Une programmation tous azimuts, douze soirs de retrouvailles presque amoureuses entre un public et cet événement qui fait vibrer la ville entière : le FEQ s’est assuré que son retour après deux années perdues serait inoubliable.
C’est l’avant-dernier soir du FEQ. Sur la plus grande scène de l’événement, Tom Morello malaxe sa guitare et triture ses pédales d’effets. Des vidéos se succèdent en arrière-plan. Films décalés, dénonçant les brutalités auxquelles sont soumises les personnes migrantes. Nous sommes à la moitié d’une performance inoubliable de Rage Against the Machine dans la moiteur de la nuit nord-américaine et on peut déjà accorder au groupe une note parfaite.
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Le vocaliste Zack de la Rocha est assis au centre de la scène, confiné à un siège, pour cause d’accident du travail, quelques soirs plus tôt. Qu’importe. Ses yeux brillent, exorbités. Son corps convulse. Sa colère inaltérée, même trente ans après la première salve du groupe, irradie à travers les dizaines de milliers de personnes rassemblées sur l’amphithéâtre naturel que constituent les Plaines d’Abraham. Le chanteur vibre, hurle, sue, tangue, lève le bras pour défier les puissants. Même assis, de la Rocha se tient debout pour celles et ceux qui vivent à genoux.
Le pouvoir du collectif
Lorsque les accords balistiques qui précèdent le couplet de la sulfureuse Know your Enemy retentissent, la foule entière se soulève et paraît enfin prête à en découdre avec ses maîtres. Si seulement. Il est des spectacles qu’on apprécie. D’autres qui ravissent. Certains dont on a besoin. Celui du groupe de Los Angeles paraît absolument essentiel en ces temps d’atomisation sociale au profit de ceux qui nous divisent pour régner. Le message est simple. Ensemble nous pouvons tout. L’enveloppe qui le porte est incandescente : cette musique n’a pas vieilli, elle est livrée avec la même exemplarité technique, au service d’une violence sonique contre un système qui broie les plus faibles.
Même l’étrangeté d’une reprise du Boss (The Ghost of Tom Joad) et plusieurs pièces tirées du mésestimé The Battle of Los Angeles n’ont pas l’heur de refroidir le public qui en redemande. Les corps luisants se percutent sans relâche. RATM est la voix de notre mauvaise conscience et celle-ci résonne comme un larsen, même trois décennies après la sortie de Killing in the Name, inoxydable hymne à l’anticonformisme qui allait clore une performance où, peu importe leur justification (d’attentats à la pureté aux idéaux du groupe par les commanditaires du festival, principalement), les absents avaient tort.
Retour en grande pompe
Voilà pour le point d’orgue d’un Festival d’été de Québec (FEQ) qui, après une année de silence puis une autre en format microscopique, revient en format pleine grandeur. 125 000 laissez-passer envolés en quelques jours. Des foules monstres presque tous les douze soirs de concerts répartis sur trois sites et une salle consacrée aux libations nocturnes. Quelque chose comme un succès de foule et d’estime, le public et la critique portés par la même jubilation : celle d’enfin retrouver SON festival.
Forcément, les retrouvailles sont émotives. Le pari de l’éclectisme du FEQ demeure inaltéré. Cette année, sa prog va de la country boit-sans-soif de Luke Combs à l’EDM fédératrice de Marshmello, en passant par les vedettes locales que sont Louis-Jean Cormier, Loud, Charlotte Cardin, Patrick Watson et Ariane Moffatt, pour aussi étirer le bras vers la machine à succès planétaire qu’est Maroon 5.
Le FEQ est aussi affaire de butinage musical. Un saut du côté d’une performance sympathique mais trop sage de Spoon. Une rencontre formidable avec la native de Québec Lou-Adriane Cassidy. L’agression au scalpel de Death from Above 1979 dans une salle bondée en fin de soirée. Quelques vaines minutes à tenter d’entrer sur un site sursaturé afin d’apercevoir les vétérans punks suédois de Millencolin pour finir par écouter depuis la rue bondée de monde en buvant des bières achetées au dépanneur.
Puis, ce même soir, un moment nostalgique à hésiter entre Alanis Morissette et Bran Van 3000 pour choisir ces derniers, craignant le pire. Or, la formation montréalaise en avait dans le ventre et serrait superbement les rangs pour célébrer les 25 ans de son premier et indémodable album Glee. Le vétéran James Di Salvio n’a rien perdu de sa gouaille. Meneur de scène juvénile, toujours au service du groove. La rumeur défavorable précédant le retour du groupe (après un spectacle prétendument oubliable dans sa ville natale) allait être démentie. En fait, rarement a-t-on entendu ses membres s’aligner de manière aussi cohésive. Dans la nuit caniculaire qui tombait sur la ville, les fans dodelinaient sur Astounded, entonnaient les reprises des Beastie Boys (Fight for Your Right) et Quiet Riot (Cum on Feel the Noize), trop heureux d’écluser leurs cannettes en offrant un chœur soutenu à la populaire Drinking in L.A.
Sur la pop
Autre soir, autre plancher de danse gazonné : Charli XCX ravissait sans contredire ses fans, qui répondaient au quart de tour à ses appels à la fête, mais il fallait beaucoup aimer l’artiste et ses succès pour en apprécier l’exécution scénique. Simplement soutenue par une bande-son et deux danseurs, la chanteuse a mené une performance chorégraphiée à la milliseconde où s’enchaînaient les titres galvanisants (I Love It, Yuck, Boom Clap, etc.), mais où même sa provoc’ finissait par lasser en raison de l’ascèse de la production.
À l’inverse, la prestation d’Hubert Lenoir, quelques soirs plus tôt, était superbement déroutante. En bon élève d’une société à l’attention fractionnée, l’artiste est parvenu à faire passer les pièces de son plus récent essai (Pictura de Ipse) à un niveau supérieur de complexité, et parfois d’étrangeté. Sirènes dancehall, hurlements death, propos parfois erratiques, tantôt amoureux tantôt revanchards : Lenoir cultive le chaos. Si celui-ci est arrangé, on n’en voit pas les ficelles et le Québécois, qui montait sur scène dans sa ville pour la première fois en presque quatre ans, paraît toujours avancer sur la corde raide. Cela n’en fait pas un spectacle toujours réussi. Même l’excellente proposition de cinéma-vérité que lui procure une caméra le filant jusqu’en arrière-scène ne rachète pas toutes ses errances. Mais Lenoir possède le brio et l’audace. Son concert est un message : “prenez-moi tel que je suis, même si cela vous déplaît. Aimez-moi-même – et surtout ! – lorsque je suis détestable”. Ce qui serait une attitude toxique au quotidien s’avère une réponse éternellement rafraîchissante aux conventions pop. On devrait toujours saluer ce genre de courage s’il s’accompagne d’un talent authentique. Plus encore s’il risque de compromettre le succès. C’est ici le cas. On s’incline.
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