Le Sakifo, à la Réunion, c’est le Monde sur une île, l’Universel en un festival, la définition même de la créolité : c’est beau, on y est, on vous raconte.
DIMANCHE 3 JUIN
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Six heures et demi : le réveil sonne aux tympans endormis comme les Trompettes de Jericho, on se serait parfaitement laissés bercer quelques heures de plus par les turbulents grondements des rouleaux s’écrasant en rythme infini sur les côtes de Saint-Leu. Mais il faut y aller. Et on y va avec plaisir, puisque le Risofé, tradition locale et populaire de petit déjeuner au riz réchauffé, se double d’un concert de Danyél Waro, « meilleur chanteur français du monde » a-t-il été écrit par un collègue amoureux quelque part dans ces colonnes.
Arrivé à Saint-Pierre, et encore loin de son magnifique quartier de Terre-Sainte, on s’étonne quand même de la foule, malgré l’affluence attendue. Rien à voir : cette première masse se presse, nous sommes dimanche matin, pour aller rendre hommage à ses morts. On continue quant à nous vers Terre-Sainte, plutôt pout célébrer la vie. Des familles, enfants, à roulettes ou sur pieds, vieilles avec tabourets pliables, jeunes de tous poils, même soyeux, se dirigent placidement vers la scène, placée contre la mer comme un défi à ses violents remous. Le quartier est follement charmant, on s’y installerait dans la minute : cases de pêcheurs, maisons colorées, vieux commerces en bois râpé, arbres gigantesques et son du ressac se mêlent dans un dédale de ruelles, perdues entre hier et demain, le neuf et le centenaire.
On déboule en avance : Waro et les siens balancent encore tranquillement. On tente donc un risofé (prononcer logiquement « riz chauffé »), morue cette fois ; la saucisse, on en a soupé ces deux derniers jours. « Pimenté? » « Oui madame, un peu madame, merci madame. » On aurait pas dû : il est trop tôt, et il fait déjà trop chaud, et le « un peu » n’a aucune signification ici. On réapprend à respirer par à-coups, on est en tout cas déjà bouillants (littéralement) pour Waro.
Waro qui, justement, monte sur scène avec ses ouailles, en procession percussive. Premiers frissons, mais les poils se décollent des bras qui nous en tombent quand la voix terrassante du sorcier myope sort de sa gorge pour le premier chant : magique, épiphanique, sacré, comme dans une cathédrale de soleil et de douleurs, de peines et de renaissances, des bouleversants solos vocaux, libérés des percussions, semblant s’élever haut au dessus des atmosphères. « La vie on la mange, mon frère », hulule-t-il en secouant sa tignasse folle, ses membres et son kayamb face à une forêt de chapeaux ondulants sous un soleil déjà de plomb : on la bouffe à pleines dents, oui. Le concert s’étire, la foule se compacte, la joie se concentre : six heures et demi, certes, mais un des plus chouettes réveils trop tôt de notre vie.
Quelques heures à tuer, du moins habiter, entre le Risofé et le début des concerts du soir. On part crapahuter un peu, en mode métro-photo-rapido. La paradisiaque Grande Anse, les lacets en doubles nœuds fous montant au Grand Coude, le très bel et très créole Entre-Deux, la perdu Manapany-les-Bains, on vous passe détails et photos, on vous invite simplement à prendre le premier avion, bateau, kayak, cerf-volant pour venir toucher ces merveilles des pupilles. On arrive donc les yeux déjà nourris jusqu’au débord sur le site du Sakifo : petite pause face à l’Océan Indien, Saul Williams écrit des poèmes dans un transat à côté de nous, on est bien, ça peut recommencer.
