Ceux qui ne sont pas convaincus, ceux qui lâchent les mauvaises comparaisons devraient aller voir Arnaud Fleurent-Didier en concert : son admirable Reproduction y prend une ampleur, musicale comme conceptuelle, plus large encore. On était au Théâtre Méry, on vous raconte.
La chronique de La Reproduction d’Arnaud Fleurent-Didier ayant été subtilisée par un salopard de collègue plus prompt que nous pour hurler, très justement, au génie patenté, on va enfin pouvoir déverser nos torrents d’amour par un autre biais : celui de la scène. On ne le fera pas en retard, par une volonté de rattrapage un peu idiote, vaine ou artificielle. On le fera parce que le premier concert du Parisien autour de son dernier album, au Théâtre Méry, a ajouté encore quelques nouvelles perspectives à l’admiration sans borne (ou totalement bornée, mais pleinement assumée) que l’on porte depuis quelques mois au garçon. « Les peintures sont encore un peu fraîches » explique-t-il après un petit pain. Il y en aura quelques uns, mais tant pis.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Le Théâtre Méry, place Clichy. Un ancien cinéma porno. Pas loin du fameux Quick du travelling. L’épicentre, donc, de l’univers de Fleurent-Didier. Ou tout comme. Toutes les deux minutes, un métro fait vibrer la salle, le piano a une drôle de tendance à grincer. Paris, presque d’Epinal. Après la chouette mais pas marquante première partie de French, le groupe débarque, dans une quasi-obscurité. Deux garçons, dont le frêle Fleurent-Didier, et deux excellentes musiciennes, qu’au surplus on qualifiera vulgairement d’atomiques, physiquement parlant –les obsessions d’AFD semblent prendre forme devant nous, sur scène.
La troupe débute par un truc qu’on ne reconnaît que vaguement, puis qu’on ne reconnaît que de loin : c’est une version totalement alternative, arrangée dans un autre monde, de Mémé 68, l’un des petits tubes de La Reproduction. On s’emballe, on pense à une folie, à un contre-pied intégral et totalement dingo : avant même qu’ils ne soient collés dans tous les synapses de ceux qui, immanquablement, deviendront ses fans, le garçon va ainsi entièrement transformer ses morceaux.
Ce ne sera pas tout à fait le cas, mais le changement n’en est pas moins réel, et fascinant. Impossible, évidemment, d’effectuer la reproduction scénique et parfaite des arrangements pléthoriques de l’album du Français. Sauf qu’impossible n’est pas Fleurent-Didier : totalement transmutés, parfois presque méconnaissables, parfois simplement plongés dans une dimension parallèle très proche de l’originale mais suffisamment variante pour frapper les esprits, les morceaux lumineux s’y baladent immédiatement comme s’ils y étaient chez eux depuis l’origine (du monde).
Ils sont parfois tronqués (MySpace Oddity, qui tourne autour de son unique refrain jusqu’à l’obsession), parfois allongés (France Culture, à laquelle est collée quelques phrases de la version germanophone). Le reste du temps, on découvre des chansons un peu musclées, un peu musquées, un poil variables, de longs ponts très érotico-coquins, des basses qui font suer dans les esprits tordus, des pianos virtuoses, du funk remuant, du psychédélisme cinématographique.
On (re)découvre des chansons formidables, absolument formidables, souvent proches de la perfection pop, mais qui ne sont finalement que de parfaits écrins pour ce qui constitue la véritable moelle de La Reproduction. Et là, c’est le drame : on a beau avoir nagé des heures, et des heures, et des heures dans l’album, on a beau avoir dessiné avec un poil plus de précision nos impressions initiales après avoir côtoyé ses chansons transformées sur scène, on demeure dans une certaine gêne quand il s’agit de définir le bidule.
La preuve : on passe l’intégralité du concert la main cachant une banane franche, sans savoir tout à fait quand il faut rire, quand il ne faut pas, on fait un voyage permanent entre un premier degré d’intimité qui pique et un second degré dont l’intelligence extraordinaire fait se gondoler les esprits fins. On rit blanc, on rit jaune, et on rit noir, mais on ne sait jamais à quel moment on est dans le vrai ou quand on se plante. Fascinant.
Une reprise grandiose de Pierre Vassiliu (En Vadrouille à Montpellier), l’extrait d’une interview hilarante du Professeur Choron sur les quéquettes, sur les trous et sur leur unique but, la reproduction, fait pencher la balance vers le décalage permanent, mais l’écoute attentive, la boisson goulue et d’une traite de chacune des lignes du garçon (Ne sois pas trop exigeant, Ce que les gens disent de moi, quelques micro-passage et lignes frappantes de la plupart de ses chansons, les plus drôles a priori comprises) laissent les sentiments dans un flou absolument magique.
{"type":"Banniere-Basse"}