Entre le show perturbant de Aphex Twin, la sidérante beauté de la prestation de Solange Knowles et la surprise Arcade Fire : l’édition 2017 de Primavera est partie comme une fusée.
Surplombée de soleil, la scène a tout d’un cliché de l’Espagne contemporaine. D’un coté, des tours de verre et de métal, de l’autre, l’immensité marine ; et entre ces deux opposés, une foule scintillante de sueur. Bière à la main, lunettes de soleil sur le nez, chacun se fraie un chemin entre les palmiers de Barcelone pour se se presser autour des multiples scènes du Primavera Sound festival.
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Double batteries
« On est très content de débuter notre tournée européenne ici, à Primavera », nous confiait hier Stu Mackenzie. Le chef de file de la bouillonnante scène psyché australienne devait, quelques heures plus tard, présenter au Primavera Sound Festival une poignée de titres du nouvel album de King Gizzard & The Lizard Wizard. Murder of The Universe ne sortira qu’à la fin du mois, mais Barcelone aura eu droit à un aperçu de la force de frappe de l’enchaînement des titres Alter Me et Altered Beast, qui forment le mantra de ce disque dont on aura l’occasion de parler. On retiendra que Rattlesnake, sorti il y a moins d’un an, est déjà un classique acclamé par le public et que, de Thee Oh Sees à King Gizzard, la formule deux batteries sur scène s’est clairement imposée comme une nouvelle norme.
En début de soirée, sur la même scène, Charles Hayward (à la batterie) et Charles Bullen (à la guitare) prolongeaient leur exploration du champ des possibles scénique avec This Is Not This Heat. Reformé l’année dernière dans une nouvelle et avec un nouveau projet, – plus de trente ans après sa dissolution -, This Heat avait suscité l’excitation des fans de la première heure et la curiosité des autres. Moins solennelle et crépusculaire que lors de son passage au festival Sonic Protest en mars à Paris, la prestation de la formation culte du post-punk n’en demeurait pas moins radicale et brutale, comme épurée de ces phases les plus contemplatives.
Contemplatif, un mot que ne connait pas Slayer. La bande de Tom Araya a lancé la chevauchée des Walkyries sur le Parc du Forum avec une violence rare, qui tranchait néanmoins avec les « muchas gracias » mignons de ce bon vieux Tom à la fin de chaque morceau.
La grâce
Du côté de la scène Pitchfork, sous l’immense plaque photovoltaïque, les canadiens de Badbadnotgood ont joué un jazz fusion du futur, dans un show à la fois virtuose et loufoque. Les envolées merveilleuses du saxophone, soutenues par les rythmes hybrides de la coalition batterie-basse-clavier, ont donné hier soir au public de Primavera de nouveaux motifs enchevêtrés sur lesquels danser et vibrer. Au sens propre du terme, tant la musique de BBNG, dans toute sa complexité, arrive pourtant à toucher nos sens les plus primaires.
Un peu comme la beauté sidérante du show de Solange, qui a ressuscité hier les racines du groove de la musique noire américaine. Accompagnée sur scène par des choristes, des cuivres, une batterie et un combo basse-synthé-guitare, S. Knowles déroule ses titres avec une grâce emprunte de gravité, notamment lors de l’interprétation de Don’t Touch My Hair. Losing You et Bad Girls morceaux écrits en collaboration avec Devonté Hynes-, rappellent la grande proximité entre Freetown Sound, de Blood Orange et A Seat at the Table, de Solange, deux albums sortis l’année dernière, qui portent en eux un même message de fierté. Fierté qui pouvait se lire sur les visages de la foule, filmés en gros plan par les caméras du festival.
F.M.
Pop givrante et ballades velvetiennes
Si l’affiche comporte son lot de noms bien connus du public (et de nos modestes services), nous ne sommes pas à l’abri de quelques bonnes surprises. Ainsi, Soledad Velez, chilienne âgée de 29 ans, accueille les spectateurs avec une pop givrante et mélodieuse. Nimbée d’écho, la voix grave de la jeune femme se mêle à des rythmiques froides et des notes de guitares cristallines, parfois distoïfiées. La foule clairsemée et abrutie de chaleur reste un peu sur sa faim après ce set trop court (une demi-heure à peine), mais pas le temps de se plaindre : à quelques dizaines de mètres de là, Kevin Morby vient d’entrer en scène. Bien entendu, on se jette.
