En décembre 1994, Oasis offrait son premier très long entretien aux Inrocks, alors encore mensuels. En 2009, le groupe se sépare : l’occasion d’exhumer ce monument d’entrevue à la drôlerie très tongue-in-cheek. Toute une histoire – et déjà, il y a 15 ans, les premières bastons.
Sais-tu pourquoi ces filles te fréquentent ?
Noel – Evidemment : parce que je suis célèbre. Un mec connu, ça les excite, alors j’en profite. La plupart d’entre elles ne connaissent même pas mon nom. Elles veulent juste aller en coulisses pour se faire tirer par le guitariste d’Oasis. C’est ça, le rock’n’roll. Rien d’autre que ça. Les filles, ça nous fait une occupation après les concerts.
Liam – L’autre jour, cet enfoiré s’est tapé une nana qui était persuadée d’être dans mes bras. Elle n’arrêtait pas de l’appeler Liam.
Noel – C’est faux. Les minettes craquent toutes pour moi. Dans le groupe, je suis “l’homme”, alors que les autres sont encore des marmots.
Vous semblez aussi attirer les parasites.
Noel – Evan Dando ? C’est pas un mauvais mec, juste un autre genre de groupie, un fruit cake.
Liam – Je ne suis pas resté assez longtemps à l’école pour rentrer dans le rang. Même quand j’étais tout gamin, je savais que l’école ne me servait à rien. J’avais la conviction que la vie était ailleurs, à l’extérieur de l’école. Dans la cour du bahut, je n’étais ni leader ni suiveur. J’avais des tas de copains, mais la plupart du temps je restais seul. Je ne croyais pas à l’idée de groupe, de gang. Je croyais surtout en moi-même.
Noel – Je me suis fait virer à 15 ans, pour avoir balancé un pot de fleurs sur la tête du directeur. Auparavant, j’étais plutôt du genre calme, mais ce jour-là j’ai craqué. Peu importe : j’ai appris beaucoup plus depuis. Les profs m’ont appris à lire et à écrire, c’est tout.
Vos parents voulaient-ils vous modeler à leur image ?
Liam – Je n’ai plus revu mon père depuis l’âge de 9 ans. Habituellement, c’est le père qui abandonne sa famille. Mais là, c’est la famille – mes deux frères et moi – qui a largué le père. C’était un gros connard, une tête de nœud, un alcoolo… Ma mère s’est donc retrouvée seule. Elle a toujours été très douce avec nous, très relax. Sans doute parce que le vieux n’était plus là.
Pourquoi le troisième frère Gallagher ne joue-t-il pas dans Oasis ?
Liam – Il a toujours fait ses trucs de son côté, des tas de boulots, même s’il partage notre amour pour la musique. Et puis, c’est l’aîné – il a 30 ans.
Vous parlez souvent de votre mère. Comme si, d’une certaine manière, elle restait pour vous l’ultime alliée, celle que l’on ne peut pas trahir.
Liam – Quoi de plus précieux qu’une maman ? Elle ne nous a jamais emmerdés. Elle laissait couler, même quand on faisait des conneries, mes frères et moi. Et elle a dû en baver, Margaret, parce que moi, j’ai fait les quatre cents coups. Mais aujourd’hui, tout est réglé : je suis heureux et elle le sait. Elle m’a toujours fait confiance. A l’école, je ne foutais rien, mais elle ne me punissait pas pour autant.
A-t-elle encore de l’autorité sur toi ? Si elle te disait “Liam, ne touche pas aux drogues” ?
Liam – C’est impossible, ma mère ne me dirait jamais ça. En plus, on lui raconte tout : elle n’a donc aucune raison de s’inquiéter. Et si elle lit un truc qui lui déplaît dans les journaux, elle nous demande de nous expliquer. “Dis donc, Liam, il faut que je te parle d’un truc. Viens dans la cuisine !” Mais elle ne m’interdira jamais rien.
Noel – Si tes parents t’interdisent de faire quelque chose, il est évident que tu vas vouloir transgresser la règle. Margaret a toujours été assez intelligente pour nous laisser découvrir les choses par nous-mêmes.
Hormis les liens du sang, qu’avez-vous en commun, ton frère et toi ?
Liam – (Sans hésitation)… Le goût des drogues. Surtout la colle. J’en sniffe six fois par jour. Et crois-moi : aucune autre drogue ne vaut la colle. Je me fous de la cocaïne, mon truc à moi, c’est la colle.
Saurez-vous résister aux tentations des drogues dures ? En Amérique, dans le circuit rock, la coke est omniprésente.
Liam – Quand je pars en tournée, j’emmène ma colle avec moi. C’est mon truc, ça me suffit amplement. J’ai commencé lorsque j’avais 14 ans. Depuis, chaque jour, je sniffe ma colle. Et ce n’est pas une drogue qu’on partage. Je fais ça tout seul, dans mon coin, peinard. Idem pour mon frère. Je sais qu’il se shoote, mais je lui fous la paix. On n’a pas besoin d’en parler. A quoi ça servirait ? Dans mon quartier, tout le monde connaît la colle, il y a longtemps que ce n’est plus un sujet de débat… Désormais, je suis obligé de faire un peu plus attention à mon image. Alors j’ai réduit ma consommation d’alcool. Après des années au gin tonic, je marche plutôt au Jack Daniel’s. Mais sans excès : jamais plus d’une bouteille par jour.
