Troisième et dernier soir pour le festival M Pour Montréal et, pour ne pas changer, quelques grandes découvertes. Mais c’est cette fois dans la très vitale et inventive scène francophone que l’on est allé faire battre nos coeurs.
Sur l’une des scènes du Café Campus, Sébastien Nasra, manitou de M Pour Montréal, exprime visiblement ému à la délégation internationale, majoritairement non francophone, sa fierté, en ce moment même, d’être Québécois –en particulier d’être un québécois francophone. Nous sommes au milieu de l’après-midi du troisième jour du marathon montréalais, et la journée, sous un plein soleil, est consacrée aux groupes de langue française. On ne peut que donner raison, trois fois raison, à Sébastien Nasra. Car s’il y a eu quelques très belles surprises chez les Anglophones lors des deux précédentes soirées au Cabaret Juste Pour Rire (dd/mm/yyyy ou Think About Life, The Rural Alberta Advantage), quelques découvertes plus perfectibles mais peut-être bientôt sur toutes les lèvres, dans toutes les sueurs et sur tous les sourires (Silly Kissers, Parlovr, Silver Starling…) c’est bien ici, dans le cœur de la scène franco montréalaise, que les joues rougiront le plus fort, frappées par trois et demi des plus agréables mais puissantes claques du festival. Et c’est, surtout, ici que la musique se fait la plus novatrice, la plus génétiquement modifiée, la moins clonée, la moins cadrée dans le carcan castrateur de l’indie music : c’est bien dans le Montréal francophone que les choses se réinventent, et c’est bien ici qu’on trouvera le plus d’inspiration pour les bonheurs à venir.
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La première s’appelle Géraldine. Elle était venue nous voir lors de la rencontre entre locaux et délégués. Elle était adorable, plutôt drôle mais surtout un poil très timide. Sur scène, c’est la transmutation : la jeune fille se mue en tigresse, est encore plus drôle, terriblement trash, et sa timidité est remisée à double tour au placard. Cagoulée comme les boys qui l’accompagnent, dont Navet Confit, figure de l’underground local, elle livre un set tout en angles aigus et en morceaux qui chatouillent aux entournures, en punk DIY et drolatique, en saillies foutraques, en paroles furieuses ; une sorte de Bérurier Rose, abrasif et rigolard, et un concert qui remet les guiboles épuisées dans le sens des génuflexions heureuses.
La seconde claque s’appelle La Patère Rose. On avait été prévenus par quelques morceaux entendus sur le net, quelques informateurs du cru nous avaient fait comprendre qu’on tenait là quelque chose d’exceptionnel. Une chanteuse ravissante à voix acrobate, deux des membres des excellents, excellents Misteur Valaire, et une pop de bubble-gum au Tabasco, et des chansons tordues comme des scoubidous et acidulées comme ces bonbons qui font saliver au litre, des refrains attrape-cœur et des morceaux superglue qui ne lâchent pas les synapses d’une semelle, partent dans tous les sens, jamais le plus logique mais toujours le bon. Et, surtout, des titres qui se permettent entre deux cabrioles quelques moments de grâce absolue et de joliesse épiphanique. Le concert nous a semble excellent, des habitués nous ont expliqué qu’ils étaient pourtant loin de leur meilleur niveau : on espère les revoir, vite, très vite, de l’autre côté de la mare.
La troisième claque, la plus forte sans doute, s’appelle Marie-Pierre Arthur. Une grande, déjà. Musicienne accomplie, la Gaspésienne a joué pour beaucoup de monde, a roulé sa bosse dans de nombreuse formations, est longtemps restée dans des ombres pourtant plus petites qu’elle. Elle a fini par aller chercher par elle-même et pour elle-même la lumière : c’est un plein soleil, radieux et magnifique, qu’elle a trouvé en se plaçant sous sa propre bonne étoile. Forte tête et songwriter exceptionnelle, Marie-Pierre Arthur sait aussi s’entourer. Elle est une proche de Karkwa et de Patrick Watson, de la crème de la crème, donc, et ça s’entend : aussi caressants qu’accrocheurs, complexes mais évidents, ses compositions rock, folk, légèrement country parfois et tout à la fois souvent sont de grandes petites merveilles d’atmosphères changeantes, de vents variables, de ruptures imprévisibles, d’orages instantanés après des calmes envoûtants. Radiohead, parfois, n’est pas loin ; Radiohead, parfois, pourrait en trembler. En architecture, on a parlé pour les gratte-ciel de « style international » : si elle chante en Français, si on pourrait parier et lui promettre un bel avenir en France comme dans la Belle Province, on est aussi convaincu que la Québécoise pourrait trouver la gloire un peu partout dans le monde. Car les cieux qu’elle touche, avec grâce et élégance, sont les mêmes sous toutes les latitudes.
Un dernier mot sur la dernière demi-claque : Orange Orange. Là encore, comme les autres groupes francophones de la soirée, le duo qui annonce sa couleur a su se créer un monde à lui, un univers unique, un truc à pénétrer la tête la première, et la tête entière, sans peur, pour parfaitement comprendre la musique qui se planque sous le concept. Si l’on n’accroche pas (encore) sur tous les morceaux, pourtant d’une belle efficacité, si on cherche encore les qualificatifs pour décrire cette musique si protéiforme qu’elle échappe avec beaucoup d’intelligence à toutes les cases dans lesquelles, par facilité, le journaliste voudrait essayer de les coller, on sent confusément qu’il y a quelque chose à creuser. Les deux cocos ont un gros son, un show rôdé et spectaculaire : il aurait fallu simplement fallu un peu plus de temps, et plus d’écoutes de leur album pour se faire à ces morceaux sans queue ni tête, ronds et dansants, funks et rock, électroniques et organiques, étranges dans leurs circonvolutions mais, au fond, aux clairs reflets ultra-pop. On promet, donc, de se pencher avec assiduité sur le cas Orange Orange –et on pourrait se mettre, dans quelques semaines, à les adorer sans aucune réserve.
La suite de la soirée se déroulera, l’esprit mis en réserve de la République par un épuisement intégral, dans l’immense Métropolis, où jouent des groupes déjà connus pour la plupart et souvent déjà passés par M Pour Montréal les années précédentes –manière de prouver l’utilité du festival, manière de montrer aux délégués internationaux que nombre des formations en germe passés dans les petites salles de la ville peuvent, quelques années plus tard, faire se soulever les masses imposantes de publics définitivement conquis. Ce sera notamment le cas de Malajube, qui est de plus en plus efficace sur scène, dont le son est de plus en plus impressionnant –mais qui joue peut-être désormais un peu trop dur pour laisser les chausse-trappes passionnantes de leurs morceaux voir le jour. Ce sera aussi le cas de Champion et de ses G-Strings, qui deux jours après un premier retour au Metropolis vient à nouveau présenter son nouvel album et son nouveau chanteur –le format showcase et le concert plutôt court, a priori incompatible avec les montées par étage vers les sommets de danse hédoniste, n’aura eu aucun effet négatif sur l’efficacité extraordinaire des bonshommes qui, en quelques minutes, quelques symphonies guitaristiques et quelques pyramides rythmiques, ont rendu la foule folle de joie –bras en l’air et jambes remuantes, hurlements de plaisir à chaque nouvelle strate de la fusée incandescente, Champion sait décidément y faire, et devrait à nouveau faire quelques ravages en Europe.
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