Comme le claironnait Live Forever, Oasis ne veut pas mourir. Plongé dans un coma artistique depuis une dizaine d’années, le groupe des frères Gallagher retrouve un peu de sa jeunesse flamboyante en 2008.
L’habituel soupir de lassitude qui accueille l’annonce d’un nouvel album d’Oasis a laissé place cette fois, allez savoir pourquoi, à une petite pointe d’excitation. L’intuition, probablement, que les Gallagher allaient bien un jour rompre ce cycle désolant entamé au début de la décennie avec Standing on the Shoulder of Giants, quatrième album au titre aussi ronflant que son contenu.
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Roupillant sur ses lauriers fièrement acquis avec Definitely Maybe (1994), (What’s the Story) Morning Glory? (1995), et déjà sérieusement asséchés sur Be Here Now (1997). Le gang Supersonic devenu super-soporifique, il n’y avait plus guère que les Gallagher pour croire au père Noël et imaginer qu’Oasis comblerait à l’avenir le gouffre qui sé-parait sa réputation, toujours énorme, du niveau réel de sa production.
Chaque album entraînait les mêmes manchettes avec citations chocs et rodomontades à la gomme : “On va tout péter”, “Que des hits cette fois !”, “Toujours le foocking meilleur groupe du monde”… C’est ça, Nono, et Manchester City bientôt vainqueur de la Champions League, et moi, je suis la reine d’Angleterre et mon copain c’est les Beatles. On se demandait bien quand ces deux grands enfants allaient cesser de mentir sur leurs devoirs et rendre une copie un peu inspirée.
La réponse est en partie contenue dans les onze titres de Dig out Your Soul, septième album où il se passe plus de choses que lors des trois derniers réunis. Oh, pas des choses extraordinaires, pas d’audace folle ou de remise en question, pas de quoi provo-quer de grandes liesses, juste des chansons d’Oasis, modestes et attachantes. Oui, modestes. Ce groupe a sans doute compris depuis longtemps qu’il ne serait pas les Fab Four, pas même les Jam, tout juste une version contemporaine des Faces les bons soirs, de Status Quo les mauvais.
La différence, c’est qu’à présent il le reconnaît. Et on leur accorde ce crédit : ils savent au moins faire du Oasis, et sont condamnés à vivre avec ça. Un peu comme un pommier fait des pommes, même si elles sont parfois pourries, et même s’il n’y aura plus aucun Newton pour avancer qu’elles changeront le cours du monde.
Vous avez l’air plutôt relax à l’heure de la sortie de ce nouvel album…
Noel – On a toujours été relax. Une fois que le disque est enregistré, que les vidéos sont faites, la tournée, c’est du bonus. Honnêtement, on nous transporte, on nous fait la vaisselle, on nous lave notre linge, on nous file à manger, on nous amène des bières…
Tout ce qu’on a à faire, c’est de monter sur scène, de faire un peu nos gri-maces et de jouer nos morceaux en secouant la tête. Je trouve encore ça cool au bout de quinze ans. Quinze ans, mon Dieu, quand j’y pense ! Le plus dur je crois, c’est d’écrire les chansons, d’aller en studio, de multiplier les prises. Le reste, c’est la vie dont on a toujours rêvé.
Liam – Chaque jour, je ressens le même bonheur à faire partie d’Oasis. Tout est intact.
L’écriture du dernier album a été douloureuse ?
Noel – Non, douloureuse, ce n’est pas le mot. Je ne suis pas le genre de mec à faire la grimace sur sa guitare. Je déteste les mecs qui passent leur temps à geindre dans la presse en disant combien ils ont souffert pour accoucher de leur dernière œuvre (rires). Là, j’ai envie de leur dire : “Va bosser dans une supérette et reviens me voir.”
Pour moi, l’écriture est facile. Mais pour ce nouveau disque, je voulais vraiment une cohérence. Les albums précédents étaient composés de chansons écrites à des moments très divers, et que j’accumulais avec le temps. Il n’y avait parfois pas de véritable ligne directrice quand on les mettait bout à bout, mais j’aime assez fonctionner comme ça. Je ne suis pas un type de concepts comme les gars de Radiohead.
