Seize ans de carrière et un cinquième album qui vient de sortir, « Thr!!!er ». Rencontre avec Nic Offer, chanteur du groupe le plus dur à googler du monde. Interview.
Ton groupe existe depuis plus de quinze ans. Comment vis-tu cette longévité ?
Je me sens chanceux. Ce n’est pas quelque chose qu’on avait pensé possible, surtout qu’on était des punks. On voulait jouer dans des sous-sols pour nos potes et faire le tour des Etats-Unis, c’était ça notre rêve. Et puis on a pris de l’ampleur et on s’est rendu compte que les gens continuaient à venir à nos concerts, des années après nos débuts. C’est génial.
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Tu as l’air presque surpris ?
Oui, comme tous les autres membres du groupe, mais je me sens surtout chanceux comparé à mon frangin qui doit aller au bureau tous les jours. Je ne veux pas faire ça !
Comment dirais-tu que les relations au sein du groupe ont évolué depuis les débuts du groupe ?
D’une façon plutôt intéressante. Je me rappelle qu’à nos débuts, on avait joué avec un groupe qui existait depuis des années et ils nous avaient dit « vous verrez, c’est marrant de voir les enfants des autres membres du groupe grandir » et on s’était dit « vraiment ? ». Quinze ans plus tard, on en est là. Il y a eu des enfants, on a aussi perdu des gens, on n’est plus le même groupe, mais on a grandi ensemble. On est une grande famille. Et comme dans toute famille, on s’engueule, on s’agace, mais on s’aime.
Tu penses que tu aurais grandi de la même façon sans le groupe ?
Non, on s’est façonné les uns les autres.
Et en tant que songwriter, de quelle façon penses-tu avoir évolué ?
Je pense que j’ai une vision plus claire de ce que doit être une chanson aujourd’hui et ça ne passe plus par « je ne t’aime pas » ou « tu m’as brisé le cœur ». Je sais mieux exploiter des histoires, c’est plus créatif. Heureusement qu’après toutes ces années j’ai l’impression d’avoir progressé !
Tu te sens plus à l’aise ?
Oui tout à fait. Je me sens plus en confiance. Je sais que je peux faire certaines choses qui me surprendront moi-même. C’est comme ça que la construction de cet album m’a parue en tous cas.
Quand avez-vous commencé à travailler sur cet album ?
On a commencé en 2011, et on a démarré l’enregistrement en 2012.
Vous vivez tous dans des villes différentes. Comment construit-on un album à des kilomètres de distance ?
Trois d’entre nous vivent à New York, un à Pittsburgh, un à Portland et un à Sacramento. On a l’habitude. Je vais souvent en Californie pour écrire avec celui qui est là-bas. Sinon, j’écris beaucoup avec Rafael (Cohen, ndlr) à New York. On échange beaucoup par mail. Ce n’est pas du tout un problème pour nous. C’est une question qu’on nous pose souvent, « comment faites-vous pour composer alors que vous n’habitez pas dans la même ville ? », mais pour nous, c’est devenu très naturel. Ça fait des années qu’on fait ça. On a déménagé à New York il y a douze ans.
Penses-tu que cet album soit plus structuré que les précédents ?
Je ne crois pas. Je dirais plutôt qu’il est plus concentré et précis. Il est plus efficace, il y a moins de temps gâché. Tout ce que l’on trouve sur l’album est là pour une raison, et non pas juste parce qu’on ne savait pas quoi faire à ce moment-là. Ça fait longtemps qu’on joue avec les structures – peut-être qu’on est devenus plus fort à ce jeu-là ?
Est-ce que cela vient de la façon dont l’enregistrement de Thr!!!ler s’est passé ?
C’était un enregistrement bien plus marrant que le précédent. Ça m’inquièterait qu’on ne s’amuse pas sur le prochain. On était au Texas, c’était un bon moment pour entrer en studio. On savait qu’on tenait quelque chose. L’ambiance dans le groupe était parfaite. C’était un album bien plus facile à faire que le précédent.
Est-ce aussi dû au fait que vous vous connaissez depuis si longtemps que vous avez appris à désamorcer les crises ?
Disons qu’on sait comment manœuvrer et modifier les humeurs de chacun. On sait que telle ou telle personne va réagir de telle ou telle façon à une chose. C’est facile ensuite de gérer les crises.
Vous avez travaillé avec Jim Eno de Spoon sur Thr!!!er. Pourquoi avoir fait appel à lui ? Comment cela s’est-il passé en studio avec lui ?
On savait que tout allait bien se passer d’abord parce qu’on pense que c’est le meilleur. Je ne fais pas de grandes éloges à beaucoup de groupes indie, mais Spoon est un groupe incroyable. Ils ont un don pour laisser de l’espace dans leurs chansons, et ils portent une telle attention aux détails… Leurs orchestrations sont si originales, et servent vraiment les chansons. Tout ça est très lié à la dance-music finalement et on pensait que ce serait une bonne association. Et puis on respecte énormément Jim en tant que songwriter et on savait qu’il nous ferait progresser.
