Apparu à la fin des années 1990 et décrit comme un mélange de break dance, de semba et d’électro, le kuduro bénéficie aujourd’hui d’une exposition nouvelle et lumineuse en la personne de Pongo. Rencontre.
Remarquée l’an passé pour ses titres Tambulaya et Kuzola, cette ancienne membre du groupe portugais Buraka Som Sistema, qui a fui la guerre civile de son Angola natale pour s’installer à Lisbonne à l’âge de 8 ans, s’affirmait il y a quelques mois comme l’unes des artistes les plus fascinantes du moment avec Baia, un premier EP dans lequel la chanteuse de 26 ans nous offrait à découvrir un kuduro métissé, teinté d’EDM, de bass music, de dancehall et de pop. Une musique novatrice et inspirante, sur laquelle elle revient aujourd’hui pour nous.
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Pour mieux comprendre le son que tu façonnes aujourd’hui, j’aimerais savoir : quelles sont les musiques qui ont bercé ta jeunesse ?
Pongo – Beaucoup de choses différentes ! Je suis née en 1992 en Angola, j’ai donc grandi avec tout ce qui se jouait là-bas dans les années 1990 : les airs traditionnels angolais, la semba, le zouk antillais aussi, qui était très présent, tous les nouveaux rythmes brésiliens de l’époque… et puis beaucoup de kuduro.
Ce kuduro que tu écoutes durant ton enfance en Angola, il t’accompagne également au Portugal, où tu t’installes à l’âge de 8 ans avec ta famille pour fuir la guerre civile qui ravage ton pays natal à la fin des années 1990. J’imagine que cela a été une sorte de repère, pour toi ?
Ça m’a permis de tisser un lien entre mon histoire musicale en Angola et le début de mon histoire musicale au Portugal. Et puis, même si je connaissais le kuduro depuis toute petite, c’est vraiment au Portugal que je suis entrée activement dans cette culture, par le biais de Denon Squad, un groupe de Lisbonne que j’ai d’abord rejoint en tant que danseuse, puis en tant que chanteuse.
Ils m’ont donné l’opportunité de m’exprimer, autant avec mon corps qu’avec ma voix (dont je n’avais pas conscience avant de les rencontrer). Quand j’ai commencé à chanter à leurs côtés, tout est sorti d’un coup, comme si tout ça avait été toujours là, à l’intérieur : les mélodies, les thématiques… le kuduro m’a vraiment permis de libérer tout ce que j’avais au fond de moi. Ma musique est le fruit d’un mélange entre des choses que j’ai vécues dans mon enfance, et la façon dont je les réinterprète aujourd’hui.
À Lisbonne, tu fais aussi la rencontre du groupe Buraka Som Sistema, avec qui ta carrière en tant que chanteuse débute véritablement…
Oui, ça a été une rencontre très importante pour ma carrière. En fait, un des membres de Denon Squad connaissait les Buraka Som Sistema qui, à ce moment-là, cherchaient une nouvelle chanteuse. Alors un ami leur a envoyé (sans me prévenir) quelques-uns de mes enregistrements, des choses que j’avais faites avec Denon Squad mais aussi des choses que j’avais moi-même composées de mon côté sous le nom de Pongo Love, comme Kalemba (Wegue Wegue) par exemple. Ils ont tout de suite accroché et… c’est comme ça que tout a commencé !
Justement, pourrais-tu me parler de Kalemba (Wegue Wegue), qui reste encore aujourd’hui, huit ans après sa sortie, l’un des plus grands succès de Buraka Som Sistema ?
Ce morceau est inspiré de mon enfance à Luanda [la capitale de l’Angola, N.D.L.R.]. Il fait référence à un jeu auquel on jouait avec les enfants de mon quartier, un jeu à travers lequel on se défiait à travers le chant ou la danse dans les rues de Luanda. « Wegue », ça signifie victoire. Le morceau reprend une chanson qu’on chantait durant ce jeu avec les enfants de mon quartier, et dans laquelle, pour résumer, on disait qu’on était les meilleurs.
Ton enfance en Angola semble avoir une place éminemment importante dans tes textes…
Oui, je crois qu’une partie de mon cerveau a pour l’éternité été fixée sur mon enfance vécue en Angola. Les visages, les couleurs, les odeurs, les paysages… tout cela est encore extrêmement vif dans mon esprit. Un peu comme des séquences que j’aurais enregistrées pour toujours. Je crois que ma musique est le fruit d’un mélange entre des choses que j’ai vues ou vécues dans mon enfance en Afrique, et la façon dont je les réinterprète aujourd’hui, avec mon regard d’adulte et d’Européenne. Mon univers musical est indissociable de la notion de lutte.
En 2018, tu dévoiles ton premier single en solo : Tambulaya. Qu’est-ce que raconte ce titre ?