Noel – Quand je revenais du boulot, il n’y avait rien d’autre à foutre. Le foot, John Lennon et la colle : voilà à quoi ressemblait ma vie. Aller au stade, s’éclater la tronche et écouter les Beatles. Et sans Oasis, j’en serais sans doute toujours là.
Avez-vous conscience de vos nouvelles responsabilités de personnages publics ? Des gamins pourraient prendre exemple sur vous.
Liam – Les journalistes me demandent si je prends des drogues, je réponds : je suis un adepte de la vérité. En interview, je n’ai jamais menti. Dans ce groupe, il n’y a pas de place pour les mensonges. Mais attention, faut être prudent avec ces conneries-là. Je ne suis pas là pour encourager les mômes à se défoncer la tête. Et puis les déclarations à la Evan Dando – “je me shoote, je suis malheureux, je suis un grand artiste torturé” –, ça ne marche pas avec moi. Dire la vérité, très bien. Mais inciter à la débauche, à la violence, au hooliganisme, très peu pour moi.
Noel – Nous ne sommes pas complètement irresponsables. Pour moi, une chaise, c’est fait pour s’asseoir dessus. Pas pour être balancée dans une vitre d’hôtel. Notre réputation de casseurs est très exagérée. Bien sûr, de temps en temps, Bonehead fait le con : il déchire des rideaux, pète un carreau ou deux. Mais à part ça, nous savons nous tenir. En tournée, il m’arrive souvent de monter dans ma chambre directement après le concert pour lire le journal dans mon lit.
On dit que les policiers du quartier où vous avez grandi vous connaissent bien.
Liam – On a fait deux ou trois conneries, rien de très méchant.
Comme braquer l’épicier du coin, sans prendre le soin de mettre une cagoule ?
Liam – (Rires)… Oublions ça : j’étais juste un gamin. Aujourd’hui, les flics n’ont aucune raison de m’emmerder. Je n’ai rien à me reprocher.
Possession illégale de drogues, peut-être ?
Liam – Je n’ai jamais rien sur moi. Je ne suis pas assez con pour transporter mes drogues moi-même (sourire)… Nous sommes plus malins que ça, beaucoup plus finauds que ces abrutis de Mondays qui réclamaient par contrat des doses de coke aux promoteurs de concerts. Chez Oasis, on ne prend jamais rien avant de monter sur scène. Le concert, c’est sacré : on ne peut pas se permettre d’être trop défoncés.
Pour beaucoup, vous représentez le renouveau d’une certaine tradition rock anglaise. Ce rôle vous convient-il ?
Liam – C’est un peu lourd à porter, surtout pour quelqu’un comme moi qui n’a jamais été très fan de son pays. Ce que j’aime chez les Anglais, c’est les individualités, une certaine attitude qu’ils peuvent avoir dans leurs bons moments. Mais il y a aussi des tas de choses déplorables chez nous. Heureusement, nous avons la musique et tout ce qui en découle : les fringues, un sens du style très affirmé. Voilà les choses qui me rendent fier de vivre en Angleterre. A part ça…
Noel – Nous sommes d’origine irlandaise. D’Irlande, nous avons gardé un certain esprit, mais rien de plus. D’ailleurs, à la maison, nous ne parlions jamais du pays. Nous étions irlandais mais nous vivions à Manchester. Ces histoires de pays, on s’en branle royalement. Quel rapport avec notre musique ?
Vous sentez-vous profondément liés à la classe ouvrière ?
Liam – Ma mère fait partie de la classe ouvrière, donc j’imagine que Noel et moi en sommes également des produits. Cette appartenance au peuple, aux idées de gauche, c’est un truc ancré en nous, mais pas au point de me donner envie de voter. Dans ma vie, je n’ai jamais voté. Je n’ai jamais fait confiance à ces enculés de politiciens.
Noel – Soutenir Manchester City, c’est déjà un signe d’appartenance à la classe ouvrière. Manchester United a des fans du monde entier, de
tous les milieux sociaux, alors que Manchester City n’est soutenu que par les vrais Mancuniens, les gens de la rue, des gens loyaux, même quand le club descend en deuxième division. D’ailleurs, Eric Cantona devrait venir jouer chez nous, à Manchester City. C’est un vrai rocker, ce type. Je ne comprends pas ce qu’il fout dans l’équipe d’en face. Manchester United, c’est l’équivalent d’une grosse multinationale du disque, comme Sony. Alors que Manchester City, c’est l’équivalent du label Creation.
Liam – Noel a déjà écrit des dizaines de nouvelles chansons, des trucs inouïs. Dès que nous aurons un moment, nous retournerons en studio pour enregistrer. Ne cherchez pas ici de plan de carrière, de planning établi cinq années à l’avance. Nous irons aussi vite que possible, sans nous poser de questions. Si tout va bien, nous serons bientôt gigantesques, aussi connus que U2.
Noel – Nous le méritons. Ce succès, il nous a fallu trois années pour le bâtir. Nous avons bossé comme des brutes… Maintenant, je veux foncer.