Jurassic 5, Thee Oh Sees, The Experimental Tropic Blues Band: on est au Dour festival et on vous raconte tout.
Lundi, à Dour, les derniers campeurs de fortune bouclaient leurs bagages dans l’après-midi. Mines renfrognées, ceux-là décidaient même d’abandonner ce qu’il restait de leur tente après cinq nuits de folie. Feignant un ultime acte « rock’n’roll » arrogant mais se révélant simplement incapables de la replier. Ils furent 35 000 à tenter de dormir sous les (é)toiles depuis mercredi. Et 183 milliers – avec un un pic record de 42 000 festivaliers lors de l’ultime journée – à arpenter les allées du site sans jamais trop se bousculer. À l’heure de dresser le bilan, on se dit que cette 25e édition anniversaire aura fait bien mieux que de tenir ses promesses. Et il y eut plus d’un grand moment vécu sous ce soleil ardent. Voici l’essence résumée des deux dernières journées.
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Petite Noir pour grande déception
Samedi, 3e jour, fut théâtre de déceptions. D’entrée, avec Suuns et ses tristes incantations. On aime pourtant toujours autant leurs deux plaques et l’on frémit encore aux premiers râles et gémissements. Mais, presque chaque fois, les Canadiens se sont enlisés dans la foulée. Avec Devendra Banhart ensuite, pape moustachu du freak folk. D’abord en retard, puis suffisant, soporifique puis sautillant. Tantôt diva, tantôt grande folle, parfois croonant, souvent geignant…
Enfin – surtout – avec Petite Noir. Pas toujours très client des hypes qu’on nous agite sous le nez, on a détesté son vilain t-shirt à triangle et ses manches retroussées. Pas davantage aimé sa voix caverneuse, dont il abuse et ne cesse de jouer. Un garçon chaleureux comme une porte de prison, friand de mélodies britpop aseptisées. Mais le Sud-Africain a de la chance, car il y aura bientôt pour lui un marché à saisir avec la retraite annoncée de Bloc Party.
Les papys ont tout bon
Les anciens ont donc du montrer l’exemple. Et, une fois n’est pas coutume, ils venaient des couloirs du rap, dont on sait pourtant bien souvent que les vétérans vieillissent mal. Mais en milieu d’après-midi, les Ultramagnetic MC’s ont asséné leur démenti. En dépit des accessoires kitsch (un hoody orange pailleté, un casque de Gaulois, des diadèmes à loupiottes et de jolis colliers en contreplaqué), Kool Keith et ses copains ont célébré dignement les vingt-cinq ans de leur mythique « Critical Beatdown ». Une belle page d’histoire du hip hop dont nous nous sommes délectés.
Autre équipée légendaire en présence, Jurassic 5 fêtait à Dour son grand retour au complet. Les six de la Cité des Anges s’étaient séparés après la sortie de « Feedback » en 2006. Et si le groupe a plus que probablement enterré la hache de guerre pour raisons pécuniaires, nombreux furent excités à l’annonce de cette nouvelle tournée. On a donc retrouvé avec un plaisir non-feint les harmonies vocales qui ont fait leur réputation, les jeux de scratches des DJ’s Cut Chemist et Nu-Mark, les tubes en cascade (« Jayou », « Improvise », « Quality Control », etc.), Chali2na et son flow baryton… Une énergie intacte et un rap intemporel qui ont facilement fait fleurir les smiles dans la plaine.
À cause de garçons
Au-delà des déceptions ou des confirmations, samedi fut aussi l’occasion de révélations. La première se nommait Zebra Kats et débarquait de Brooklyn. Un chantre de la culture queer – comme en témoignait son élégant collant – accompagné d’une charmante rappeuse excitée – proche cousine d’Angel Haze musicalement. La paire diffusa durant une petite heure son électro-hip hop suintant, véritable invitation à la danse suggestive. Concluant d’un final explosif, sur l’implacable « Ima Read », où la demoiselle s’est même permise de se trémousser en trépied.