Recommencer plutôt suave, ou recommencer plutôt musclé, selon les morceaux, avec la world très ouverte, voire carrément internationaliste, de la Brésilo-parisienne Flavia Coelho : la demoiselle est charismatique et belle, ses morceaux soyeux ou plus musclés, tradis ou modernes, chantés ou scandés, sont plutôt bons. Pas de quoi écrire à ses parents, mais parfait pour l’heure : il (n’)est précisément (que) 16h32 quand la jeune femme et sa troupe lancent un assaut rythmique qui fait littéralement se soulever la foule de la scène Filaos, bras en l’air et zygomatiques crampés.
La suite ne fait pas refroidir la marmite et la foule continue à s’échauffer : la suite, à la Poudrière, ce sont les mélanges savants et furibards de Blitz the Ambassador. Corps élastique et flow électrique, afrobeat cuivré et funk du XXIIéme siècle, le Ghanéen d’origine et Américain d’installation et sa troupe sont des bêtes de scène, aucun doute -la rage et la puissance sont là, tout ne fait que grimper, grimper, grimper, les harangues happent les rangs du public l’un après l’autre, comme l’inexorable onde de choc d’une bombe H. On commence vaguement sceptique, on termine conquis : sacré blitzkrieg, un poil long mais méchamment efficace.
Dilemme : (ouh le villain) Orelsan joue à un bout du site, sur la plus vaste Scène Salahin, mais un camarade de goût nous enjoint d’aller voir, à l’exact opposé, le trublion du cru Alex Sorres et son hip-maloyhop. On va tenter de faire un bout des deux, donc. En commençant par Alex Sorres : drôle de rap créole, le garçon commence devant un Vince Corner vide mais attire vite les foules, ses morceaux sont semés aux quatre vents, du 9-7, du 9-3, de Tunisie, du Maloya, de Détroit, de Kingston. Pas inintéressant, et le public se prend assez vite à ce jeu sans règles trop précises. On file, droit, voir le concurrent Orelsan, l’homme qui a failli avoir la peau du Sakifo. Brillamment entouré, en treillis, combattif, vanne sur les Chiennes de Garde et mercis aux soutiens dans la tourmente inclus, tous beats géants, batteries uppercuts et basses ravageuses dehors, le beau gosse déroule des textes géniaux, repris en choeur impressionnant et vindicatif par un public bouillant. On le savait mais ça se confirme : Orelsan est un des tous meilleurs de France, une putain de star, et un type hilarant. « Chanter Sale Pute, c’est une très mauvaise idée » se marre-t-il, et tout le monde avec.« La Réunion, ça va? » : oui, très bien, même.
On comptait, le temps et la météo permettant, aller faire un tour au volcan demain, avant le Boeing. Pas besoin d’aller très loin, l’éruption est à quelques mètres du bar : incandescent, physique, d’une présence magnétique, le très, très impressionnant Saul Williams, son batteur métronome-cogneur, son saxo de platine, sur la Scène Filaos, rugissent comme une terre qui éclate, leurs morceaux dégagent l’énergie de deux continents en collision, dans un éclairage rouge de magma, dans une atmosphère tectonique ébouriffante, électrique, stellaire, dans un grand courant de nouveauté. Sans doute l’un des grands concerts du festival, malgré un public massif mais méchamment statique : on ne se souvient pas d’une telle claque depuis les premiers grands moments de TV On The Radio, et pour nous, ça veut dire beaucoup.
SAMEDI 2 JUIN
Deuxième soir, deuxième couché sur le Sakifo -cette fois de mille nuances, l’orange brûlant se mêlant aux gris sombres de nuages menaçant, accrochés aux montagnes toutes proches. Humidité ressentie : 150%, chaleur : trop, sudation : à grosses gouttes tropicale, plaisirs : à venir.
Le premier s’appelle Claire Denamur, elle est belle comme un cœur et attire, devant la scène Filaos, un joli paquet de foule. Voix impérieuse et sensuelle, électricité orageuse -on craint un instant que la demoiselle et son (excellent) groupe ne crèvent les cumulonimbus. Les chansons sont graves, les textes amers, l’attitude élégante, les chansons variables comme le temps de mars, d’un folk terrien aux fouets des guitares, de ses compositions à une énergique reprise des Cold War Kids ; les hourras, en conséquence, sont logiquement nourris.
