Avec son deuxième album, “GUTS”, sorti en septembre, l’autrice et compositrice américaine bat des records. A seulement 20 ans, et dans un style rock, elle s’est imposée comme la nouvelle pop star et role model pour toute une frange de la jeunesse mondiale. Mais que dit ce succès de la santé de l’Amérique et de l’industrie musicale ?
Olivia Rodrigo est votre nouvelle meilleure pote. Son nouvel album, GUTS, est un carton. À peine sorti, il cumule déjà des milliards d’écoutes sur les plateformes de streaming et se hisse sans effort au sommet du Billboard 200. L’Américaine est première des ventes au Royaume-Uni, en Irlande et en Allemagne, et compte pas moins de cinq singles dans le top 10 des morceaux les plus streamés sur Spotify. Le 14 juin 2024, elle remplira même l’Accor Arena de Paris (20.000 places environ). Voilà pour les statistiques. Celles-ci nous permettent de prendre la mesure du succès d’un disque après deux semaines d’exploitation, d’entrevoir une tendance éphémère, mais, en même temps, ne disent rien.
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Dans un papier consacré à la pop star publié en septembre, The New Yorker évoque une enquête récente de Billboard dans laquelle il est question du désarroi des grandes maisons de disques, témoignant de la difficulté de “créer” des superstars ou, du moins, de les ancrer solidement et durablement dans un écosystème industriel au cœur duquel se trouve le ou la fan, adolescent·e de préférence, manne financière inépuisable : “Les sources expliquent ainsi qu’elles parviennent à recruter de nombreux nouveaux talents, et même à créer des succès à l’ère numérique qui génèrent des millions, voire des milliards, de streams, mais que le plus grand défi reste, néanmoins, de trouver de jeunes artistes capables de dépasser le bruissement d’internet et de créer le genre de fan-base authentique et durable qui les transformerait en noms illustres capables de remplir des stades.”
Top Guts
Posé autrement, l’industrie musicale traditionnelle a-t-elle trouvé en Olivia Rodrigo la nouvelle pop star qui sauvera les fesses des majors du disque, comme Tom Cruise a sauvé les fesses d’Hollywood avec Top Gun 2 (2022) ? Drôle de question à laquelle il est difficile de répondre. Il est possible, en revanche, d’essayer de comprendre pourquoi un tel espoir (espoir vain et rétrograde ?) repose sur les épaules d’une jeune californienne de 20 ans.
Olivia Rodrigo, d’origine américano-philippine, est née en 2003, à Murrieta, une localité essentiellement résidentielle située à quelques encablures du mont Palomar, au sud de Los Angeles. Très tôt, elle apprend à jouer du piano, de la guitare, et prend des cours de théâtre. Au collège, elle est repérée par Disney et intègre le casting de la série Frankie et Paige (2016 -2019), avant d’incarner l’un des personnages principaux, Nini Salazar-Roberts, dans une autre série estampillée Disney : High School Musical : la Comédie musicale, la série (2019). Mickey, une filière qui sait comment aller chercher les ados jusque dans leur chambre et les émouvoir. Porté par les tubes Drivers License, Deja Vu et Good 4 U, le premier album d’Olivia, SOUR, sort en 2021 chez Geffen Records et fait un tabac. GUTS, son deuxième album, enregistré en partie dans le studio mythique Electric Lady, à New York, sort, lui, le 8 septembre 2023.
Dans le dernier numéro du Rolling Stone US, dont elle fait la couverture, on apprend que le titre de sa chanson All-American Bitch a été pioché dans le recueil d’essais de la reporter et écrivaine américaine Joan Didion Slouching Towards Bethlehem (1968), que Ballad of a Homeschooled Girl, autre morceau extrait de son dernier album, tient son nom de Ballad of a Thin Man de Bob Dylan et qu’elle cherche depuis toujours à écrire un morceau de la trempe de If You See Her, Say Hello (chanson de Dylan de 1975).
On la sait fan inconditionnelle de Jack White et de Taylor Swift, au point de pomper les accords du New Year’s Day de cette dernière sur 1 Step Forward, 3 Steps Back et de devoir, plus tard, créditer Taylor et Jack Antonoff, coauteur du morceau. Pour le reste, elle écrit toutes ses chansons avec l’aide de son pote producteur Dan Nigro et pourra toujours compter sur le soutien indéfectible de Katy Perry, dixit l’interprète de I Kissed A Girl.
Rock Academy
L’espace-temps d’Olivia Rodrigo, c’est celui des suburbs blanches comme on en voit dans American Pie. Sa musique s’inscrit dans une ligne pop-rock à tendance post-grunge, qui fait autant écho à Sum 41, Weezer et Avril Lavigne, qu’à Wet Leg (le tube Bad Idea Right?), Miley Cyrus époque Party in the USA, Rage Against the Machine et Vanessa Carlton, pour le côté piano voix (qui a tendance à partir en power ballad).
Passons sur les accusations de pillage systématique des artistes sus-mentionnés, l’excellent podcast Switched On Pop, de la paire Nate Sloan et Charlie Harding, consacré à la chanteuse, s’échine à démontrer que ces groupes avaient déjà eux-mêmes largement puisé dans les catalogues d’illustres prédécesseurs et s’inscrivent, comme elle, dans une tradition d’écriture rock et pop tout à fait banale, avec ses effets de manche, ses ponts et son faux suspens (qui marchent à tous les coups).
La facture de GUTS est donc impeccable et le disque explose en bouche comme le Big Tasty de chez Mc Do. On ne voudrait pas l’aimer, qu’on se repasserait quand même en boucle certains passages isolés qui stimulent les endorphines à nos corps défendant. Cependant, tout ici, des thèmes (l’ado solitaire dans sa piaule, l’ado qui hésite à rappeler son ex, l’ado et ses rêves d’ado inaccessibles, mais jamais l’ado en quête de paradis artificiels, de comportements reckless ou d’expériences sexuelles débridées) jusqu’à l’esthétique MTV late 90’s, début 00’s, donne l’impression d’un recentrage après des années de domination sans partage du rap dans la culture jeune. D’ailleurs, des traces de hip-hop, il n’y en a pas chez Olivia Rodrigo.
Backlash
“Il existe tellement de théories du complot sur Twitter. Je ne m’intéresse qu’aux les théories du complot sur les extraterrestres”, confie-t-elle encore à Rolling Stone. En parlant de complot : et si Olivia était une agente infiltrée de la CIA pour revitaliser le soft-power américain ? Le musicien et essayiste Ian Svenonius avançait déjà dans son ouvrage Stratégies occultes pour monter un groupe de rock, que l’agence de renseignement avait créé le rock’n’roll pour contrôler le monde.
On rigole, mais n’empêche : de Trump à la propagation du Fentanyl, en passant par la descente aux enfers des anciennes idoles puritaines telles que Britney Spears et le nombre impensable de romans, séries, reportages et films consacrés à la décrépitude du modèle de vie américain et à son côté obscur, peut-être que l’Amérique avait besoin de se rassurer avec un nouveau produit garanti sans twerk et sans tendance suicidaire, qui ne fasse pas peur aux parents des classes moyennes blanches américaines.
Expurgé de toutes ces conneries de purity ring et de propagande contre le sexe avant le mariage propre à l’ère Jonas Brothers, le positionnement marketing de la figure Olivia Rodrigo n’en demeure pas moins, finalement, plus conservateur qu’on ne l’imagine. Faisant ainsi de l’intéressée l’un des instruments du plus grand backlash de ce début de siècle.
Album : GUTS (Geffen/Universal)
En concert le 14 juin 2024 à l’Accor Arena (Paris XII)
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