Moi, tout ce que je sais faire, c’est écrire des chansons pour Oasis – comme je pense les types de U2 savent écrire des chan-sons pour U2.
Je ne me pointe pas en studio en disant : “Tiens Noel, tu vas nous pondre un dis- que de rock psychédélique ou un truc un peu expérimental.” Je ne réfléchis pas comme ça. Mais là, simplement pour ce dernier album, je voulais un album qui raconte une histoire : avec un début, un milieu et une fin, un peu comme sur nos premiers disques.
Noel, estimes-tu avoir été touché par une sorte de grâce lors des toutes premières années d’Oasis ? Tu semblais écrire des tu-bes avec une facilité tellement déconcer-tante. Bob Dylan dit dans son livre qu’il a connu ce genre de période, où tout ce que tu écris semble côtoyer le génie, avant que ça ne retombe un peu forcément. Penses-tu avoir connu cela ?
Liam – Il est encore bon, moi je trouve ! (rires)
Noel – Dylan, je n’oserai jamais me comparer à lui. J’aime bien mon travail, mais je ne pense pas qu’on joue dans la même division. Jusqu’à Blonde on Blonde, le type est tout simplement intouchable, et je crois qu’avec Like a Rolling Stone il a peut-être écrit la chanson parfaite.
Le seul point commun qu’on ait avec Dylan, c’est qu’on chante un peu du nez parfois ! J’ai beaucoup d’admiration pour Dylan, mais un peu plus pour Neil Young. Plus jeune, je voulais être Neil Young : ses cinq premiers albums sont déments – là non plus, rien à jeter. Pour ma part, j’admets que j’ai eu des années incroyables.
Pour les deux premiers albums d’Oasis, j’étais un peu en lévitation je dois l’admettre. Ce que j’ai compris avec le temps, c’est qu’on ne peut pas toujours écrire des trucs géniaux, qu’il faut savoir accepter de sortir parfois des disques qui sont un peu moins bons que d’autres.
Je trouve que les disques qui ont suivi nos deux premiers albums ne sont pas tous géniaux, mais ce que je sais c’est que c’était ce que je pouvais faire de mieux à ce moment-là. Ma démarche a toujours été honnête. Ce que je sais aussi, c’est que j’ai assez confiance en moi pour savoir que d’autres disques seront au moins aussi bons que les premiers, sinon j’aurais arrêté depuis longtemps.
C’est ce que j’ai expliqué un jour aux types de The Coral qui voulaient splitter parce qu’ils n’étaient pas contents d’un de leurs albums. Je leur ai dit : “Les mecs, vous êtes The Coral, arrêtez vos conneries, vous en avez encore sous la pédale.”
Quand on repense à toutes les faces B des premiers singles du groupe, on se dit que ça aurait fait un sacré troisième album, peut- être meilleur que Be Here Now…
Noel – Mais ouais, c’est ce qu’on aurait dû faire. Si je pouvais remonter dans le temps, je ferais ça. Je prendrais toutes les faces B que j’ai écrites pour (What’s the Story) Morning Glory?, et je ferais Be Here Now avec. Le problème, c’est qu’à l’époque je ne faisais pas de calculs, j’écrivais des chansons à la pelle sans me poser de questions. Des trucs comme Talk Tonight ou The Masterplan, c’est des tubes, pas des faces B. Mais ça tombait comme ça, sans aucun calcul.
Liam – Non, on a bien fait de faire ce qu’on a fait, je n’ai pas de regrets. Et Be Here Now était un bon album, simplement certaines personnes n’ont pas pris le temps de l’écouter.
Vous avez des contacts avec les trois musiciens du premier album Definitely Maybe : Giggsy, Bonehead et Tony Mac Carroll ?
Liam – J’ai bu un coup avec Bonehead l’autre jour, et j’ai eu des nouvelles de Giggsy par un pote. Ils savent la chance qu’ils ont eue de jouer avec nous.
Noel – Je ne les ai pas vus récemment ; Giggsy ça fait des lustres… J’ai croisé Bonehead l’autre jour.
Vous savez combien de musiciens ont déjà joué dans Oasis depuis le début ?
Liam – Non.