Scène de la Poudrière : Moriarty débarque, devant une foule pleine, le festival faisant assez visiblement bien plus carton plein que la veille. Troupe large, mais cinq petits magiciens d’abord regroupés au centre de la grande scène, statiques ou bondissants, comme pour bien signifier que ce folk sans frontières et sans âge du groupe est un tout. La sorcellerie opère dès le premier morceau, puis la guimbarde du second finit de traîner la foule dans les poussières US noires et sudistes, avant que l’emballement du tout finisse par laisser les références de côté pour ne parler, cette fois, qu’aux corps. Corps qui perdent encore un peu plus de sueurs quand la troupe est rejointe par Christine Salem et quelques camarades du cru pour un incendie maloyesco-alabamien tendant vers la transe : magnifique, un des grands moments du festival sans doute, prolongé par une belle reprise d’Hank Williams. Et apparemment, annonce le groupe, bootleggé sur cassette, fameux collector de bonheurs.
On navigue, de samossas en rougail-saucisse, entre les 2000 scènes (environ) et autant (environ) de sons du site, on passe devant la Tente Verte, encore totalement vide et morne en attendant les folies de la nuit. Le plein fait, surtout de piment, aie, ouille, on repart vers le Vince Corner pour l’annoncé phénomène israélien Asaf Avidan : crête punk mais voix d’ange androgyne, chansons très classiques mais folk pas tout à fait désagréable, romantisme évident, l’iconoclaste israélo-iroquois a, c’est certain, quelques atouts objectifs pour lui -malgré, par moments, l’ennui subjectif ressenti. Ses chansons sont d’un niveau variable, entre le plutôt joli et le vraiment saisissant, ne servent pas toujours aussi bien sa voix, de plus en plus impressionnante au fur et à mesure du set, mais le public dense semble intégralement conquis. Et nous aux trois quarts, ce qui est déjà pas mal.
On compte un peu, comme hier, sur la Tente Verte pour nous remonter les pulsations cardiaques : il n’est que 21h05, et le cœur du festival commence à peine à battre la première de ses pulsations sanguines. On y reviendra ; on y risquera la crise cardiaque.
On s’y échauffe, on s’y réchauffe, on y attend l’heure de Lindigo. On l’attend d’ailleurs bien plus impatiemment qu’on aurait attendu Finlay Quaye, annulé de dernière minute, que le Maloya moderniste et revendicateur du local remplacera, au pied levé, en cadences des hanches, en ondulations des genoux. Et effectivement, la très large troupe (un gamin de 8 ans compris), mené par le danseur volcanique, souple et massif Lindigo provoque dès les premiers butoirs rythmiques, dès les premières éructations vocales de grands cris de joie dans les premiers rangs, puis dans les suivants après quelques minutes de transe primale et de sciences percussives, puis dans la quasi-intégralité de la foule, déhanchés zinzins compris, au bout d’une poignée de morceaux. Lindigo n’était pas prévu, Lindigo est ici chez lui. Chez lui, c’est la Réunion, chez lui c’est le monde entier, son Maloya arc-en-ciel étant un ouvre-frontières collant l’Afrique au Brésil, Brooklyn dans l’Océan Indien, Saint-Pierre en banlieue de la voie lactée. Chez lui c’est donc, surtout, le futur: impressionnant, énergétique et prenant.
Un peu plus loin, on peine cette fois à entrer dans la Tente Verte, bourrée à craquer et ivre de bonheur (ou l’inverse) -on a surtout peur de s’y déshydrater en quatre secondes, tant ce qui s’y passe semble brûlant.
