Offspring. littéralement: rejetons, mauvaise herbe. Pauvres petits punks de la suburbia californienne devenus mégastars sur une erreur d’aiguillage ? l’album Smash, triomphe planétaire ?,les quatre Californiens n’en sont toujours pas revenus. Idoles de la jeunesse sonique, piliers de tous les festivals rageurs, eux n’aspirent qu’à la pêche à la ligne.
En dix chansons et en compagnie du guitariste Noodles, le petit mode d’emploi pour devenir vedette du punk-rock quand on est la tête de Turc de l’école, gringalet et en colère.
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U2 Sunday bloody Sunday
C’est avec ce morceau que j’ai appris à jouer de la guitare, il y a une douzaine d’années. A l’époque, personne ne se rendait compte qu’ils étaient aussi ringards, je les écoutais sans arrêt. Mais quand ils ont commencé à jouer dans les stades, j’ai décroché. Ce n’est pas un endroit pour écouter un groupe, où découvrir des musiques fraîches et audacieuses… Si ça ne tenait qu’à nous, Offspring ne jouerait que dans les clubs. Dans les grandes salles, j’ai toujours peur des ivrognes, des bagarres, des mouvements de foule. Pourtant, ces festivals peuvent être très marrants, nous donner une formidable énergie. Mais le contact avec le public et l’intimité commencent à me manquer sérieusement. Quand on voit à quel point la popularité a détruit ou rendu dingues Kurt Cobain ou Eddie Vedder, de Pearl Jam, on peut s’estimer heureux: huit millions d’albums vendus et aucun de nous n’a encore disjoncté. Le plus dur, c’est les espoirs que les fans placent en nous. Ils attendent des solutions, des directions, alors que nous sommes juste quatre copains qui, il y a dix ans, ont décidé de tuer l’ennui de leur banlieue en faisant du bruit. Que peut-on analyser chez de braves gars aussi normaux que nous ? Parfois, ça me fait perdre les pédales, j’ai l’impression d’être décevant, inutile quand on vient à ma rencontre. Souvent, je me sens dépassé, menacé. Je passe mon temps à changer de trottoir pour éviter des gamins qui se baladent avec des T-shirts Offspring. Quand notre album Smash a commencé à décoller, nous nous sommes posé beaucoup de questions : pourquoi nous ? Nous avons juste eu de la chance, des groupes se sont chargés d’enfoncer les portes pour nous, de changer l’image de marque désastreuse du punk-rock. Nous nous sommes contentés d’avancer timidement sur cette nouvelle route avec un bon petit album sous le bras, sans imaginer que tant de gens nous rejoindraient. Quand nous avons vu tous ces gens débarquer, nous avons pris peur.
Offspring Self esteem
Je n’ai honte de rien, je peux me regarder dans la glace tous les matins. Quand on chante «I know I’m being used, that’s okay cause I ve got no self esteem » (Je sais qu on m utilise, mais je m’en fous car je n’ai pas d’amour propre), ça ne parle pas de la façon dont on a été vendu… On a tous vécu des relations sentimentales difficiles, où on a connu des humiliations terrifiantes: on est prêt à tout dans ces cas là, on se retrouve à ramper, à supplier Des fois à la fin des concerts, des costauds tatoués de la tête aux pieds viennent me voir et disent : « merci, vieux, je sais de quoi vous parlez, moi aussi je me suis humilié pour une fille ». Je me souviens m être retrouve coincé avec une fille qui me rendait malheureux. Et pourtant, j’était incapable de rompre, pensant que c’était normal. C’est la même chose avec le succès : impossible de se rendre compte si l’on est heureux ou pas vu que, depuis un an, on n’a pas arrêté de tourner. Quand nous prendrons nos distances, nous y verrons plus clair. Ça va être comique de retourner dans notre quartier d’Orange County et de revoir les mêmes têtes. Une belle petite revanche sur d’anciens copains, sur ces filles qui nous ont largués. C’est horrible à dire, mais je suis content que mon ancienne petite amie soit dans la merde aujourd’hui et que je connaisse ce succès.
