Les rageurs Anglais Foals promettaient, dès leur premier Antidotes, d’être un grand groupe. Nous avons pu écouter, en belle avant-première, le deuxième album des garçons. Et on vous promet une chose : Foals ne sera pas grand mais immense. Premières impressions et détails complets.
Ils sont ravis. Leurs yeux brillent, un peu, leurs sourires sont francs, plutôt. La joie est plus discrète, peut-être, chez Yannis, tête pensante et apparemment fortement perturbée de Foals : pas mutique, toujours passionnant, le garçon semble mal à l’aise, sur une défensive permanente. Les garçons de Foals sont contents, car nous sommes les premiers, les vrais premiers, à pouvoir écouter leur album, encore fumant, encore bouillant, à peine terminé, mixé mais pas encore masterisé.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Ils semblent en paix, visiblement allégés d’en avoir enfin terminé avec le fameux piège du deuxième album, soulagés d’avoir pu sortir quelque chose de quelques mois d’un apparent et tempétueux chaos. Et ils sont contents car nous sommes les premiers, hors label et management, à leur donner un avis : on aurait pu attendre encore quelques mois pour se prononcer, en professionnels objectifs et réservés, mais impossible de ne pas faire profiter de sa jouissance : l’avis prématuré est plutôt positif, voire carrément extatique. Car il suffit d’une seule écoute pour prendre immédiatement, les joues rougies et les oreilles béates, la pleine mesure de l’énorme baffe que constituera le deuxième album des Anglais.
L’écoute se déroule dans un quartier sans âme du Londres de la petite ceinture, là où les tubes commencent à voir le jour pour se transformer en train de banlieue, près de Queen’s Park. Elle se déroule dans le studio de Nellee Hooper, producteur de Björk, de Madonna, de Massive Attack, du musical Romeo + Juliet. Le type a donc un peu de sous, et l’endroit est d’un luxe, technologique comme mobilier, sans nom. L’écoute se fait entourée d’un milliards de boutons aux implications absconses, de bidules qui clignotent, de vumètres qui se cabrent. En face, deux enceintes à peu près grandes, chacune, comme une salle de bain moyenne d’un studio parisien.
Les titres s’enchaînent, dans le désordre. Sans entrer dans les détails car nous y reviendront plus tard : ce deuxième album encore sans titre est globalement beaucoup, beaucoup, beaucoup plus varié, et sans doute deux atmosphères au dessus d’Antidotes, pourtant déjà excellent. Toujours effarante, sa rage semble canalisée, mieux maîtrisée, plus contrastée, plus nuancée. Les émotions provoquées sont multiples, s’articulent en contradictions passionnantes, en humeurs jamais clairement délimitées.
Le groupe est clairement plus mûr, ses morceaux plus complexes -étonnamment complexes, pour certains. Ce qui tenait parfois, ils l’admettent eux-mêmes, de la formule sur Antidotes s’éclate ici dans une réinvention permanente, dans des pleins et déliés bien mieux dessinés, dans une production bien plus ronde, plus aérienne, plus brillante. Funk et disco sont, ils l’expliquent lors de l’interview qui suit l’écoute et que nous publierons prochainement ici, deux influences majeures. Le math-rock se fait moins anguleux, moins ardu, plus souple sur ses appuis remuants. Les tics africanisants ne relèvent pas du tic ni de la posture moderniste comme chez d’autres groupes entendus depuis.
[attachment id=298]On entend ainsi quelques très grands morceaux. La très changeante Blue Blood, magnifique, comme des Fleet Foxes rencontrant l’afrobeat dans de grands espaces, proche parfois des éclatements stylistiques merveilleux que produisent Yeasayer. This Orient, dans une veine plus classique pour le groupe, est un tube évident, une pop pour centrales nucléaires en surchauffe. Total Life Forever, un funk pâle à l’efficacité redoutable, sombre mais conquérant. La splendide Spanish Sahara est sans doute l’un des sommets de l’album : son intro lente et sa mélancolie collante viennent se projeter contre un beat et des rythmes en cavalcade, puis contre une explosion sonique à faire flipper Mogwai. Black Gold, aussi, fait un drôle de mélange : Mogwai, les Rapture, les !!! ne sont pas loin, dans un morceaux aux espaces grands comme l’Union Soviétique, dans des contre-pieds tempétueux et permanents.
L’album est donc un grand album : on en mettrait nos deux mains, et celles de notre mère, à couper. Les choses n’ont pourtant pas été simples. L’accouchement a même été, c’est peu de le dire, difficile. Le groupe s’est d’abord enfermé dans une maison d’Oxford, s’est mis à écrire, dans le désordre et le collectif. Premier changement par rapport à Antidotes. L’autre changement est trivial, mais d’une importance capitale : Foals a baissé le volume, joué dans une retenue sonore relative, permettant le dialogue, la circulation des idées, mais compliquant encore un peu plus l’articulation des idées. La bande y a ainsi produit des dizaines de bouts de morceaux, à mettre en perspective, à mettre en cohérence, à réinventer en chansons intégrales. Mais Foals, pour éviter la formule, a désiré ne pas boucler l’écriture avant d’entrer en studio –et c’est de cette importante marge que semble surgir la grandeur de l’album.
L’enregistrement lui-même semble avoir été le moment le plus chaotique d’un processus apparemment douloureux. C’est à Göteborg, en Suède, dans un studio paumé dans une zone industrielle glauque, que les garçons sont allés s’enfermer –et l’enfermement n’est sans doute pas ici un vain mot. L’isolation, l’huis-clôt, les substances, le sommeil perturbé dans des micro-cabines séparées par des cloisons en carton, seize heures de boulot par jour et, comme à Oxford, un travail éclaté dans de multiples pièces laissées au bon vouloir des idées des uns et des autres, les engueulades, la folie qui finit par rôder –Yannis explique avoir été proche, très proche, de la rupture mentale intégrale- auraient, c’est une certitude, pu finir par avoir la peau du groupe.
Après avoir essayé quelques pistes, dont le gros Paul Epsworth notamment, Luke Smith, membre des malheureusement défunts et excellents Clor, a été chargé de produire l’album, de canaliser les forces, de pacifier les tensions, d’éviter la rupture entre une bande de control freaks, dont Yannis est sans doute le plus obsessif, le plus maladif de tous. Et de sonner la fin de la récré quand le groupe, incapable de boucler son travail en cours, à la poursuite de chimériques perfections, ne parvenait plus à avancer : sans lui, Foals serait sans doute encore en studio, tous morts, entretués, ou tous fous, perdus à jamais dans les dédales qu’ils ont eux-mêmes créés. Ils ont pourtant triomphé de leurs démons. Pour le bien de tous, vous le comprendrez dans quelques mois.
{"type":"Banniere-Basse"}