On est au festival Iceland Airwaves : suite de nos aventures, découvertes et moments lumineux en pays nordique.
Nous sommes en Islande, veinards grelottants mais veinards surtout, pour assister à l’énorme raout musical de l’année, le festival Iceland Airwaves : deux autres jours ont passé depuis notre premier compte-rendu et voici la suite de nos impressions, découvertes, confirmations et surprises. Forcément non exhaustives.
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LA REVELATION ZINZIN : BERNDSEN
C’est étrange mais pas inhabituel lors de ce festival où chaque échoppe, de chaque type, pour chaque âge, semble accueillir des artistes du matin au soir, transformant Reykjavik en un joyeux boxon : le concert se déroule à 17h chez Geysir, l’un des plus chics et dispendieux magasins de prêt-à-porter d’obédience islandaise et laineuse de la ville. C’est bondé. Débarquent trois jeunes hommes, dont l’un avec une barbe rousse et une moustache impériale dont on est encore jaloux : c’est Berndsen et ce qui va suivre va tenir de l’hallucination, une hallucination hilarante, impressionnante et hautement réjouissante. Électro et pop et dark et éructantes et bubble-gum et acidulées, toujours très excitantes et bondissantes, faisant un aller-retour constant entre le noir du cold 80s et la grande poilade de véritables tubes pop multicolores (« Notre musique s’inspire de l’obscurité de l’Islande, mais aussi de son bonheur », lance le riant garçon en introduction), ses chansons sont théâtrales et d’humeur changeante, comme un New Order qui transformerait son Blue Monday en Pink Friday et tenterait par instants, parce que ça a l’air rigolo, d’écrire la bande-son d’un film d’horreur pour de faux. C’est donc un peu n’importe quoi et tout en même temps, c’est pourtant très efficace, et c’est surtout le zazou roux et barbu qui impressionne, plus encore que ses chansons : très drôle, harangueur de première, magnétique, il habite sa musique avec une présence folle, se lance dans de drôles de danses robotiques et fait s’esclaffer l’assistance dans son ensemble avec ses interventions et blagues venues d’ailleurs. Au final ? Berndsen a foutu le feu au magasin de pulls trop chers, a d’ailleurs fini par tomber le sien, et ce fut formidable.
LA MERVEILLE : ROZI PLAIN
Le soir tombé, au sommet d’un hôtel, devant une foule (très)(trop) compacte, des univers entiers ont semblé s’ouvrir. La magie n’était pas islandaise, le sortilège cosmique venait des chansons sublimes de l’Anglaise Rozi Plain, accompagnée notamment des Atlas Mountains Amaury et Gerard. Et comme dans l’irréelle lumière nordique, les horizons qu’ouvrent ces chansons kaléidoscopiques ont semblé infinis, avec l’imagination pour seule limite. C’était chaud, beau, vaste, délicat, doucement épique, ésotérique, primitif, futuriste, écrit et joué dans la dentelle, rond et chaleureux, adorable et piquant, ça grimpait vers les sommets comme un petit avion en papier magique, et c’est l’une des plus belles choses vues jusque là au festival.
LE BIENTÔT GRAND : AXEL FLÓVENT
Drôle d’endroit pour un concert : puisqu’on l’a loupé partout avant, mais qu’on nous l’a chaudement recommandé, c’est dans les marbres verts et blancs de l’un des plus grands et vieux édifices de la Landsbankinn, la grande banque islandaise, que l’on finit par attraper le natif de Húsavik. On comprend vite le pourquoi de la recommandation : si le monde ne se met pas à tourner à l’envers, un chemin de platine se dessine à l’évidence devant les baskets du jeune homme. Ses chansons écrites et peignées avec soin sont certes d’un grand classicisme, manquent sans doute un peu d’échardes, d’imperfections ou de surprises, mais leur romantisme immédiat est peut-être ce qui pourrait propulser Flóvent, jolie gueule et jolie voix, dans la masse des cœurs internationaux. Il rappelle parfois le Coldplay du tout début, ou fait penser à un Nick Mulvey en devenir : pas le pire des compliments. La scène est placée non loin d’une porte massive de coffre-fort : bientôt un trésor national ?
KIASMOS : LA CLAQUE COSMIQUE
L’enthousiasme de ceux qui avaient déjà croisé, à la Route du Rock notamment, le projet de Ólafur Arnalds et Janus Rasmussen ne mentait pas : il ne fallait pas rater Kiasmos. Et on n’a pas raté Kiasmos. Pas plus que Kiasmos ne nous a pas raté, dans un Harpa Silfurberg plein comme un œuf, prêt à éclore et, tout de suite, à danser la tête en l’air et les rêves plus hauts encore : des tréfonds de la terre aux confins de la Voie Lactée, les beats des deux garçons pénètrent la chair quand leurs éruptions soniques ou de virtuoses pianos secouent les âmes, c’est à la fois brutal et beau, raffiné et tellurique, classique et science-fictionnel, les motifs esquissés sous la surface bondissante sont captivants, les progressions et surgissements et ruptures parfaits, narration splendide d’un big-bang à tomber raide. Il est 21h et on est en Islande, il pourrait être 136h et on pourrait être sur Jupiter, ce serait pareil : c’est fort et c’est beau et c’est profond, les gens deviennent fous pour leur héros locaux et ils ont raison.