Sonic Youth Schizophrenia
Ils n’ont jamais compté pour moi ? trop sérieux. J’admire leur courage, leur volonté de faire avancer la musique dans de nouvelles directions, mais, franchement, je n’ai pas de temps à perdre avec leurs disques. Jaloux de leur statut ? Non, la jalousie n’a jamais été une motivation. Bien sûr, je suis ravi que notre succès agace le groupe Pennywise, nos rivaux depuis toujours à Orange. Récemment, nous jouions à Detroit et, juste avant de monter sur scène, on leur a téléphoné: Vous entendez la clameur de la foule ? Eh bien, c’est pour nous, bande de cons’ (rires)… Pourtant, au départ, on se foutait bien de l’extérieur. On était juste des gamins mal dans leur peau, rejetés par tous. Je n’étais qu’un avorton à lunettes, bien loin de tout esprit de compétition. Les autres écoliers nous méprisaient, se foutaient de nous, les petits punks, en permanence. Et pourtant, jamais nous ne pensions à nous venger plus tard, il y avait d’autres priorités. Nous étions affreusement frustrés, nous nous emmerdions à mourir dans notre banlieue bourgeoise et morne. C’est pour ça que le punk-rock m a immédiatement séduit, j’attendais qu’on me confirme ce dont je me doutais déjà: tout ce qui m’entourait n’était que mensonge, mes profs comme mes parents. Je n’en pouvais plus de ces belles petites chemises, de ces chaussures bien propres, de ces cheveux coupés à la perfection… J’attendais qu’on m autorise enfin à dire merde une bonne fois pour toutes aux règles et aux conventions. J’admirais à la fois la rage, la colère et l’humour des groupes punks ? toutes ces choses qui faisaient si cruellement défaut aux gamins de mon âge.
Dead Kennedys California über alles
Je croyais ma vie parfaitement réglée: bien travailler à l’école, rentrer dans ma banlieue blanche et propre, apprendre mes leçons, collectionne les diplômes et trouver un bon boulot. Mais le punk-rock m a réveillé, m affirmant que je n’avais pas à tenir compte de l’avis des autres, que je pouvais faire ce dont j’avais envie. Mes copains n’ont pas très bien compris ce qui m arrivait. Les fayots de l’école me tabassaient sans arrêt. Dans le couloir du réfectoire, ils se mettaient de chaque côté et me balançaient de l’un à l’autre, très violemment. Pour moi, ce n’était qu’un jeu, ça me rappelait le pogo furieux qu’on dansait aux concerts. Mais ça ne me dérangeait pas d’être rejeté, car je l’avais toujours été. Je méprisais tous ces cons qui ne connaissaient même pas les Dead Kennedys, un des meilleurs groupes de tous les temps. Chacun d’entre nous a été irrémédiablement influencé par leurs disques. Mon premier coup de foudre, ce sont les Dickies, plus encore que les Sex Pistols. J’avais 14 ans, et j’ai commencé à fouiller dans tous les bacs punk des disquaires. Je me suis mis à acheter des magazines comme Maximum rock’n’roll ou Flipside et j’ai immédiatement revendu mes albums de Led Zeppelin ou d’Elton John. Pour moi, le mot rock’n’roll’ a commencé à craindre sévère: c’ était punk-rock ou rien, très rigoureux. Et pourtant, je n’ai jamais eu l’impression d’appartenir à un mouvement. Je ne me sentais pas à l’aise parmi les punks, toujours à l’écart. Dans les concerts, je pogotais dans mon coin, je rentrais seul, c’était vraiment idiot. Les autres punks ne m intéressaient pas, j’étais encore une fois le paria. Mais ça ne me dérangeait pas : seuls les disques comptaient ? et ils étaient merveilleux. Parfois, cette solitude me pesait, mais, la plupart du temps, je la considérais comme une prise de position, une fierté, ma manière de dire fuck off . Si j’avais eu des copains, je n’aurais jamais commencé à jouer de la guitare. Car la journée, j’étais vraiment seul. Mes rares copains partaient bosser, et comme moi je bossais de nuit, je glandais en permanence avec ma guitare. Ça me plaisait beaucoup, je pouvais lire les bouquins de Sartre, me consacrer a moi-même, plutôt que de perdre mon temps avec des adolescents. J’aimais beaucoup mon boulot d’homme à tout faire dans une école, je réparais l’électricité, je m occupais des jardins.
