La musique du hasard. Une version fidèle des oeuvres pour piano préparé éclaire l’histoire et le modernisme de l’instrument selon John Cage. Comment aller au-delà des possibilités immenses offertes par l’instrument à clavier, géniale invention de l’ère pré-industrielle qui permit aux premières bêtes de concert de se mesurer à sa technique et à ses possibilités […]
La musique du hasard. Une version fidèle des oeuvres pour piano préparé éclaire l’histoire et le modernisme de l’instrument selon John Cage.
Comment aller au-delà des possibilités immenses offertes par l’instrument à clavier, géniale invention de l’ère pré-industrielle qui permit aux premières bêtes de concert de se mesurer à sa technique et à ses possibilités expressives ? Comment maîtriser plus avant ce monstre d’apparence noire et blanche capable d’imiter à lui seul un orchestre ? Comment lui donner définitivement ses lettres de noblesse percussives, après les tentatives de Prokofiev, Bartók, Antheil et Stravinski, comment percer sa carapace, le déromantiser tout en révélant ses dons poétiques enfouis ? Tout simplement en allant voir ce qui se cache à l’intérieur, en appréhendant comme un matériel vivant les cordes qui garnissent la table. En 1940, John Cage, nourri de l’enseignement de son maître Henry Cowell, doit fournir un accompagnement à la danseuse Syvilla Fort. Davantage guidé par l’urgence et par l’absence de moyens que par un parti pris savamment étudié, il se souvient de ce qu’il a vu et entendu pour restituer le propos percussif. Poursuivant dans cette voie, il offre à l’avant-garde américaine qui a déjà vu débarquer Varèse l’une des pistes les plus fécondes et la justifie sur le plan esthétique et philosophique : « Il faut sonder, dans la mesure où c’est manuellement possible, le champ sonore non musical, frappé d’interdit académique. »
En parsemant les cordes, en différents endroits, de vis, boulons, clous et autres moules à tarte, Cage légitime ainsi une nouvelle poétique, tout aussi vaste que celle qu’avait célébrée l’instrument dans son traitement traditionnel. Il convoque en même temps des réminiscences historiques à travers le décalage sonore et retrouve notamment la sonorité grêle du clavecin. Ce propos historisant frappe à l’écoute de la vingtaine de pièces qui composent ce double album. Derrière le mouvement obstiné de Sponta- neous earth, la bousculade étudiée du joyeux carillon de Totem ancestor ou encore l’univers cauchemardesque de The Perilous night perce toute l’imagination d’un homme qui se voulait plus catalyseur que compositeur, qui recueille l’héritage du futurisme et du dadaïsme (ce que résume le morceau Music for Marcel Duchamp) en faveur d’un acte créateur assumé et construit. L’espace et le timbre si chers à Beethoven et à Liszt se trouvent ainsi retravaillés en profondeur, le règne de l’aléatoire est instauré. Familier du répertoire du xxème siècle, Markus Hinterhäuser vient remuer le monde musical avec cet album référence qui vient compléter celui consacré aux sonates et interludes du même Cage. Traducteur précis et inspiré de sa pensée musicale, il fixe ces objets et formes issues de l’imagination la plus fertile, au panthéon de la modernité.
John Cage, oeuvres pour piano préparé Markus Hinterhäuser, piano préparé (Col Legno/Abeille Musique)
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