Electron libre des New Pornographers, Destroyer était de passage hier à Lisbonne, au Portugal. L’année dernière, il fascinait avec Kaputt. Mardi soir, il captivait et nous mettait en boîte au Musicbox : on y était, on vous raconte.
L’air est lourd, le vent est chaud. Les amoureux flânent, arpentent les interminables ruelles du Chiado, labyrinthe d’un autre temps où le fantôme de Pessoa semble inciter à l’ivresse. Les nuits à Lisbonne sont jaune, roses, pastels. Les touristes sont comme des enfants. Les Lisboètes, eux, s’en foutent : tout ça leur appartient.
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Loin de l’effervescence des festivals alentour, Destroyer posait discrètement ses valises au Musicbox, petite salle cachée sous un pont, coquette mais ébouriffée, sorte de Flèche d’Or sous les embruns de la mer, toute proche. Le Canadien – Dan Bejar de son nom – s’échappait une nouvelle fois du collectif vancouverois The New Pornographers l’année dernière, le temps de concocter Kaputt – sans doute son projet le plus abouti, le plus cohérent, le plus singulier, le plus ambitieux : le plus délicieux. C’est que Bejar n’en est pas vraiment à son coup d’essai. Le barbu débraillé construit en effet, depuis une quinzaine d’année, une œuvre belle et osée, bariolée, bricolée maniaquement dans la tranquillité d’un succès modeste.
Minuit passé : la salle est pleine et agitée, excitée par la chaleur. Mais arrive bientôt Destroyer et le vent frais de Your Blues, présent sur l’album du même nom. Le son est lâché : il tremble, s’envole et plane. Les musiciens (ils sont sept !) s’éveillent peu à peu autour de Bejar. Guitares cristallines, synthé magique, saxophone hypnotique, flute traversière venue d’ailleurs, trompette déclarant la paix à coup de sampler : Destroyer répand comme promis sa musique de féérie pop, de confort inattendu, de découverte émue. C’est de la musique d’ascenseur – mais un ascenseur qui mènerait directement au ciel.
Viennent ainsi les merveilles de son récent album, entrecoupées de morceaux plus anciens, plus acoustiques. Savage Night At The Opera, Chinatown, Blue Eyes, Kaputt inondent la salle faite d’alcôves et de retranchements, et chaque arrangement redessine son architecture en une cathédrale de fumée bâtie sur les cendres des murs opposant pop et jazz, rock et expérimentation electro. Viennent de longues digressions de cuivres, puis les notes aériennes de Suicide Demo For Kara Walker. La nuit étincelle et se perd en de longs rêves faits de plastique, de stuc, de mastic : une panoplie de textures sur lesquelles on se laisse glisser, hagard mais hilares, en direction d’irréelles fantaisies et de délires colorés. Monde polymorphe, société d’instruments autonome, pop bubblegum, instrus à la glu qui dégouline, le son de Destroyer est de la plus délicate cohérence, et gonfle à l’hélium des mélodies placées sous cellophane, qui s’envolent bientôt dans des caravelles d’hallucinations sonores.
A la sortie, dans une ruelle, un guitariste est assis sur une marche. Dans la chaleur et la nuit, il joue du blues, cette saudade venue d’ailleurs. Ville des départs, des découvertes, Lisbonne accueillait Destroyer pour la première fois. Avec lui, on est effectivement parti loin, et sans doute y est-on encore un peu, car les plus beaux voyages sont sans retour.
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