Aucun enregistrement ne saurait retranscrire l’expérience gigantesque de vivre un concert de Nick Cave. Pourtant, la discographie live du songwriter, enrichie aujourd’hui d’un “Australian Carnage” exaltant, contient son lot d’indispensables joyaux et de belles curiosités. Tentative, subjective et discutable, de classer ces huit témoignages de ferveur et d’émotions intenses.
8. Live at the Royal Albert Hall (2008)
Preuve de la constante grandeur de Nick Cave sur scène, quelle que soit la configuration : ce “dernier” album de la liste est une petite splendeur – même si on regrette les coupes franches dans la setlist. Enregistré sur deux soirs de mai 1997 et issu de la tournéeThe Boatman’s Call (1996), il fait la part belle aux titres de ce très grand disque, l’un des plus beaux de toute sa carrière. Sur scène, ces chansons crépusculaires d’amour abîmé jettent leur sublime lumière noire sur une poignée de titres phares des Bad Seeds. Et comme souvent à l’époque, c’est l’immense Blixa Bargeld qui reprend le rôle de Kylie Minogue sur le tube Where the Wild Roses Grow.
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7. Distant Sky – Live in Copenhagen (2018)
Un EP (quatre titres seulement, mais quels titres !) qui doit son nom au somptueux morceau de Skeleton Tree (2016) interprété avec la soprano danoise Else Torp. Épaulé par un indispensableWarren Ellis, Nick Cave tombe les masques et met ses nerfs à nu, entre l’odyssée vénéneuse Jubilee Street et le cathartique Mercy Seat. Le tout saisi en images par le cinéaste Andrew Dominik (grand ami du songwriter) et troué par un From Her to Eternity, où les Bad Seeds renouent avec la hargne, le sang, la colère.
6. Live From KCRW (2013)
S’agissant des mauvaises graines, il est toujours bon d’écouter l’historien de l’art Arthur-Louis Cingualte (L’Évangile Selon Nick Cave, 2020), grand spécialiste de l’œuvre : “Simili-pierre angulaire, Live from KCRW ne manque pas d’intérêt, de la place laissée aux silences jusqu’aux coups de tonnerre assurés sans recours à la disto. Avec au moins deux sommets : un Higgs Boson Blues à tomber à la renverse – dépassant même la version studio – et un Jack the Ripper déchaîné pour finir sur une note assassine. Comme un document de ce qu’aurait pu devenir le groupe dans un univers où la tristesse n’aurait pas gagné.”
5. Live at the Royal Albert Hall (2015)
Sans doute le tracklisting le plus généreux des albums live de Nick Cave : malgré une formation resserrée (le fidèle Warren Ellis, et les Bad Seeds réduits au seul support rythmique), ce concert traverse toutes les périodes ou presque. Red Right Hand et ses célèbres lézardes d’angoisse gothique, The Weeping Song et sa tristesse aussi entraînante qu’une chanson à boire, Mermaidset son emballante méditation métaphysique : très en verve (ses échanges avec un public conquis), Nick fait la synthèse expansive de tout un parcours. Peu de temps hélas avant le décès accidentel de son fils Arthur, qui marquera de façon indélébile la suite de son œuvre.
4. Australian Carnage (2023)
La plus récente sortie de cet ensemble, et le dernier enregistrement en date. Comme pour l’album Carnage, (2021), ce live est signé Nick Cave et Warren Ellis, qui s’y montrent au meilleur de leur bromance. Nick, affable et en verve, semble prendre beaucoup de plaisir à revenir sur ses terres australiennes, pour y présenter à la fois les titres de ce dernier opus en date (dont le monumental White Elephant), nombre d’extraits du chef-d’œuvre Ghosteen (incroyable Hollywood et son quart d’heure in extenso), un enchaînement Waiting For You/I Need You terrassant d’émotion violente, mais aussi une reprise inattendue de T-Rex (Cosmic Dancer en version mélancolique) et un Breathless qui fait exulter le cœur. Des larmes à la joie, cette paire-là sait décidément tout faire.
3. The Abattoir Blues Tour (2007)
Comme le double album studio dont il est le pendant (le fabuleux et sous-estimé Abattoir Blues/The Lyre of Orpheus de 2004), ce live est scindé en deux disques. Nick Cave est un storyteller de premier ordre et maîtrise l’art subtil du séquençage. Zigzagant entre les sets (Paris, Munich, Düsseldorf entre autres), l’ensemble offre un portrait cohérent du travail du groupe saisi à un moment de bascule (la montée en puissance de Warren Ellis) et surtout en pleine poussée de blues, de soul et de gospel (les chœurs du phénoménal O Children), mâtinés de pop vintage (Breathless) et de confessions brûlantes (Babe, You Turn Me On). Efficace, incandescent, imparable.
2. Live Seeds (1993)
Des Bad Seeds de l’époque canonique, celle qui commence dans la rage gothique et culminera une première fois peu après avec le succès public de Murder Ballads en 1996, il n’existe que peu de témoignages discographiques publics officiels, sinon ce Live Seeds ouvert par l’immarcescible Mercy Seat – et qui offre à peu près tout ce qu’on pourrait demander à cette formation sans pareil. La foi brûlante dans le rock’n’roll qui découle du trône du King pour se déverser dans un torrent électrique (Tupelo), la splendeur absolue de ballades chavirantes (The Ship Song, pour l’éternité), et au bout du conte, toute l’histoire outlaw de l’occident narrée par un Australien frénétique.
1. Idiot Prayer : Nick Cave Alone at Alexandra Palace (2020)
Choix difficile, presque paradoxal, que de faire trôner tout en haut de cette liste un disque live enregistré sans public, par un Nick Cave absolument seul, derrière son piano et loin du tumulte de l’électricité, loin des chocs intensifs et des grands moments de communion. Mais dans cette prière idiote est dite la quintessence de l’âme cavienne, celle qui insuffle sa vibration intime à ses plus beaux disques : Ghosteen (2019) et The Boatman’s Call (1997), deux albums qui donnent à ce récital sa colonne vertébrale – autour de laquelle se déploie, dans l’épure, une intimité grandiose. Titre inédit (Euthanasia, superbe), morceau de Grinderman (Palaces of Moctezuma, un des joyaux ultimes de tout le corpus) et ballades indélébiles s’enchaînent magnifiés par un son comme venu des cieux, si humain pourtant. Un choix étrange ? Non, finalement une évidence.
Australian Carnage – Live at the Sydney Opera House (Goliath Records/Awal). Sorti depuis le 25 août (version digitale intégrale), sortie le 1er décembre en vinyle 8 titres.
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