La tournée britannique des Gorillaz s’achevait jeudi soir à Brighton, avant de visiter Paris. Un show fascinant, avec un Damon Albarn épanoui et parfait.
Brighton Center, 18/12/2010. Soucis de rentabilité d’une vaste entreprise, qui traîne sur la route plus d’équilibristes, de clowns et de bateleurs que le cirque Bouglione, ou renvoi d’ascenseur vers les inspirateurs? Chez Gorillaz, en tout cas, quelques-uns des artistes qui viennent assurer sur scène les featurings du dernier album jouent également en première partie.
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Déception avec Little Dragon, dont l’espièglerie charmante de l’album semble surjouée sur scène: batterie obèse, claviers de son & lumière au Puy du Fou, tout ceci est trop lisse et calibré. On pense, avec effroi, à une Björk qui aurait fait de son seul premier album, Debut, son métier, le transformant en savoir-faire, en fonds de commerce. Dommage, car la chanteuse Yukimi mérite à l’évidence plus de défis, plus de hauteur.
La soirée continue avec De La Soul. Pour une ville blanche à 99%, Brighton possède pourtant une des scènes hip-hop underground les plus expertes et fortiches d’Angleterre. L’accueil réservé à De La Soul est donc celui qu’on offre à un vénérable maître: chaleureux, puis délirant au rythme de la connivence.
Car De La Soul, dans une ville bâtie sur l’idée même de débauche et de liesse, frappe la note juste en hurlant au public: “Are you party people ?”. Et oui, effectivement, dans ce vaste Brighton Center, toutes générations confondues –on est d’ailleurs stupéfait par l’âge assez avancé du public, le prix des places expliquant sans doute cela–, les party people sont là, qui ont tous dansé un jour ou l’autre dans l’un des clubs de ce front de mer au rythme de Eye Know ou The Magic Number.
Posdnuos, Dave et Maseo jouent les moniteurs de colonies de vacances, se partageant le public pour des concours de hurlements et de bras levés. Le trio cartonne Stakes Are High, Ring Ring Ring ou Me, Myself & I et le public donne la réplique, sans sourciller, en intime, pour quelques joutes juteuses.
Du chemin depuis la Scala de Londres en 2001
Quand, dans une chorégraphie très étudiée et assez magnifique, les Gorillaz montent sur scène, on mesure le chemin parcouru depuis leur premier concert, en mars 2001, à la Scala de Londres: le groupe de Damon Albarn tentait alors encore, de manière dérisoire, de protéger son anonymat éventé, jouant derrière un gigantesque écran où scintillaient les cartoons de Jamie Hewlett.
Là, les stars sont assumées, revendiquées même, au milieu d’une fanfare fluctuante, dont on commence par découvrir une vaste section à cordes, qui alternera stridences et rafales avec une frénésie enjouée : sept musiciennes recrutées à l’évidence sur double casting compétence/beauté. Pendant qu’elles s’installent, suivies par l’ahurissante fanfare de cuivres du Hypnotic Brass Band, les écrans diffusent un reportage, façon Yann Arthus-Bertrand, révélant la géographie escarpée de l’île merveilleuse/cauchemardesque de Plastic Beach.
Débarquent enfin, après choristes, double batterie, claviers et autres musiciens le gros impact visuel des Gorillaz 2010: les anciens Clash Mick Jones et Paul Simonon –qui porte sa basse comme une mitraillette, avec une classe tarantinienne–, fringués en amiraux, voire en commodores de ce paquebot ivre.
Pendant plus de deux heures d’un concert sans répit, musiciens et invités se croiseront au rythme des besoins, des chansons: parfois plus de vingt sur scène, les Gorillaz ont aussi l’intelligence de réserver à des moments de quiétude un dispositif plus léger, plus intimiste.
Bien sûr, on adorerait que les cuivres sublimes, qui évoquent le croisement entre le Dirty Dozen Brass Band de La Nouvelle Orléans et un posse gangsta-rap, ou que les rappeurs Kano et Bashy viennent plus souvent dynamiser, dynamiter les chansons. Mais on aime aussi ces moments plus solennels où Damon Albarn se réfugie dans le petit cabinet de curiosités qu’il s’est aménagé dans un coin de scène, entre une cloche de paquebot, un piano, un vocoder et quelques autres gadgets soniques.
Damon Albarn excité comme un jeune homme
Malgré un défilé constant d’invités (Kano & Bashy, De la Soul, Litte Dragon donc, mais aussi entre autres Bobby Womack, le somptueux Orchestre Nationale de Syrie, Snoop Dogg sur écran ou le chanteur pop Daley, hors-sujet sur le nouveau Doncomatic), jamais le concert ne vire à la grande revue freak, à la surenchère.
Grâce sans doute à la présence constante, généreuse et radieuse d’Albarn qui, quand il ne chante ou ne joue pas, vit avec une excitation de jeune homme les chansons des Gorillaz, comme s’il les découvrait en direct, comme s’il se pinçait d’avoir réuni sur scène un tel casting. Il gesticule avec une ardeur et une naïveté qu’on ne lui connaissait plus: sa joie est contagieuse.
Alors bien sûr, il y a des faux-pas parfois, notamment quand, alors que rappeurs londoniens et orchestre syrien s’affrontent jovialement, Albarn se sent obligé de brandir un vaste drapeau blanc de paix, tel ce pécore de Bono. Ou quand il vient danser aux côtés d’un de ses choristes, qui ressemble étonnamment à un Didier Drogba qui fêterait un but inouï par une chorégraphie étrange.
Mais à côté de ça, une version lourde, puissante et féline de Tomorrow Comes Today – jouée à la Magnificent Seven par Jones et Simonon – est un tel enchantement, une telle célébration des métissages dub et pop, que le cynisme ne pèse pas très lourd. Et que dire de Dare, Clint Eastwood ou Feel Good Inc, qui transforment le public en un organisme compact, liquide? “I’m happy, I’m feeling glad” hurle Albarn, sourire soleil aux lèvres : même chose ici.
JD Beauvallet
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