The Sex Pistols I wanna be me
Quand je me suis pointé à la maison avec mes cheveux hérissés, mes parents ont fait la gueule. Mais je m y attendais, c’était ma façon de leur dire que les choses n’allaient pas. Car ma rébellion contre la société incluait aussi une remise en question de l’autorité familiale. Je me cherchais, c’était un peu snob, une vision assez étroite. Très vite, je suis revenu à des opinions moins tranchées, moins radicales j’ai même ressorti mes albums des Stones (rires)… En revanche, j’ai définitivement quitté Bruce Springsteen, ce que je ne regrette pas. Je ne cherchais pas à choquer les gens, mais à leur prouver qu’on pouvait être un chic type tout en étant différent d’eux. Je travaillais, je gagnais ma vie, je ne tabassais personne, mais j’étais passionné de punk-rock: acceptez-moi pour ce que je suis, ne me jugez pas sur ma dégaine. C’était ma façon de dire aux gens N’écoutez pas ce qu’on vous raconte, façonnez vos idées par vous-mêmes, les choses ne sont pas aussi simples qu’on vous le dit.?
Hüsker Dü Eight miles high
J’étais très fan d’Hüsker Dü, mais, curieusement, je l’étais moins de Black Flag, que tout le monde vénérait. Je préférais les autres groupes du label SST, comme les Minutemen et les Meat Puppets… J’étais obsédé par Social Distorsion, Agent Orange ou les Adolescents. Bizarrement, je n’écoutais jamais les paroles, je les comprenais de travers, la plupart du temps. Quand je réécoute ces disques, des années plus tard, je suis stupéfait par la précision et par la tenue des textes. Ce n’est pas un hasard si cette musique est aujourd’hui tellement à la mode aux Etats-Unis. Les gamins ne font plus confiance au gouvernement, aux professeurs, à leurs parents, alors ils se tournent vers la musique qui a toujours remis en cause ces formes d’autorité. Et puis, la société est devenue plus ouverte on ne peut plus empêcher les radios de passer les Sex Pistols, les jeunes d’être idéalistes. Ils se reconnaissent dans les valeurs du punk-rock, que ce soit l’humour ? mot, c est avant tout ce qui m attirait chez les Dickies ? ou l’aspect plus militant, plus politique. Récemment, j’ai lu une interview de John Frusciante, l’ancien guitariste des Red Hot Chili Peppers, qui disait détester jouer dans les stades, que ça l’avait rendu dingue. Il a donc quitté le groupe et, après des mois de réflexion, il s’est rendu compte qu il y avait eu démission de sa part. Car beaucoup trop de gamins sont totalement livrés à eux-mêmes et ne trouvent du réconfort qu’auprès des disques de rock. Chez eux, la musique remplace la famille, c’est leur unique source d’affection. C’est effrayant de placer un tel pouvoir entre les mains des groupes, qui sont pour la plupart aussi instables et paumés que ces gamins. Je ne peux pas me considérer comme un modèle, je bois et fume beaucoup trop pour influencer qui que ce soit.
The Ramones Sheena is a punk-rocker
J’ai une douce nostalgie pour cette époque. A chaque fois que je revois les Ramones, je replonge. Il y a quelques jours, nous avons joué avec eux; un des plus grands honneurs de ma vie. Quand j’étais gamin, leurs chansons me procuraient un bonheur insensé. Je ne connaissais rien à toute cette scène new-yorkaise. Pour moi, tous les disques étaient au même niveau, qu’ils viennent d’Angleterre, de la Côte Est ou de Californie. Je n’ai jamais compris cette guéguerre ridicule entre les deux côtes des Etats-Unis, j’ai toujours aimé piocher sans préjugés géographiques. J’étais incapable de te dire si les Toy Dolls étaient anglais, si les Ramones étaient new-yorkais… J’aimais leur côté fêtard, le fait qu’ils refusent d’intellectualiser la musique. En ce sens, Beavis & Butthead sont une bonne soupape, ils montrent que tout cela n’est pas si important~ est même dérisoire. Parfois, j’aimerais que nous soyons moins pris à la rigolade. Les journaux sérieux nous méprisent et ça m attriste. Jamais nous n’avons figuré dans la moindre playlist des journalistes de Rolling Stone, alors que Greenday, Weezer ou Hole ont eu droit aux honneurs. Pour eux, nous ne sommes que des morveux, des ploucs. Pourtant, Dieu sait si nous sommes tout sauf des branleurs. Nous avons dû batailler ferme pour conserver notre indépendance. Même notre label, Epitath, nous conseillait de signer l’une des ces majors qui nous courtisaient. J’ai vu trop de groupes couL après avoir écouté les sirènes de l’industrie du disque pour commettre la même erreur. Nous avions vendu 40000 exemplaires de notre précédent album et, avec celui-là, nous tablions sur 100 000. C’était l’objectif rêvé. Et à l’arrivée, nous vendons 8o fois ça. Mais ce n’est pas ce qui compte le plus à mes yeux. L’important, c’est que tous ensemble, avec Pearl Jam et les autres, nous ayons totalement détruit le mythe de la rock-star. La presse a immédiatement essayé de nous diviser, d’organiser une guerre idiote entre Greenday et Offspring, mais rien n’y fera. Nous nous respectons car nous ne nous trompons pas d ennemis. Il fallait en finir avec ces ridicules pantalons de cuir, avec les rock-stars. Nous avons désherbé, j’espère que c’est une bonne fois pour toutes.