LE K.O. TECHNIQUE : BEACH HOUSE VS SÓLEY
On a certes déjà vu Sóley, perle merveilleuse, précieuse et captivante du label Morr Music, en « off » au Slippbarinn, deux jours plus tôt. Oui mais voilà : comme son nom l’indique presque clairement, le Slippbarinn est un bar, il était bondé, il était bruyant, la demoiselle jouait en solo et son charme ténu fut difficile à pleinement saisir. Ce samedi soir, on veux donc revoir Sóley dans de meilleures conditions, et en formation normale. Mais on veut tout autant voir Beach House, dont on est fan transi. Pas de bol : beauté contre beauté, les deux jouent précisément en même temps, dans deux salles voisines du gigantesque Harpa. Que faire ? Osciller, vaciller, ne pas trancher, et tenter de voir les deux. Sauf que la salle pourtant ample où Kiasmos vient d’allumer les étoiles et où Beach House doit se produire semble trop petite pour accueillir tous les fans des Américains, qui font la queue par centaines, sur deux étages, pour tenter de les voir : ce sera donc Sóley. Des regrets ? Un peu. Au début. De moins en moins alors qu’on plonge, petit à petit puis intégralement, dans les hauts fonds bizarres des chansons tordues et sorcières de la jeune fille, sorte de Juana Molina du grand nord et des grandes altitudes. Immobile, spectral, son dream folk avec ronces, épines et petits monstres électroniques, ses mélodies belles à glacer les sangs et, quand ses petits manèges s’arrêtent, son charme fou et sa grande drôlerie quand elle parle au public font littéralement merveille. Un peu plus tard, on peut finalement se glisser quelques minutes au concert de Beach House. Des regrets ? Oui, un peu. Ca avait aussi l’air très beau, malgré un son étrangement dégueulasse. Mais il ne peut de toute façon, chaque jour, n’y avoir qu’un Sóley dans le ciel.
LOW ROAR, LE CONCERT QUE L’ON A PAS VU…
…mais que l’on a entendu. Un classique ici, notamment en « off » : les bars ou salles sont souvent bondées, ne pas arriver une bonne heure en avance signifie généralement ne voir des artistes qu’une oreille, éventuellement quelques cheveux si on mesure plus de deux mètres dix. Pour cause de John Grant, nous avions loupé Low Roar, qui jouait en même temps que l’Américain au Gamla bíó : nous avons donc décidé d’aller voir le groupe de Ryan Karazija dans le très hype KEX Hotel, où se déroulent les captations des excellentes sessions KEXP. L’endroit était, évidemment, plus plein qu’un œuf Kinder et la séance de rattrapage n’a gratifié que les tympans : Low Roar restera comme le concert (ou l’un des concerts) que l’on a pas vu, mais que l’on a entendu. La frustration visuelle a pourtant vite été étouffée par l’immense beauté de ce qui nous parvenait aux oreilles et à l’âme -un camarade polonais nous a affirmé que le concert de la veille était à pleurer, et nous sommes tout à fait disposés à le croire. D’une rare délicatesse, la musique de Low Roar est une musique qui semble dessiner ses arabesque dans les grandes profondeurs, toute en courants sous-jacents et en croissances subtiles, elle est lentement tectonique et magmatique, elle est habitée par un chant des hautes sphères : la session fut courte, la vision nulle, mais l’amour fut intense. Vivement leur retour en France pour qu’on puisse associer la vision à l’audition.
LE CONCERT CINOQUE QUE L’ON A VU AU TRAVERS D’UNE VITRINE : GHOSTIGITAL
C’était chez Bad Taste Record, disquaire fameux de la fameuse rue Laugavegur. Et, dans le froid et sous la pluie, dans une petite foule massée sur le trottoir, ça avait l’air démentiel, électronique hardcore et rugissement de fin du monde, musique épileptique hurlée par un type forcément pathologiquement cinglé, remuant dans tous les sens, transpirant comme un volcan dans sa chemise blanche, possédé par le démon qui fait brailler ses machines rouillées. Bref, on a rien vu, ou si peu, mais on a adoré.
NOS AMIS BELGES
Le tout premier des premiers concerts auquel nous ayons assisté lors du festival fut celui de BRNS au Bar 11, quelques instants à peine après notre arrivée en ville : dans un sous-sol chaud comme un barbecue, nos chouchous romantiques et enflammés furent, c’est une habitude, incandescents. Notre attirance naturelle pour les Belges nous a, plus tard, poussés à aller voir Great Mountain Fire au Gamla bíó, et l’instinct fut sans doute le bon : cools ou chauds ou les deux à la fois, chaloupés ou raides ou les deux à la fois, bondissants et souriants ou appliqués et soniques ou les deux à la fois, exotiques ou occidentaux ou les deux à la fois, ronds ou anguleux ou les deux à la fois aussi car ils semblent de toute façon n’être capable, les diables, que de savants et explosifs mélanges, les Belges ont encore progressé, et ont quelques beaux arguments pour eux. Et notamment, ou surtout, quelques très solides chansons, à cheval entre l’Europe du Nord et l’Amérique du Sud : c’est sans doute le plus important.
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