Les Américain d’Of Montreal entament une tournée française qui les mène à Lille (30 janvier), Paris (31 janvier) et Strasbourg (1er février) : à découvrir ici des live audio, des concerts filmés, des clips, et une interview.
An Eluardian Instance (live)
Plastis Wafers (live)
She’s a Rejector (live à Coachella)
Live in Stockholm
Heimdalsgate Like A Promethean Curse (clip)
An Eluardian Instance (clip)
Interview : Kevin Barnes
Dans ton précédent album, Hissing Fauna, tu racontais ta séparation avec ta femme et la dépression qui s’ensuivit. Comment as-tu vécu la tournée où tu chantais ces chansons tragiques alors que tu allais mieux et que vous vous étiez réconciliés ?
C’est une partie de ma vie que je porterai toujours en moi et à laquelle je suis obligé de revenir pour interpréter ces chansons, sinon cela n’a pas de sens. J’y raconte une période où je voulais me tuer et je ne peux pas jouer avec ça. De fait, il y a certain nombre de ces morceaux que je veux plus jouer ni entendre, car m’y confronter est néfaste, trop destructeur.
Quel sens donnes-tu au titre du nouvel album, Skeletal Lamping ?
L’idée, c’est d’y faire sortir du placard de mon inconscient les tabous, les fantômes, et de les traquer, les faire remonter à la surface, les disséquer. Même si j’ai longtemps travaillé sur ce disque sans prêter attention au sens du titre, aujourd’hui c’est ainsi que je l’entends.
Après avoir accédé à une large reconnaissance avec Hissing Fauna, pourquoi t’es-tu tourné vers un projet aussi surprenant et fragmenté ?
Je voulais faire un album à la fois ludique et imprévisible, qui se départisse de cette convention absurde qui consiste à enchaîner couplets et refrains en répétant les mêmes motifs. Pourquoi faudrait-il se répéter ? Il y a beaucoup d’idées reçues sur ce à quoi doit ressembler une chanson pop, mais je souhaitais précisément qu’il n’y ait pas de règles, partir du principe que l’on peut tout bouleverser, créer une infinité de mouvements divergents, changer subitement de direction. Les groupes qui m’intéressent aujourd’hui ont en commun de faire tous une musique mouvante, risquée, qui se déplace sans cesse vers là où on ne l’attend pas : Animal Collective, Fiery Furnaces, MGMT… J’estime que l’objet de tout album devrait être d’inventer sa propre personnalité. Et puis j’aurais pu aller beaucoup plus loin, être plus expérimental encore : ce n’est pas comme si j’avais choisi d’arrêter une chanson au milieu d’une phrase, par exemple.
Dans ses textes, c’est ton album le plus sexuel.
Je ne sais pas trop pourquoi, il faut croire que j’avais ces choses en tête. (rires) Il est vrai que ces derniers temps je pense souvent à combien la sexualité est complexe et un facteur déterminant de définition de soi. C’est une thématique passionnante que je n’avais pas vraiment explorée jusque là, mais il n’y avait rien de prémédité. J’ai un mode créatif très organique, j’essaie de ne me poser aucune contrainte. Quand spontanément j’écris quelque chose comme « I’m sick of sucking the dick of this cruel city », je ne reviens pas dessus, je ne me pose pas la question de ce que cela veut dire – le sens profond viendra plus tard.
Est-ce pour cela qu’à la manière de Bowie tu crées des personnages dans ce dernier album ?
Pas vraiment. Je n’investis rien de schizophrène là-dedans. En toute circonstance je reste Kevin Barnes. Mes personnages sont juste une projection d’une facette de ce que je suis, à laquelle je donne un nom. Dans ma vie de tous les jours, je suis quelqu’un de réservé, qui cherche à être invisible. En revanche sur scène je veux incarner quelque chose de très radical et fascinant. Et cela, je le vois moins comme un personnage que comme un autre aspect de ma personnalité auquel je donne la parole. De la même façon que l’on contient tous d’innombrables possibles de personnes, qui vont s’exprimer dans des contextes différents.
Connais-tu Sébastien Tellier ?
Non, je ne crois pas…
C’est un musicien français qui dit parfois que les hommes, et en particuliers les musiciens, se divisent en deux catégories, ceux qui sont cool et les autres. Et à ses yeux, pour être « cool », il faut explorer une certaine ambiguïté, savoir mettre du féminin dans sa masculinité. C’est une vision du monde qui te parle, non ?
Absolument. Je trouve affreux ces hommes unidimensionnels qui ne sont que virilité. Je crois qu’il est important pour tous d’avoir conscience qu’il y a différentes composantes féminines en chaque homme et inversement. Et il n’y a là rien dont il faudrait avoir honte, malgré l’oppression qu’exerce sur nous notre culture pour que chacun reste bien campé dans son sexe. Il y a tant de parents qui bousillent leur enfant parce qu’ils voudraient le voir se conformer à un moule figé qui ne lui correspond pas… Mais cela va à l’encontre de notre nature. Il y a dans Skeletal Lamping beaucoup de références disons homosexuelles. J’y projette un univers idéaliste où chacun serait libre de s’assumer, d’explorer des choses sans la pression d’une norme, et où l’on ne serait pas défini par la sexualité. Ce n’est pas une vision très commune, mais je veux croire que lentement les consciences évoluent dans le bon sens.
Interview réalisée par Julien Gester