Quel rôle a-t-il joué pendant l’enregistrement ?
Jim a fait figure de coach pendant l’enregistrement. Quand tu mets six personnes qui se disputent depuis seize ans en studio, c’est toujours bon d’avoir quelqu’un qui départage tout le monde et dit « ok, on va faire ça comme ça ». Et puis on avait confiance en lui. On a déjà fait l’expérience d’avoir quelqu’un en qui on n’avait pas confiance en studio et qui nous disait « il faut que vous fassiez ça comme ça ». On se regardait tous en se demandant « vraiment ? » (rires). Quand Jim disait quelque chose, on l’écoutait. Il voulait apprendre de nous, et on voulait apprendre de lui.
Qu’a-t-il apporté à l’album ?
Il était très efficace et il était aussi très structuré quant à la construction des chansons. Pour les albums précédents, on enregistrait des parties de morceaux et on se disait qu’on reviendrait dessus après pour rajouter des effets ou les améliorer. On s’est pas mal perdu dans cette manière de fonctionner. Avec Jim, c’était beaucoup plus organisé : on enregistrait, on se demandait si on aimait la façon dont sonnait la partie qu’on venait de mettre en boîte et si oui, on pouvait avancer sur la partie suivante. Et puis Jim est très bon pour ce qui est de trouver des sons tordus. Il est très à l’aise en studio.
Tu as le sentiment d’avoir plus expérimenter sur ce disque ?
C’est ce que dit Jim, mais je ne pense pas que ce soit le cas. Il est juste un meilleur dans ce domaine ! Il croit qu’on n’a jamais expérimenté avant, mais on le faisait déjà, sauf qu’on n’en sortait rien (rires) !
Quelle est ta définition de la dance-music ? Est-ce que tu en as une vision très nette aujourd’hui ?
Pas vraiment. J’aime être surpris. J’ai simplement besoin d’aimer un beat, que ça clique. Je le sais instantanément en général. J’écoutais des mixtapes d’un critique que j’aime beaucoup l’autre fois – il fait ces compiles de titres hip-hop classées par année. Je ne faisais pas très attention, j’étais en train de faire autre chose, mais une ou deux fois, je me suis arrêté parce que j’ai été interpelé par un son ou un beat. Ça pour moi, c’est la dance-music (rires).
Pourquoi avoir choisi le nom ultra-connoté de Thr!!!er pour cet album ?
On a juste trouvé ça marrant. Et puis, quand un groupe fait un album, il a toujours l’impression de faire un Thriller, en tous cas, c’est notre cas. On essaie de faire que chaque chanson sonne comme un tube, on en est convaincu jusqu’à la sortie du disque, et quand les chroniques de l’album tombent, les critiques te disent que non, tu n’as pas fait un nouveau Thriller. C’était une bonne façon de les rouler (rires).
Votre groupe a une réputation scénique énorme. A quoi va ressembler Thr!!!er en live ?
Ça va être dingue. On a déjà joué une bonne partie de l’album live et c’était vraiment amusant. On a hâte de repartir en tournée et de rejouer en France. J’ai un souvenir marrant d’un des derniers concerts qu’on a donné à Paris. On allait monter sur scène et je venais de rappeler au groupe que le public français est souvent dur à chauffer, mais qu’une fois que c’est fait, c’est l’euphorie totale. On monte sur scène, on joue la première chanson et on se plante comme jamais – c’est un de nos plus gros plantages je crois. Impossible de savoir ce qui se passe, où chacun en est, la chanson ne ressemble à rien. On est tous là en train de paniquer, et quand on a regardé le public, on s’est aperçu que, contrairement à ce à quoi on s’attendait, tout le monde sautait et dansait. C’est la foule qui nous a porté ce soir-là alors qu’on était vraiment très mal partis !
Vous pensez au live quand vous composer et enregistrez de nouvelles chansons ?
On y pense mais si on sait que quelque chose ne va pas fonctionner en live, on le fait quand même sur disque parce que sinon, on ne s’en sort pas. Certains titres ne marchent pas en live, mais ce n’est pas un problème, on ne les joue pas.
Est-ce que !!! est une façon d’échapper à l’ennui pour toi ?
Evidemment. Ce n’est pas pour cette raison que tu es journaliste (rires) ? Même mon dentiste fait ce boulot pour lutter contre l’ennui. J’ai un pote dentiste et il adore ce qu’il fait. Il aurait pu prendre sa retraite depuis longtemps et il ne le fait pas parce qu’il aime profondément ce qu’il fait et que son métier l’aide évidemment à lutter contre l’ennui. Si c’est vrai pour mon dentiste, je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas mon cas (rires) !
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