Noel (qui compte sur ses doigts) – Euh… je dirais douze. Comme dans Spinal Tap !
Comment expliquez-vous le succès d’Oasis avec le recul ?
Noel – Je crois tout simplement qu’on avait envie de s’adresser au plus grand nombre. Regarde les titres des chansons : Supersonic, Cigarettes & Alcohol, Champagne Supernova, Live Forever. C’est des slogans, des titres qui parlent à tout le monde. Je crois qu’on voulait parler à la terre entière, ce qui semble être moins le cas aujourd’hui.
Un groupe comme Arctic Monkeys, même si j’adore ce qu’ils font, surtout le premier album, ça s’adresse avant tout aux Anglais. C’est très localisé dans les textes, dans les expressions. Musicalement, c’est riche, mais si tu n’es pas du nord de l’Angleterre, c’est un peu dur à comprendre parfois. On n’a jamais eu ça avec Oasis, on a toujours su parler aux types de Pittsburgh, de Sydney et de Hong Kong à la fois…
Tout ça s’explique je pense aujourd’hui par le fait que les jeunes reçoivent tellement d’influences à travers internet et le téléchargement qu’ils ne savent plus trop où ils en sont ; c’est plus dur pour eux de savoir où ils veulent aller. Chez nous, il y avait très peu de disques, et presque uniquement des best-of : les Beatles, les Who, les Kinks, les Stones. J’ai fait mon éducation musicale en n’écoutant presque que des hits mondiaux, ça m’a beaucoup influencé.
Liam – Notre ambition a tout de suite été mondiale, même quand on jouait dans notre garage. Je n’ai jamais imaginé passer ma vie à chanter devant deux cents personnes, j’ai toujours voulu donner des concerts dans les stades. Je pense qu’on était faits pour être des pop stars, c’est tout.
Vous ne téléchargez pas de musique ?
Liam – Je ne sais même pas utiliser un ordinateur ! Parfois, on me met devant Skype pour que je parle à mes enfants, mais c’est tout. Je n’ai jamais envoyé un e-mail de ma vie.
Dans vos premières interviews, vous étiez ultra-arrogants, vous traitiez tout le monde de branleur, en ne sauvant que John Lennon, et encore…
Noel – Ah oui, et encore Lennon, pas toujours… On aurait pu sauver McCartney aussi, mais bon il ne devait pas le mériter à ce moment-là (rires). On était soûls la majeure partie du temps en interview, et je dois dire que je ne me souviens pas de tout ce que j’ai dit. Ce que je sais, c’est que les gens ont toujours bien ri en les lisant, et franchement, ça n’arrive pas souvent dans le rock, tu dois être bien placé pour le savoir.
Liam – J’ai toujours détesté les interviews, je ne fais aucun effort, je déteste ça. Noel est beaucoup plus doué que moi pour ça. Je trouve Noel drôle en inerview : il a un réel talent comique, certaines de ses interviews sont des chefs-d’œuvre. S’il n’avait pas joué dans Oais, je pense qu’il aurait pu faire du stand up dans les staions balnéaires du nord de l’Angleterre. On a toujours dit tout ce qu’on pensait en interview, c’est peut-être ça le problème : tout le monde en a pris pour son grade. On n’a pas toujours été très professionnels comme on dit.
Vous vous sentez plus “professionnels” aujourd’hui ?
Noel – Surtout pas, je déteste ce mot ! On annulerait peut-être plus une tournée américaine, mais jamais on ne pourra parler de nous en ces termes. Chris Martin, que je connais et qui est assez sympa, lui c’est un professionnel : il va sur les plateaux de télé, il répond à toutes les questions, il sait sourire quand il le faut. Moi, je ne pourrai jamais faire ça. D’ailleurs, je ne sais pas sourire, regarde (il grimace).
Vous êtes attentifs à ce qui se passe en Angleterre ? Quels sont les gens qui vous ont impressionnés ces dernières années ?
Liam – Moi, je me suis beaucoup impressionné. Sérieusement, je suis assez impressionnant je trouve, je me dis ça à chaque fois que je me regarde dans la glace. Sinon, les types de Kasabian sont pas mal.