La fatigue cogne aux tempes, il faut garder un peu d’énergie pour WordPress et un minimum de sommeil pour le Risofé, demain presque à l’aube, avec Danyél Waro : en s’excusant auprès de ceux qu’on loupe, nos copains Misteur Valaire notamment dont on garantit sans l’avoir vue que la prestation a été furieuse, on décide d’achever cette soirée sur la (grande) Scène Salahin avec Sharon Jones & the Dap-Kings. Ces derniers, pour ceux qui l’ignoreraient, ont peint les lettres de noblesse du Back to Black d’Amy Winehouse, oui oui, quand même, ça promet. Dernier shaking de booty donc avant le dodo, sur la soul rutilante et racée de maîtres promis du genre : c’est cravaté et serré, cuivré et pimenté, chromé et épicé, ça doo et ça wap, ça clinque et ça vibre, les Kings tournent mieux qu’une Chevrolet flambant neuve et groovent comme L.A. pendant le big one. Mais la chaleur ne monte véritablement qu’avec l’entrée sur scène, tardive, théâtrale et après les performances notables de deux choristes de grande classe, de leur maitresse de cérémonie Jones. La gorge est profonde, le corps est souple mais la danse est rageuse, le groove se fait plus sensuel et plus moderne, les Dap-Kings ne sont plus que d’excellents accompagnateurs : la classe est là. La foule aussi, visiblement joyeuse de ce beau cirque.
VENDREDI 1er JUIN
Il a beau avoir un container sous chaque oeil, le métropolitain a forcément un peu les guiboles qui le démangent quand il atterrit, à quelques encablures de l’aube, à Saint-Denis-de-la-Réunion. De naïves petites envies de baroude à la Nicolas Hulot avant de plonger dans le grand bain (indien) du Sakifo, avant, surtout, de ne plus avoir le temps pour autre chose que la musique. Histoire aussi de sortir de l’air en conserve, d’aller humer celui, forcément épicé, de l’« Île Intense », histoire de prendre la température (chaude et moite près de la mer, frais et piquant dans la brume d’altitude) de l’un des joyaux des Mascareignes, histoire surtout d’aller voir un peu d’Histoire, non sur Wikipedia mais de ses propres yeux ébaudis.
Sur de bons conseils, il prend donc sa petite auto de location et se lance dans l’Aventure, avec un C majuscule comme dans Citroën C3 vert-pomme, et part joyeux comme un Bulbul de Bourbon à la conquête du Pic de Maïdo, surplombant le sublime Cirque de Malfate. Deux mille mètres de dénivelé (un lieu-dit s’appelle « La Petite Savoie », pas un hasard), 30 kilomètres de lacets étroits et vicieuses épingles à filer la nausée à Sébastien Loeb, un peu de sueur, un choc esthétique comme une épiphanie religieuse : on comprend, d’un coup, le sens de la Créolité de l’Île et la largeur d’esprit de son formidable festival le Sakifo. Toutes les nuances de bleu, du clair du ciel au marine de l’Indien, toute la palette des verts, du fluorescent de la cane à sucre encore sur pattes à l’émeraude des sous-bois tropicaux, les pastels acidulés des bougainvilliers enflammés ou des placides geraniums, les couleurs vives des maisons créoles ou le bois des cahutes branlantes, le gris de la roche volcanique immémorial et le noir de l’asphalte moderne, le rouge de la terre africaine, du sang de l’esclavage et du labeur de la colonisation, le blanc, le brun, le noir, le noir-blanc-brun des peaux, les ravines abyssales et pics dantesques du Cirque pas très clownesque, un paysage comme griffé par une main divine et colérique : tout n’est ici question que de mélanges, d’harmonies parfaites, d’enchevêtrements sensitifs et culturels, de fusions des tous. Ca saute aux yeux, au nez, à l’âme, en quelques minutes d’un spectacle rebrousse-poils et attrape-coeur : tout n’est, ici, qu’ouverture au quatre vents et azimuts infinis du Monde.
