Leader des mastodontes Super Furry Animals ou moitié du génial Neon Neon, Gruff Rhys est un garçon cramé, mais un génie pop : il donnait lundi un concert au Point FMR en prévision de la sortie de son Hotel Shampoo, c’était magique et on vous raconte.
On préfère ne pas savoir ce qui est passé par les poumons, les narines, les veines de Gruff Rhys. Tout accumulé, le Gallois qui, il y a quelques années lors d’une interview pour un album des Super Furry Animals nous avait expliqué que sa Nation était championne du monde de la défonce, a sans doute vécu la vie chimique d’un punk de 193 ans. Car avant le concert, on a rencontré le garçon. Un grand moment, touchant, frappant : le bonhomme est, c’est une évidence, totalement cramé.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Recroquevillé sur sa chaise et tête basse comme un gamin qu’on engueule, avec son pull scandinave aux improbables couleurs, ses petits yeux d’écureuil adorable qu’il ne relève, sourire timide, que pour vérifier qu’on est encore là, il parle avec la lenteur et les heurts d’un vieil homme, fait (littéralement) des grimaces douloureuse quand il bloque sur un mot ou dès qu’une phrase doit dépasser les 10 mots, se paume dans ses réponses sans même parler de nos questions, doit tourner 700 fois ses neurones dans son cervelet avant de sortir un bout de discours un peu cohérent.
Et pourtant, et pourtant, et pourtant. Mis à part ce spectacle ahurissant, l’interview n’est pas inintéressante. Et surtout, et surtout, et surtout : Gruff Rhys est un génie –on pèse le mot comme il le mérite, juré. Les chansons, la musique, les mille milliers d’idées : c’est sans doute tout ce qui lui reste, tout ce qui tourne très rond (mais en arabesques folles) dans son cerveau maboule. La preuve ? Le concert qui suit. Pas le clinquant électro-pop de Neon Neon. Pas les furies rock des Super Furry Animals, pas son film fou de science-fiction familiale en Patagonie (Separado!), pas d’extrait de l’album totalement frappé enregistré plus tôt dans l’année avec le Brésilien Tony da Gatorra.
Juste des micros pour enfants, des samplers de supermarché, des baguettes de batterie Jouéclub, un clavier rétro-éclairé à 17 euros, des tourne disques de brocantes, une guitare pour gaucher avec laquelle, accessoire velcro inventé pour l’occasion, le droitier a pris l’habitude de jouer. Décorum simple (mais dispositif, finalement, complexe) dans le bar du Point Ephémère, petite foule et lui, juste lui et ses chansons solo : magique, inoubliable.
Gruff Rhys, leader d’un groupe, les Super Furry Animals, qui est l’un des plus terriblement sous-estimé des 20 dernières années, devenu mastodonte de stade sur le tard. Gruff Rhys, l’immense maboule, à portée de cœur, tout en fragilité, Gruff Rhys et ses chansons solo, ses blagues hilarantes et son jeu permanent avec les attentes public, ses bricolages abracadabrants, son set oscillant entre one-man-show aberrant et véritable concert bouleversant, et une évidence absolue : dès les premières notes fragiles du premier morceau (extrait de la bande-son de Separado! et, se marre-t-il « chanson triste sur le génocide » avant de promettre d’aller vers plus de lumière), on se rend à nouveau compte que ce garçon, quels que soient les projets dans lesquels il plonge ses innombrables idées et contre-pieds identitaires, a de l’or, voire du platine, voire des métaux encore inconnus, dans la tête.
Qu’elles donnent vie aux morceaux de son précédent Candylion ou du prochain et super-épatant Hotel Shampoo, les mélodies du Gallois sont, à chaque fois, de pures merveilles de montagnes russes sans aucune pesanteur, qui coulent avec la douceur du miel mais avec les circonvolutions d’un torrent fou, entre folk britannique, pop bubble-gum, mélancolie sublime et terra incognitas aux forêts très vierges. On se rend compte, à quelques mètres et dans une intimité rare, que Rhys a une voix fascinante et acrobate, d’un velours à la texture unique, qui prouve qu’il n’est nul besoin d’hululer comme un Thom Yorke pour aller faire des loopings dans les étoiles.
Sur le dernier morceau du rappel, le bonhomme, en réglant ses instruments-jouets, s’amuse à passer un 45 tours et annonce fièrement « le plus grand solo de saxo de tous les temps ». Il arrête brutalement l’intermède et se met à jouer une chanson sublime, prenante jusqu’aux tripes. Jusqu’à ces paroles « I vomited through your solo saxo » (« J’ai vomi pendant ton solo de saxo ») : la chanson est belle à pleurer, mais tout le monde se marre. Tout est dit : un génie, on vous dit.
{"type":"Banniere-Basse"}