Jeudi soir, Daniel Johnston donnait l’un de ses trop rares concerts au Bataclan à Paris : une performance aussi touchante qu’embarrassante. Récit.
Assister à un concert de Daniel Johnston est une épreuve en soi. Tous ceux qui l’ont déjà vu vous raconterons un peu embarrassés la gêne qu’il y a à rester planté là et observer le gros Daniel chanter maladroitement ses ritournelles d’une fragilité et d’une beauté terrassantes. Grace à une certaine préparation psychologique, une virée matérialiste au stand du merchandising et quelques bières, c’est pourtant le cœur léger qu’on attend le début du concert dans un Bataclan rempli où la fosse a été remplacée par des places assises.
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Quand les lumières s’éteignent, pourtant, pas de trace de Daniel. En lieu et place, la dizaine de hollandais qui composent le « Beam Orchestra » se lance dans un long morceau d’introduction entre Pierre et le Loup de Prokofiev et une musique d’ascenseur plus anxiogène qu’un rendez-vous chez le dentiste.
Dix minutes plus tard, c’est un Daniel Johnston fourbu qui arrive sur scène, lâche un « hi, how are you » de rigueur et galère à retrouver les paroles de sa première chanson dans le cahier posé sur son pupitre en plastoc. Ok, courage. Après Keep Punching Joe et deux autres morceaux interprétés sur sa toute petite guitare désaccordée, Daniel Johnston entame un récital bancal, pas aidé par l’ensemble hollandais dont les gros sabots et les arrangements variétoches tranchent catégoriquement avec l’univers du dessinateur-musicien-génie. De son côté, Daniel Johnston chante faux et gratte imperturbable son instrument désaccordé comme s’il nettoyait les plaques électriques de sa cuisine. Sa naïveté et sa profondeur viennent pourtant transcender le malaise palpable. Et même si celui que Kurt Cobain qualifiait de meilleur songwriter de la terre ne lèvera quasiment pas la tête de son cahier (à part pour retrousser les manches de son t-shirt grisâtre) les paroles de ses chansons attrapées à la volée viennent directement toucher au cœur. Au final Daniel Johnston aura pioché dans tout son répertoire, de Fun, Hi, How Are You ou Fear Yourself, son album produit par Mark Linkous (qu’il excusera d’ailleurs pour son absence ce soir là) ponctuant son set de petites phrases dirigées vers le public pour s’assurer que tout le monde le suit (« Are you with me so far? », « How many of you think we live in a wicked word? » « Do you want some more songs or what? »). Oui, tout ce que tu voudras Daniel, même un big band douteux.
Après un petit tour en coulisses laissant à l’orchestre hollandais champ libre pour une sortie free jazz hasardeuse, Daniel revient, fait son petit numéro (« J’ai rêvé qu’un tribunal condamnait à mort quelqu’un pour avoir tenté de se suicider. Et ce quelqu’un c’était moi ») et termine le concert quasiment seul. C’est pendant les rappels que la beauté et l’immédiateté de sa musique irradie enfin. Seul à la guitare, il entonne un très attendu et très touchant True Love Will Find You In The End. Le public se lève et, planté là, observe le gros Daniel chanter tout seul avec pour seule boîte à rythme le bruit du micro tremblotant dans sa main capricieuse.
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