« Le concert de l’année » clamaient certains : le pire est qu’ils n’avaient peut-être pas tort. Plus en forme, plus physique qu’au Bataclan, Animal Collective a transformé la Cigale en rave sauvage.
Les statuts Facebook étaient en ébullition. Animal Collective. A Paris. Le concert de l’année, forcément. Sauf que Paris, pour Avey Tare & co, est devenu une deuxième maison ; le Bataclan, il y a quelques mois, était déjà le concert de l’année. Il y a pourtant, cette fois aussi, de l’exceptionnel : il provient de l’endroit, la Cigale, décidément meilleure salle parisienne. Le groupe y était attendu. Par une armée de fans de plus en plus fournie, de plus en plus connaisseuse, de plus en plus bouillante. Par tous ceux, aussi, qui voulaient une revanche sur le Bataclan –concert que certains ont considéré comme excellent, concert qui avait déçu d’autres jusqu’au dégoût.
En taille, en forme, en ambiance, surchauffée par une étouffante journée, la Cigale était pour Animal Collectif le plus beau terrain de jeu possible. Et jouer, le groupe ne s’est pas privé de le faire. Avec les nerfs de tous, d’abord, en rendant comme à son habitude ses morceaux parfois presque méconnaissables : génétiquement malléables à merci, les titres qu’ils jouaient il y a quelques mois, ceux de Merriweather Post Pavilion en particulier, ont déjà muté, sont déjà partis explorer d’autres territoires. En empiriques convaincus, les Américains font évoluer leur son selon leurs envies, qu’on jurerait totalement aléatoires, selon surtout les réactions des troupes, fans mais exigeantes, qui leur font face.
Au concert jugé trop coulant, voire parfois imprécis, du Bataclan, Animal Collective répond ainsi cette fois par la force : puissant, rugissant, rugueux, le son du groupe délivre dès les premières notes une belle et pure brutalité, plus proches que jamais de la sauvagerie des transes originelles. Des beats en béton viennent étayer des morceaux pourtant déjà nés pour le dancefloor, les harmonies acides de Tare et Bear s’enrobent de rondeurs bondissantes, le groupe semble être en grande forme, notamment Avey et Geologist, intenables. Et ça marche : très vite, la Cigale bout, la Cigale sue, la Cigale tremble, sa fausse sur hydraulique ondule de belle manière, la foule s’entête, s’englue dans les dédales du groupe, s’illumine les synapses avec les entrelacs vocaux ou se gratte les neurones avec les éructations de Tare, hurle à chaque rupture de rythme, à chaque contre-pied, accueille chaque nouvelle strate vers les sommets par des hourras frissonnants.
La magnifique et pure version de My Girls, le désormais habituel, sublime et bouleversant dytique Lablakely Dress/Fireworks , le furieux final Slippi, un Who Could Win a Rabbit si défiguré qu’il nous faudra quelques longues poignées de secondes pour le reconnaître, Lion in a Coma, Brothersport (rare légère déception) ou la très bien nommée Summertime Clothes : à aucun moment les trois boys ne lâchent les obsessions du public, clairement conquis, d’une seule seconde.
L’ouïe n’est pas la seule à en prendre plein la gueule : comme d’habitude, avec une scénographie révisée, le spectacle est également visuel. Les garçons évoluent dans une semi obscurité que ne brise que les cubes lumineux et multicolores derrière lesquels ils évoluent et un ballon géant, au-dessus de leurs têtes, où sont projetés des films. Les voir tisser leurs toiles, chacun dans leur coin, Panda Bear concentré sur ses machines ou illuminant les ondes de sa voix d’ange triste, Geologist oscillant la tête et sa lampe frontale comme un insecte excité, Avey Tare, électron plus libre, impressionnant de présence, plié en deux et crispé sur son micro, relève de la fascination pure : on jurerait parfois les morceaux joués en roue libre, inventés dans l’instant, par trois êtres dont les cerveaux semblent communiquer dans l’invisible. Rien d’improvisé pourtant, mis à part quelques jams ici ou là : tout ici est d’une démoniaque précision, et la machine Animal Collective a désormais les rouages parfaitement huilés.