Bob Dylan I want you
Moi, je me foutais que les Ramones n’aient rien à dire, l’important était qu’ils aient l’air si cool. Je me souviens d’un de leurs concerts avec les Dickies en première partie, où j’étais collé à la scène, au premier rang. Et soudain, un des Dickies m a agrippé par le maillot et m a soulevé. Je me suis retrouvé là, heureux comme un pape, à la fois effrayé et animé d’un courage nouveau. J’ai pris le micro et j’ai hurlé: «Bougez-vous le cul, bande de connards !» Pour moi, à l’époque, la musique se limitait à ça: passer un sacré bon moment, ne rien analyser. Alors Dylan, rien à cirer. J’avais l’impression d’écouter les disques de mon père. Pourtant, lors de notre dernière tournée, on a fini par craquer. On n’en pouvait plus d’entendre les mêmes cassettes de punk-rock dans le bus et on a envoyé un roadie acheter trois albums pour nous: Simon & Garfunkel, Creedence Clearwater Revival et Enya. Ça a sauvé la fin de notre tournée.
Stooges I wanna be your dog
(Il s’agite et hurle, on jurerait Beavis ou Butthead devant un clip d’Alice Ini Chains)… Héros, indiscutable. J’ai tous les disques d’Iggy Pop à la maison. Mon meilleur copain, au lycée, habitait juste à côté d’un vieux junkie complètement taré chez qui nous allions découvrir les disques qu’il rapportait de New York. Les disques d’Iggy ne ressemblaient à rien, ils étaient à la fois simples, puissants et effrayants. Ma trouille, ce serait de le rencontrer, et qu’il soit un pauvre con. Mais avec mes héros, je suis certain de ne pas être déçu: Keith Richards, les Ramones et Iggy Pop ne peuvent pas être des trous du cul. Ils me prouvent qu’il ne faut pas croire à la mythologie du rock, que personne n’est obligé de mourir jeune.
Nirvana Love buzz
Nous sommes complètement passés à côté de Nirvana. Nous devrions pourtant être reconnaissants, car ils ont ouvert une voie royale pour Offspring. Pauvre Kurt Cobain, il était si malheureux. Personne ne lui a fait le moindre cadeau, pas plus qu’à sa pauvre femme. Tous les soirs, on s’attendait à ce qu’il vide ses tripes sur scène et, comme tous ces gens vraiment écorchés, il n’arrivait plus à le simuler, refusait le théâtre. Son drame, c’est d’avoir pris sa musique plus au sérieux que nous. Moi, je suis content de donner un bon concert, que les gens s’amusent, mais je suis conscient de la dérision de la situation. Une mauvaise chronique ne me rend jamais physiquement malade. Contrairement à Kurt Cobain, je peux tracer une limite très nette entre ma vie privée et celle de musicien. Il suffit que je rentre à la maison pour redescendre sur terre. Je m occupe pendant des heures de ma petite fille de 5 ans, j’arrête de boire et de fumer, je vais me profs promener au bord de la mer, je fais du surf pendant des heures. Mon vrai secret pour déconnecter totalement, c’est la pêche. Dès que cette fichue tournée est finie, je rentre à la maison, je prépare une tente et j’ embarque ma fille pour une semaine de camping sauvage dans les montagnes. Du matin au soir, j’étrennerai ma toute nouvelle canne à pêche et mes jolies petites mouches. Le bonheur.
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