comblé d’échapper farouchement aux schémas pop, pour mieux les réinventer. Ce sera particulièrement éblouissant sur les deux titres de Bertrand Belin, notamment le somptueux Hypernuit qui place son prochain album en orbite autour du fantôme de Bashung, dont on ne pensait pas si tôt rencontrer un si bel héritier.
Quand Nataf reprend la main, c’est pour dérouler un impressionnant final avec Plus de sucre et surtout le toujours ébouriffant Seule alone et son haut débit Dylanien, autour duquel tous les participants forment un Band plus effervescent encore que celui des Basement tapes. Deux rappels offriront encore l’occasion de s’éblouir des compositions de Clair, le second album de Jipé, dont la chanson titre en guise de pièce montée pop, entre Polnareff et Procol Harum.
Profitant de l’acoustique exceptionnelle du théâtre, le groupe s’offre une sortie entièrement débranchée, en communion au bord de la scène, avec comme dernier acte de bravoure Un monde parfait, la meilleure pop song des Innocents, qui ainsi dévêtue n’en paraît que plus grandiose. Ceux qui ratèrent ces instants de grâce ont maintenant toute une vie pour le regretter.
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