Une fois la nuit tombée, dans la même veine, Mykki Blanco allait aussi nous étonner. Après une double introduction bizarre et le concours d’étranges invités, le emcee favori des bboys androgynes en culottes courtes a retourné la Petite Maison dans la Prairie. Porte-jarretelles en avant et tétons garnis, cette Lady Gaga du tier-quar nous a autant fait peur que réjoui, jouant les Betty Boop de boîtes d’after, les monstres en laisse (« freak on a leash » extrait du morceau « Young Blood » feat. Woof, NdlR.) ou les méchants rappeurs. Un prestation qu’on n’est pas prêt d’oublier et un garçon (?) qu’on ne manquera pas d’aller applaudir en salle.
Nostalgia Ultra
Dimanche, si les Smashing Pumpkins et IAM faisaient les gros titres, aucune des deux légendes ne nous a séduits. Les bad boys de Marseille et Billy (Corgan) ont, tout au plus, chatouillé par instants la corde « nostalgie ». On passera sur l’horrible reprise de Bowie du second. S’il l’avait entendue, Major Tom n’aurait pas répondu. À dire vrai, les premiers nous ont même particulièrement ennuyés. Car, en définitive, il ne reste plus grand chose d’Akhenaton et de sa vieille école sympathiquement larguée. Oh, bien sûr, leurs tubes excitent les jeunes qui découvrent en live et ravit les trentenaires qui peuvent réciter à gorge déployée. Mais dans l’intervalle, les fans de rap contemporain se tournent les pouces.
Un show si mou que même Shurik’n et son « Samouraï » ne nous ont pas transpercés. Force est de constater que le carnet de rimes de la bande commence à dater. Des jeux de mots comme « Arts Martiens » ou « Raisons de la colère » font simplement pitié et la sixième galette d’IAM est une catastrophe, même si d’aucuns nombreux l’ont encensée. Ces gars-là sont gentils, peut-être n’est-il pas de bon ton de les critiquer? De quoi rendre la vie plus belle Place du Mistral peut-être, mais certainement plus de quoi faire lever les bras au stade Vélodrome.
La revanche des guitares
Pour les rockeurs de cœur, ce cru 2013 fut parfois synonyme de douleur. Le genre demeure représenté à Dour mais il s’efface derrière le beat passé une certaine heure. Ici, les guitares n’excitent plus les masses. Et si les prestations musclées d’Amenra (gâterie post-hardcore sludge metal fabriquée en Belgique) ou de Converge ont fait plaisir aux amateurs, elles ne furent que des éclairs nerveux dans un océan très électronique. Pour autant, notre dernière soirée sur place allait faire mentir cette statistique.
Grâce à The Experimental Tropic Blues Band sur le coup de minuit, le groupe le plus rock’n’roll de l’histoire musicale du plat pays. Pour célébrer comme il se devait ce 21 juillet, jour de fête nationale et d’intronisation du nouveau Roi Philippe 1er, Devil d’Inferno, Dirty Wolf et Boogie Snake sortaient du placard un nouveau projet: The Belgians, ode blues et électrique à la belgitude assumée. Il restait certes quelques mélodies qui tachent de leur dernier « Liquid Love » – produit par Jon Spencer et Matt Verta-Ray – , dont on se macule toujours à l’envi. Mais il y avait surtout Justine Henin, Eddy Merckx, Sandra Kim, JCVD, Toots Thielemans, les Diables à Mexico, Jacques Brel ou Arno, « ouvert comme une vieille pute » en vidéo… Du bon rock pour les héros du drapeau.
Grâce à Two Gallants aussi, un peu plus tôt, devant une audience tristement disparate. Un concert servi à moitié chaud, mais dont on retiendra malgré tout les classiques « Steady Rollin » et « Las Cruces Jail », le petit dernier énervé « Halcyon Days », la voix de papier de verre d’Adam Stevens et le jeu hypnotique du Tyson Vogel, batteur araignée.
Enfin, grâce aux géniaux Thee Oh Sees et à leur leader surdoué John Dwyer en début de soirée. Une fois de plus, les San-Franciscains furent bordéliquement garage, furieusement punk et gentiment psyché. Au galop, comme d’hab, mais aussi parfois plus posés, à l’image du récent – et excellent – « Floating Coffin ». Sous les ballons, la bande avait donc entamé calmement (sans « The Dream ») avant d’incendier le plancher. Après avoir longtemps hésité à l’affirmer, cette fois c’est décidé: en live, Thee Oh Sees est juste le meilleur groupe de rock en activité. Oui messieurs-dames, du monde entier. Et le Dour festival, définitivement notre rendez-vous préféré de l’été.
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