Parmi tous les compositeurs laconiques du néoclassicisme, l’Islandais Olafur Arnalds est sans doute le plus pop. Mais une pop patiente et contemplative, que révèlera son somptueux prochain album Re:member. Il tourne en France cet automne.
Face à l’époque, à son agitation, son vacarme, sa glorification de l’éphémère, son obsession du présent, la musique offre des réactions étonnantes. Il y a par exemple ceux qui surjouent la frénésie, prennent l’urgence à bras-le-corps, embrassent l’embrasement comme terrain de jeu : une fureur de vivre, de jouir et de jouer qui irradie leur musique, de feu le rappeur sulfureux XXXTentacion aux jeunes rockeurs de TOUTS.
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A l’autre bout du spectre, des musiciens jouent la même partition en creux, en négatif. Ils ont choisi le retrait discret, la démission laconique de toute notion d’affolement, de brouhaha. Leur musique est patiente, contemplative : elle s’est tournée vers l’intérieur plutôt que vers l’extérieur. C’est une musique de déni, de cocon, d’abandon. Du regretté Jóhann Jóhannsson à Nils Frahm, de James Blake à Olafur Arnalds, c’est une musique qui, à l’inverse de la surf-music, prône l’hiver sans fin. Ou plutôt l’automne, avant que la mélancolie ne devienne trop écrasante, trop envahissante. Pas étonnant que ces compositeurs viennent le plus souvent du nord : leur musique raconte l’immobilité figée, le retrait sur soi, la couette salvatrice et le crépitement du feu quand dehors tout est livide et figé. Cherchez le glaçon…
Dans l’épure, le souvenir de la multitude
A l’affolement des images, au bombardement des informations, cette musique a dit non. Elle se love entre les notes, étire l’espace, offre du repos aux guerriers, grignote le superflu de l’intérieur. Car cette musique d’apparence frugale, voire austère, a connu la luxuriance, l’abondance : le travail admirable d’Olafur Arnalds consiste à lui conserver solidité et fermeté tout en l’évidant au maximum, d’offrir dans cette épure le souvenir de la multitude. Cette musique porte en elle la mémoire de ce qu’elle fut – riche, pop – avant d’être rognée.
Ce que l’on voit en l’écoutant n’est pas vraiment ce que captent les oreilles : elle paraît très simple, elle est pourtant d’une complexité absente, invisible, pas du tout ramenarde. Pascal Quignard écrivait : “Le silence est pour les oreilles ce que la nuit est pour les yeux.” Que l’on pardonne les grands espaces entre les notes d’Olafur Arnalds : il vient d’un pays où la nuit dure longtemps.
Il suffit sur Re:member de quelques minutes pour planter le décor, en quelques notes éparses, isolées, à la Satie, à la Chopin et donc à la Brian Eno
Certains, par principe, parce qu’elle se joue aux frontières de l’ambient et d’un néoclassique plus formel, décrèteront que cette musique prend la tête. Elle n’est pourtant que légèreté, invitation au rêve. Alors oui, dans ce contexte, elle prend la tête. Pour l’amener ailleurs. Lui faire voir du paysage, l’extraire à la pesanteur, l’arracher à l’ordinaire.
Il suffit sur Re:member de quelques minutes pour planter le décor, en quelques notes éparses, isolées, à la Satie, à la Chopin et donc à la Brian Eno. On s’étonne même qu’Olafur Arnalds ait si souvent travaillé pour le cinéma, lui dont la musique est déjà tellement suggestive d’images qu’elle en devient redondante, voire envahissante en BO. Après tout, il compose depuis toujours des musiques de films, sans films la plupart du temps : il n’a certainement pas besoin des images des autres, les siennes suffisent.
“C’est l’album qui brise ma carapace”
Malgré ses faux airs de nature morte, ce quatrième véritable album solo est tout sauf figé. Sautillant de l’introspection froncée à de joyeuses ritournelles pour elfes ivres, il est d’humeur soupe au lait, instable. C’est cette capacité à recoller, parfois dans le même titre, toutes les facettes d’une personnalité en dents de scie qui fait la force et la noblesse de Re:member. “C’est l’album qui brise ma carapace, confirme l’Islandais. Au lieu d’essayer de rentrer dans une case correspondant aux attentes du public, je fais de la musique qui est en adéquation avec tout ce que j’ai fait dans le passé.”
Pop, BO, techno, pièces pour piano, tempêtes de cordes ou ambient : tout est effectivement bien présent ici, mais dans un désordre soigné, méticuleux. Une certitude : le piano est moins souverain, moins sûr de lui. “C’était devenu très facile pour moi de composer un beau morceau pour piano, déclare l’Islandais. C’était une chose dont je connaissais la recette.”
Il aura aussi fallu, en 2015, un accident de voiture et une blessure à la main pour l’éloigner de son clavier pendant de longs mois. Qu’importe : Arnalds en a profité pour découvrir la programmation de pianos, adaptant à ses besoins le système Stratus. Cette intelligence artificielle, ignorant tout du lourd passif de l’Islandais avec la mélancolie, a dévié sa musique vers des tonalités plus enjouées. “Je me suis aperçu que le Stratus faisait très bien de la musique gaie (…) C’est presque devenu le thème de l’album, cette positivité, le son entraînant.” L’une de ses dernières BO en date était celle du blockbuster Another Happy Day. Au bonheur, Olafur Arnalds n’échappe plus.
Album Re:member (Universal), sortie le 24 août
Concerts Le 21 octobre à Lyon, le 22 à Bordeaux, le 23 à Toulouse, le 24 à Paris (Salle Pleyel)
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