Tambulaya est aussi un morceau inspiré de mon enfance, d’un souvenir très précis de mon enfance, je dirais même. J’avais 6 ans, je me baladais dans une petite rue de Luanda avec ma grand-mère, et deux choses m’ont marquée : d’une part, l’immense pauvreté qui y régnait, avec des enfants qui mendiaient, des femmes avec des bébés qui n’avaient rien pour les nourrir ; et d’autre part, juste à côté, ces petits bars où les gens se réunissaient pour boire et danser, pour oublier la misère.
Je me suis donc inspirée de ce souvenir pour donner vie à Tambulaya, qui conte l’histoire d’une femme muette qui fait la rencontre d’un homme au cours d’une danse enivrée dans un de ces bars. L’idée de cette chanson, c’est de célébrer cette capacité qu’ont les humains à trouver la force de s’amuser et oublier leur quotidien le temps d’un instant.
Le clip de Tambulaya ravivait clairement la flamme des Black Panther. À quel point ce mouvement a été important pour toi ?
Très important, car il a contribué à la libération des Noirs, et que mon univers musical est indissociable de la notion de lutte. De lutte pour la survie, pour sortir de la misère, mais aussi pour sortir de la tristesse ou du désespoir, comme on peut le voir dans le clip de Kuzola, mon deuxième single. Les clips sont d’ailleurs extrêmement importants pour traduire les messages que je souhaite véhiculer à travers ma musique. Ils permettent à ceux qui ne comprennent pas forcément les langues que j’utilise dans mes chansons [le portugais et le kimbudu, un dialecte angolais, N.D.L.R.] de saisir les sentiments au regard des images.
On t’a souvent considérée comme la nouvelle diva du kuduro. Est-ce que tu acceptes ce titre, ou est-ce que tu considères que ta musique, qui est finalement un mélange de plein de choses, va au-delà du kuduro ?
J’accepte ce titre avec plaisir ! Le kuduro, ça a été mon carburant de base, c’est ce avec quoi j’ai commencé aux côtés des Buraka quand j’avais 15 ans. Maintenant, j’espère également pouvoir amener les gens qui me suivent vers d’autres horizons, tout en restant bien sûr connectée au kuduro, avec lequel j’ai un lien indéfectible. C’est pour cela que je m’essaie à d’autres styles, en mettant un pied dans l’electro notamment. J’ai envie d’aller vers d’autres expériences musicales. Avec la scène, les masques tombent pour de vrai.
Le 21 septembre dernier, tu délivrais ton premier EP, Baia. Quel message souhaitais-tu faire passer à travers ce projet ?
Les thématiques de cet EP sont inscrites dans cette notion de lutte dont on parlait à l’instant. L’idée, c’est de montrer que tout est possible, et qu’il ne faut pas hésiter à affirmer ses idées, ses envies, ses rêves. C’est aussi pour cela que je choisis de mélanger le kuduro à des sonorités plus pop ou électroniques, pour montrer qu’il faut aller de l’avant et imposer sa propre vision malgré les qu’en-dira-t-on. Le but de Baia, c’est de dire aux gens qu’il ne faut jamais abandonner.
Cet EP, tu l’as récemment défendu au festival Les Femmes s’en mêlent ainsi qu’au Printemps de Bourges. Qu’est-ce que la scène représente pour toi ?
Ce que j’aime vraiment dans les concerts, c’est d’observer la réaction du public. J’ai l’impression que la plupart des gens qui assistent à mes concerts ne se connaissent pas forcément entre eux, ne me connaissent pas non plus aussi parfois, notamment aux festivals justement.
Mais il y a toujours ce moment où je finis par entrer en contact avec eux, à instaurer une forme de dialogue. Pas forcément via les mots, car on ne parle pas toujours la même langue ; mais plutôt par les émotions (la joie, la mélancolie, l’euphorie…). Et ça me permet de créer de vrais moments de partage et d’osmose, authentiques et sincères. Parce que personne ne ment ou ne joue de rôle dans ces moments-là. Avec la scène, les masques tombent pour de vrai.
Je sais que tu vas encore faire pas mal de concerts tout au long de l’été, mais as-tu d’ores et déjà d’autres projets dans les tuyaux ?
J’ai même énormément de projets dans les tuyaux ! J’ai également signé un accord de distribution avec Universal France, ce qui va permettre à mon EP Baia d’être redistribué avec de nouveaux singles inédits. Et puis, enfin et surtout : je prépare actuellement mon tout premier album, pour lequel j’ai déjà accumulé beaucoup de titres… ça va être dur de choisir d’ailleurs. Mais il me tarde de faire découvrir ce projet à mon public, car l’étendue ce que je vais y proposer sera beaucoup plus large. J’ai vraiment hâte.
Propos recueillis par Naomi Clément
Pongo Baia (Capitaine Plouf / Jardin Rouge)
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