Logique, donc, que l’affiche du Sakifo soit cette année plus large et plus riche encore que les années précédentes -de Julien Doré à Stuck in the Sound, de Danyél Waro (pour le Risofé de dimanche matin, nous y reviendrons) à Misteur Valaire, de Moriarty à Orelsan, des Etats-Unis à Trinidad et Tobago, de la Réunion à la Normandie, des kabars bouillants des artistes péi (le local Maloya, surtout) aux furies électro sous tentes sudatoires, du local à l’universel, le Sakifo est pour le monde un exemple d’ouverture. Comme d’autre, et bien au-delà de la musique, il pourrait même être un modèle de tolérance, de curiosité, de vivre-ensemble : ce que ne semble pas avoir compris la Région Réunion quand elle a décidé, de manière étrange voire stupide, et surtout à contre-temps, de faire payer au festival son invitation à Orelsan pour une vieille et puérile polémique sur laquelle il n’est pas même besoin de revenir, mettant l’événement en danger de survie.
Il n’est pour autant pas, dans l’immédiat, question de survie, mais de vie, de belle vie, de vie joyeuse : après les émotions de la découvertes béate, il est temps de filer à Saint-Pierre pour le début du remuant raout, et de se dégourdir les jambes d’une manière plus festive. Dans la jolie ville, le charme et les mélanges continuent : le chamarré fou des temples hindous répond à d’immaculés clochers, un temple tamoul fait presque face à une gare routière, la rouille des toits ondulés ne fait pas d’ombre aux dentelles des demeures coloniales, de vieux marchés couverts côtoient des PMU ou des bouchers chinois des épiceries indiennes. Les cinq continents et l’histoires des flux humains en quelques rues : créole, on vous dit.
Les pieds dans l’eau et ses rouleaux (ou presque car toute baignade est interdite, rhums et bières locaux, consommés à l’excès, étant potentiellement dangereux pour le Principe d’Archimède), le site du Sakifo est impressionnant de taille et de beauté : sous les filaos et dans le couchant orange, des scènes, de petite à grande, des tentes, dont le fameux et bouillant kabar de la Tente Verte, un Salon Bal, pour les nombreux amateurs locaux du genre, vont se répondre en permanence pendant trois soirs, avec potentiellement près de 30000 spectateurs : ça promet un joyeux, très joyeux bordel.
Et c’est effectivement un sacré chaos, ou un chaos sacré, une belle fête bordélique en tout cas. On laisse les cuivres éructants et la soul chaude de Yaourt Soul Experience (sic) derrière nous, on passe à côté d’un embryon de bal (le site est encore bien vide en cette fin d’après-midi) et on file, vite, vers la Scène Filaos pour le concert de Tyeri Abmon -jeune type mais déjà valeur sûre d’un Maloya progressiste, lauréat du prix (ad hoc) Alain Peters l’an dernier, inventeur du « 4 roul’ man », machine a tout taper en même temps, percussionniste virtuose et jolie voix. Cassées et concassées, terrestres et extra-terrestres, logiques et illogiques, ses rythmiques sont des arabesques insaisissables, des psychotropes pour les sens : il ne faut pas plus d’un morceau pour concéder au bonhomme et à sa troupe une belle capacité à entraîner membres et âmes vers les sommets. Le Maloya fut et reste une musique contestataire : elle peut tout en même temps être un art suprême de l’adhésion collective.
On attend un peu plus de chaloupé du côté de la Poudrière, où joue un peu plus tard la référence de son genre, la pas très jeune (71 ans) mais très très verte Calypso Rose. Enfin bleue, et dorée, comme sa tunique, et rose, comme le (logique) éclairage, et rouge-cuivre, comme les trompettes et saxos caribéens qui enrobent les basses profondes qui portent sa pêche brillante. Car si la foule est trop clairsemée pour se sentir obligée (ou capable) de faire frotti-frotta sur la cuisse de sa voisine de devant, la mama de Trinidad réussit en un ou deux juvéniles « put your hands up in the air » à conquérir les corps et à lancer les déhanchés en hoola-ups. Le fond de l’air est presque frais, on sue pourtant à grosses gouttes : sans doute un rapport avec ces chansons sensuelles, ou avec le rhum-gingembre qu’on vient d’avaler, on ne sait pas encore.