L’Américain arbore une mine blasée et un costume blanc taillé sur mesure, et balance les titres de son dernier album en date, City Music. Les ballades du songwriter font mouche et plongent le public en plein coeur d’un New York fantasmé, aux forts relents velvetiens. Influence revendiquée, puisque le musicien et son groupe nous gratifieront d’une reprise du célèbre Rock’n Roll, en hommage à Lou Reed.
La claque Death Grips
Gros, très gros changement d’ambiance une heure plus tard. Après quelques errances suantes, une ou deux bières et un passage chez les excellents This Is Not This Heat, on décide d’aller écouter Miguel et son R’n B matiné de soul électronique. Devant une très belle scène aux allures cosmiques, le musicien exécute un show parfait. La voix, la danse, les musiciens : tout est en place, rien ne dépasse et c’est justement un peu là le souci. On laissera donc la foule à ses trémoussements, et reprendrons nos divagations. Après l’esthétisme très (trop?) poussé de Solange, la nuit tombe sur la mélancolie salvatrice et vocodée de Bon Iver. Et la prochaine claque de la soirée portera le doux nom de Death Grips.
Rarement on se sera pris un telle décharge de rage et d’électricité en pleine face. Pas le temps de dire bonjour ni merci, les trois musiciens n’en ont rien à foutre et sont là pour suer, hurler et fracasser leurs instruments. C’est ce qu’ils feront pendant une heure, avant de partir sans un mot sous un déluge de larsens et d’écho, laissant des spectateurs médusés par une telle violence. Sauf que ces derniers ne sont pas au bout de leurs peines, puisqu’une ombre se dessine sur la plus grande scène du festival. Aphex Twin, véritable légende vivante de la musique électronique, se tient là, et s’apprête à délivrer…quelque chose qu’on aurait du mal à décrire.
Le chaos Aphex Twin
Les adjectifs manquent. Le musicien fait de son concert une véritable oeuvre d’art, monstrueuse, distordue, chaotique, et tout ce qui entre dans le champ lexical de l’horreur. Soutenues par une tempête de néons qui transpercent la nuit, les frappes électroniques de morceaux tels que Come To Daddy tabassent les oreilles du public et mettent les esthètes au bord de la crise de nerfs. Ici, pas de place laissée à la mélodie, puisque pratiquement aucune note n’est jouée. Seuls demeurent les rythmes, les rythmes arythmiques et torturés, et la décomposition de la musique telle qu’on la connait. L’homme remercie ses auditeurs en massacrant leurs visages sur les écrans qui encadrent la scène, et s’en va au bout de deux heures de furie, sans lâcher une parole. Il est trois heures du matin, quelques spectateurs s’en vont se rafraichir les tympans au son de l’ambient de Tycho, mais la plupart, abasourdis, rejoignent la foule d’ombres parties reprendre des forces pour le lendemain.
About last night …. ⚡️⚡️⚡️ @AphexTwin @WarpRecords @Primavera_Sound @GoodmachinePr #AphexTwin pic.twitter.com/HjBLhchjpo
— Tracy Kawalik (@TracyKawalik) June 2, 2017
X.R.
La surprise du chef
Chaque année, le Primavera Sound festival charrie son lot de surprises et autres happening. Hier, à la faveur d’un track intitulé Everything Now lâché dans une vidéo mystérieuse tournée chez un disquaire de Barcelone, c’est Arcade Fire qui a monopolisé toutes les attentions. Programmé en tête d’affiche demain soir, le groupe a néanmoins joué hier dans le plus grand secret, dévoilant un deuxième titre : Creature Comfort. Chez Discos Paradiso, le fameux disquaire qui fut le premier a faire tourner le vinyle du nouveau single des canadiens, on nous confirme qu’il demeure introuvable chez lui : « des types sont venus et ont proposé de mettre le disque, mais ils sont repartis avec ». Mercredi, Jarvis Cocker et Steve Mackey avait déjà fait une apparition surprise sur cette même scène, pour présenter un projet de musique méditative.
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