C’est sans doute l’un des albums de la rentrée : dans leur laboratoire dingo, deux Américains signés sur DFA recomposent intégralement, sur leur deuxième album patchwork, la musique moderne. Une œuvre totale, ultra-pop et d’une efficacité prodigieuse, à découvrir en texte et vidéos.
Petit salopard, Jona Bechtolt. Début 2009, le cerveau de YACHT avouait l’inavouable à des blogs et nerds ébaudis : il pirate les logiciels sur lesquels il compose ses morceaux. Mais ce n’est pas tout. Il y a pire. Le garçon de Portland, ex-The Blow désormais accompagné en permanence par sa comparse Claire L. Evans, voix boudeuse, vicieuse et sexuelle, s’est lancé dans une œuvre bien plus subversive pour les esprits comme pour l’équilibre de l’univers : reprogrammer intégralement la musique moderne.
Sur son disque dur dingo, l’espace et le temps, courbes comme il se doit, sont suffisamment déformés pour se faire rencontrer, aussi brutalement que dans un accélérateur de particules, des bouts de Hot Chip, d’Animal Collective, de Pharrell Williams, de Chic, d’Iggy Pop, des !!!, de Yeasayer, du Velvet, de Plaid, de Kanye West ou de TV on the Radio. Ou de LCD Soundsystem, avec qui ils partagent désormais le même label DFA -et dont See Mystery Lights pourrait être l’album rêvé.
Egalement multimédiste reconnu et demandé, Berchtolt est un artiste total, ses albums le seront donc aussi. Le précédent I Believe In You. Your Magic Is Real avait ainsi impressionné par son horizon à 360 degrés : montage géant et ultra-pop, produit avec une précision, une rondeur et une puissance sonique prodigieuses, See Mystery Lights éclate encore un peu plus les limites de la gloutonnerie. C’est tout un monde, forcément nouveau, qui se dessine ici.
Eberlué, halluciné, extatiques, on navigue entre rigidité métallique des skyscrapers (la très rock et LCD It’s Boring/You Can Live Anywhere) et psychédélisme enfumé de rites millénaires (la géniale ouverture Ring the Bell), entre les constellations pop de la Voie Lactée (The Afterlife, Psychic City) et les égouts des civilisations à venir. Partout et en pleine forêt vierge, YACHT installe un dancefloor en caoutchouc sur vérins pneumatiques (les deux versions d’I’m in Love With a Ripper, la bouillante Summer Song) : en plus d’être l’une des œuvres les plus formellement impressionnantes de l’année, See Mystery Lights est glorieux antidépresseur.
Thomas Burgel