Noel – Kasabian, je suis fan. The Coral aussi. Les Arctic Monkeys. J’aime bien certains trucs des Fratellis parfois. Sinon le reste ne m’intéresse pas trop. Je déteste Bloc Party et Babyshambles – bon, le mec est sympa, mais dans l’ensemble c’est loin d’être terrible, il est trop défoncé pour faire de la musique correcte.
Noel, tu as récemment traité Amy Winehouse de “cheval famélique”…
Noel – Ah oui, c’était une interview que j’ai donnée le lendemain d’une soirée, j’avais très peu dormi. Euh, ben oui j’ai dit ça. Elle est sympa, mais elle est complètement dingue. C’est assez drôle comme expression, non, “cheval famélique” ? (rires)
Liam (mort de rire) – “Cheval famélique”, je me demande bien où il a pu trouver cette expression…
Vous êtes devenus des figures du rock anglais, est-ce que ce statut vous convient ?
Noel – On nous demande notre avis sur un peu tout et n’importe quoi. L’autre jour, on me demande mon avis sur le hip-hop parce que Jay-Z est programmé à Glastonbury. Je dis que je n’aime pas forcément cette musique et je lis par- tout : “Noel Gallagher pense que Jay-Z n’a rien à faire à Glastonbury”, et ça devient une affaire d’Etat.
Ce genre de trucs me fatigue un peu, j’aimerais pouvoir donner mon avis tranquillement comme tous les mecs qui font ça au pub. D’un autre côté, j’aime bien qu’on me demande mon avis, c’est compliqué. Mais bon, dans l’absolu, je pense que les gens n’ont pas besoin de mon avis pour vivre leur vie.
Liam – C’est parfois n’importe quoi, tous nos propos sont déformés, exagérés. J’avoue que ça me fatigue un peu des fois, donc je parle de moins en moins. Je passe du temps chez moi, j’écoute de la musique, je chante par-dessus. J’aime mener une vie simple : autant j’aime faire le cake sur scène, mais être poursuivi par des journalistes, ce n’est pas mon truc.
Que faites-vous quand vous ne faites pas de musique ?
Noel – Des trucs basiques. Je m’occupe de mes enfants, de ma femme, je fais des courses, je vais voir des concerts, mais de moins en moins parce que les gens viennent me soûler : “Hey mec, cool, j’adore Wonderwall.” C’est sympa, mais ça va deux minutes.
J’ai une vie simple, comme mon frère. Je ne me prends pas pour un peintre comme certains mecs de Radiohead (il se lève et mime un type avec un pinceau). Je regarde le foot aussi, j’aime bien l’émir qui vient de racheter Manchester City, il a l’air d’être blindé, on va pouvoir commencer à s’amuser.
Liam – Il veut acheter les meilleurs joueurs du monde, il veut même faire venir Ronaldo.
On va rigoler avec lui. Vous n’êtes plus sur une major, qu’est-ce que ça change pour vous ?
Noel – On a toujours eu un contrôle artistique total. Je pense simplement que nous avons aujourd’hui le sentiment d’avoir retrouvé une sorte de liberté. On peut sortir des singles quand on veut. Mais je crois que c’est uniquement psychologique, tout ça. Liam : Je n’ai jamais écouté un traître mot de ce que disaient les types de la maison de dis- ques. Je ne me souviens d’ailleurs déjà plus de leurs têtes.
Liam, tu laisses Noel composer tous les morceaux et tu ne participes jamais aux balances avant les concerts. Est-ce que cette répartition déséquilibrée des rôles est encore source de tensions ?
Liam – Les rôles sont bien définis, chacun connaît sa place, nous n’avons aucun problème avec ça. Nous n’en parlons même plus, notre mode de fonctionnement est maintenant établi depuis des années.
Noel – Liam est une sorte de boxeur, je le sais. Il se pointe au dernier moment à la salle ou en studio, mais il est toujours prêt pour le combat. Pour moi, c’est devenu naturel.
J’écris les morceaux dans mon coin, je fais les balances pendant les concerts et il vient à la fin, comme une sorte de cerise sur le gâteau. Je suis le gâteau, il est la cerise. Je ne sais pas quel est le rôle le plus intéressant, en tout cas j’aime le mien.
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