Du coq à l’âne : le gingembre du rhum, ou la moiteur de l’atmosphère, on ne sait pas non plus, mais on trouve la pop très power de Thermoboy plutôt pas dégueulasse -comprendre plutôt pas mal du tout. Quelques lourdeurs parfois (il en faut) mais quelques belles envolées aussi (il en faut, aussi, mais encore plus), le groupe a la patate (pas très douce), la crasse relativement élégante, et quelques galopades mélodiques qui valent l’acouphène. On devrait en reparler.
Ils sont si bons qu’on en oublierait presque, sacrilège, Catherine Ringer. Qui géographiquement se trouve, sur le site, au très exact opposé de Thermoboy (et du rougail-saucisse) : le temps de crapahuter et on arrive, très en retard, à la Scène Salahin, la plus grosse du festival, réservée aux têtes d’affiche maousses. Tête d’affiche, Ringer? Oui, toujours, oui, clairement toujours : la masse est là, la dame aussi, son set est rondelet, sa classe et sa crasse sont ondulants et rageurs, c’est rock et swing et operatique et grandiloquent et foufou, et ça plaît à tous. Et même à nous.
On repasse devant le bal : la foule est là mais les enlacement langoureux, pas vraiment. Trop tôt sans doute. On repasse aussi, avant Julien Doré, devant la Tente Verte : coup de bol, après des heures de vide mou, le premier jam Maloya commence pile-poil-pili-chili quand on arrive, et la case palmée se remplit en quelques minutes, se met à chanter en chœur, à s’assouplir les membres : ayé, c’est parti, bien parti, vite parti, et pas près de se terminer.
Pas somme Doré, Julien de son prénom, qui lui termine de grimper, singe très savant, très rock and roll et très sexuel, il faut le dire, sur la structure de la Poudrière quand y on débarque, très en retard. Suit un pantomime de piano classique, une blague-ballet, puis une jolie chanson à l’ukulélé, ohé ohé, puis une autre en acoustique collectif (désolé, Julien, on ne saurait les nommer) : du lard ou du cochon, ou les deux à la fois, on ne comprendra décidément jamais rien au garçon, on ne sait toujours pas se faire un avis, tant mieux, ou tant pis. Le garçon et sa belle troupe sont en tout cas de belles bêtes à festival : ils ont convaincu quelques dizaines de Réunionnais d’aller à Winnipeg avec eux (ville, nous informent des camarades Québécois, absolument dégueulasse).
Entre temps, la Tente Verte est devenue bourrée, maboule, unissonne, primale, heureuse, et nous avec : il n’est que 23h, on n’imagine même pas ce que ce sera plus tard, pas besoin, on y reviendra et on ne vous racontera pas : ce qui se passe dans la Tente Verte, clairement le vrai centre du Sakifo, restera dans la Tente Verte. On dégage donc vers Earth Wind & Fire, autre grosse attraction (au sens forain du terme) de ce premier soir. Devinez quoi? C’est une grosse machinerie aussi huilée que le Charles-de-Gaulle en rade de Toulon, ça tourne aussi bien qu’un manège vintage aux Tuileries, c’est aussi propre qu’un scalpel au Val-de-grâce, et c’est aussi pénible que les trois à la fois. Si pénible qu’on sèche quelques groupes pour aller se coucher -Stuck in the Sound et General Elektriks, pourtant grosses côtes de la soirée, on n’y était pas mais on est certains que c’était super.
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