Lancé en 1983 à Saint-Brieuc et reconnu pour son éclectisme, le festival Art Rock vient de fêter ses 40 ans ce week-end sans son fondateur, Jean-Michel Boinet, récemment décédé. Mais le cœur y était. Toujours. Pour célébrer ce rendez-vous incontournable en Bretagne et les arts en tout genre, pour se rencontrer et, surtout, pour faire la fête.
Jeudi 25 mai
Le train aborde Saint-Brieuc sous un ciel laiteux. “Ça va se lever avec la marée !”, martèle ce Breton incapable de nous lâcher la grappe durant les deux heures qui séparent Paris de la préfecture des Côtes-d’Armor. Une brise cisèle l’air. On étreint les potes, des vrai·es Briochin·es fidèles à Art Rock, l’incontournable festival local prévu ce week-end. On débouche une bouteille en relisant le programme.
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Cette année, Art Rock célèbre ses 40 ans mais s’apprête aussi à vivre sa première édition sans son fondateur, Jean-Michel Boinet, décédé le 23 février 2023 à l’âge de 67 ans. Auréolé pour son éclectisme dès sa création en 1983 à Saint-Brieuc, le festival convoque aussi bien la musique que la danse, le théâtre, les arts plastiques et numériques ou encore la gastronomie. Les affiches s’offrent des pépites, de Patti Smith à Andy Warhol en passant par Miles Davis ou la troupe Royal de Luxe. Depuis 2018, c’est Alice Boinet, la fille de Jean-Michel, qui pilote la programmation artistique. À l’idée de cet anniversaire agité, le cœur se serre. Il craint les chocs mais on a qu’une envie, le laisser battre à tout rompre pendant les trois prochaines soirées.
Vendredi 26 mai
Façon étoile filante, Yoa débarque en solo sur la petite scène d’Art Rock. Celle que l’on a connue en 2021 devant son Diabolo menthe poursuit sa mue avec une assurance déroutante, déballant une constellation de textes intimes et crus à propos de santé mentale ou de relations foireuses. Entre pop et électro qui tabasse, Chanson triste et bootycall se mettent dans la poche les premiers rangs en pattes d’éph et bananes autour du cou, en train de sauter partout.
On emprunte une petite rue pavée, en finissant la Kro chaude au fond de l’éco-cup, pour se retrouver devant Alt-J, un show sans surprise mais toujours aussi agréable, avant d’enchaîner avec l’icône de la techno Jeff Mills puis le girls band anglais ultra punk Lambrini Girls.
Samedi 27 mai
Après avoir festoyé jusqu’au petit matin, on prend le goûter à 19 h 30 avec Astéréotypie, un collectif fondé par un éducateur et guitariste aux côtés de quatre chanteurs·euses atteint·es d’autisme, le temps d’un spectacle hyper touchant. Les rues sinueuses de Saint-Brieuc enflent, les conversations bourdonnent et le soleil décline derrière les murs en granit quand Sylvie Kreusch foule, de ses grandes bottes rouges, la petite scène. Ses yeux pétillent. Ancienne collaboratrice et ex-compagne de Warhaus, la Belge s’empare du crépuscule en sillonnant son premier album solo, Montbray, mélancolique et vigoureux. Des chœurs en arabesque se mêlent à sa voix électrisante et Sylvie Kreusch remporte, d’une traite, tous les suffrages.
On longe l’hôtel de ville avant de se fondre dans la foule. Après une pluie d’applaudissements en mémoire de Jean-Michel Boinet, le fondateur du festival, la compagnie de danse du renommé Philippe Decouflé s’incruste sur la grande scène pour une prestation expéditive genre paillettes, ironie et contorsions. En pleine nuit, le tant attendu Benjamin Biolay déboule sur scène. Notre crooner national, avec sa nonchalance bienfaisante et un charisme imparable, lance généreusement une poignée de pistes de son dernier disque, Saint-Clair, sorti en 2022, avant de s’octroyer un superbe piano-voix sur Ton héritage et de lâcher ses meilleurs tubes. Au pif : Comme une voiture volée, le génialissime Idéogrammes ou encore Comment est ta peine ? Le charme opère, forcément.
On file voir Porridge Radio. Fascinante, la bande de Brighton s’articule autour d’une des voix rock féminines du moment, celle de Dana Margolin, qui chante autant qu’elle scande le spleen et la lumière blanche. Birthday Party, Jealousy, End of Last Year et, bien sûr, The Rip passent en revue les affres de l’angoisse existentielle, s’enfilent parfois des intros durant lesquels les muscles se bandent avant d’attaquer en pleine face et de réitérer le souvenir brûlant de PJ Harvey.
Dimanche 28 mai
Silly Boy Blue a un chat dans la gorge. Mais rien n’empêchera Ana Benabdelkarim (pour les intimes) de fêter la sortie toute fraîche, le 12 mai dernier, de son second disque, Eternal Love. Radieuse, la jeune Française chante à tue-tête, discute avec le public et fédère les troupes sur The Riddle et Not A Friend. Quand elle salue, des files indiennes fredonnent encore “Not a friend ! No, no, not a friend no !” en courant vers la grande scène où Hamza est en train d’orchestrer un bordel monumental. En petit prince hissé sur sa plateforme, le rappeur bruxellois craque une allumette et fout le feu partout en dégainant Sincèrement, son nouvel album où se croisent Damso, Tiakola ou CKay.
On peine à se frayer un chemin vers la petite scène lorsqu’une voix grave s’élève. Zaho de Sagazan, ce n’était pas vraiment notre tasse de thé. Mais, on doit le reconnaître, elle a plié le game. Les premiers rangs se mettent à gondoler pendant que la chanteuse de 23 piges sautille d’une chanson à l’autre en contant ses rêves et ses désirs. Les basses vibrent. Les cris surgissent sans préavis sur son single phare, Tristesse, avant de se métamorphoser en danse dans tous les sens jusqu’à l’épuisement. Tiens, le public n’a presque pas bougé pour aller voir Christine and the Queens. Pourtant, de l’autre côté du festival, la foule continue de s’amasser devant le nouveau souverain de la pop française. Pour la première date de sa nouvelle tournée dans l’Hexagone, il livre une performance hybride, magnifiant danse de grâce et chant de voûte, dans un décor radicalement sobre. Nouveautés et anciens tubes (Christine, People Have Been Sad) s’enchevêtrent entre des sacrements personnels récités de plein front. Le show nous attrape par le col et divise. Transcendant ou ennuyeux ?
Les murs frémissent. Au théâtre de La Passerelle, Koudlam entame un set foudroyant avant de laisser place aux turbulent·es Psychotic Monks, qu’on salue pour leur engagement en faveur d’un secteur musical plus inclusif. Retour sur la grande scène. On se croirait dans la cour de récré. C’est ce bon vieux Pedro Winter, le boss de Ed Banger, aux manettes de la double fête finale : les 40 ans du festival et les 20 ans de son iconique label parisien. Pedro balance ses propres sons, signés Busy P., tout en mixant ceux des copains : Justice, Mr. Oizo, DJ Mehdi, SebastiAn (pour ne citer qu’eux). Sans oublier de souffler les bougies. Manger du gâteau d’anniversaire distribué au public par les équipes du festival juste devant Pedro Winter en train de monter le son à fond de Killing In The Name ? Oui, c’est possible. À Art Rock.
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