Benoit Maume fut programmateur du Nouveau Casino, il s’occupe désormais du Social Club et du Silencio : entretien avec un défricheur.
Benoit Maume a, pendant 8 ans, animé les soirées et nuits du Nouveau Casino. Il est depuis peu chargé de dessiner la programmation du prestigieux Silencio, tout en faisant revenir les concerts au Social Club, l’ex-Triptyque : l’occasion idéale de faire parler le garçon sur son métier de programmateur, de défricheur, d’accélérateur.
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Que peux-tu me dire de cette expérience au Nouveau Casino ?
J’y ai passé 8 ans : ça veut dire plus de 1500 concerts accueillis. Mais ces 1500 concerts ne sont pas uniquement des concerts que j’ai programmés : les clubs parisiens sont aussi souvent des salles de location. Ma vocation au Nouveau Casino était notamment de faire un maximum de dates. Les producteurs de spectacles et les labels cherchent à faire de leurs concerts à Paris une vitrine, pour présenter le groupe à la presse, aux tourneurs ou aux patrons de festival. Ils choisissent donc les salles selon leurs besoins et leurs envies. Cela réduit certes la marge de manœuvre, mais je programmais sur les derniers temps environ 40% des concerts de la salle : ça représente déjà pas mal de dates. Depuis quelques années, je travaille avec Laurent Sabatier. C’est à la fois mon boss et mon équipier, il me dessine des cadres et ensemble nous les remplissons, nous les colorions. Il est visionnaire pour mettre au point les politiques et les stratégies de gestion et de développement des projets. Ça me permet de m’éclater, et ça me donne une certaine liberté. Durant les trois dernières années, on a par exemple bossé sur des projets très excitants, comme Roadie Magazine ou Converse Avant-Poste. L’histoire de notre rapprochement avec Converse est singulière : tout est parti d’une rencontre, lors d’un festival canadien. Leur stratégie est hyper intéressante, dans le sens où elle œuvre vraiment au développement de carrière des musiciens. En identifiant des besoins réels et en investissant dans des chaînons qui peuvent s’avérer manquants dans la vie de l’artiste, la marque s’inscrit durablement dans le paysage musical. Au Pays-Bas, elle a créé Red Light, une radio online qui diffuse pas mal de groupes locaux ou indés. A New York, ils ont monté le studio Rubber Tracks, où des groupes qui se développent peuvent enregistrer librement. Qu’est ce qui manque dans la découverte ? Qu’est-ce qui manque dans l’accompagnement des groupes ? Il y a une véritable intention d’accompagner les nouveaux talents dans la conquête du public.
Quelle était l’idée pour la France ?
Pour Paris, l’analyse concluait à la difficulté pour les jeunes groupes d’accéder aux premières scènes. Comme dans beaucoup d’autres villes, pour des raisons de nuisances sonores et de voisinage, le centre de Paris a tendance à se fermer à la musique live. Il y a de moins en moins de place pour les groupes en cours de structuration, alors que la scène a toujours été, selon moi, un vecteur de développement primordial. Mettre le pied à l’étrier à de jeunes artistes en devenir, leur permettre de s’exprimer et de se préparer à s’exporter au-delà de nos frontières, c’est ce qui m’a toujours intéressé et excité -c’est ce qui m’a amené à exercer ce métier. Main dans la main avec Converse, on définit la direction artistique d’un projet où on invite les groupes à se produire dans un cadre un peu particulier, la mezzanine du Café Charbon. Quatre groupes étaient repérés tous les mois, dans le cadre d’un appel à candidature. Un groupe par mois était choisi pour un accompagnement un peu plus poussé, avec deux jours de résidence au Nouveau Casino et deux captations vidéo. On a toujours essayé de sélectionner les groupes au bon moment, pour les aider à éclore : ceux qui en avaient besoin, ceux pour qui ce passage pouvait représenter un pallier vers autre chose. On a pour l’instant mené l’opération sur deux saisons : ça fait environ 70 groupes au total. On a récemment célébré ça à l’Olympia avec trois formations qui ont bénéficié du dispositif : Encore!, Chill Bump et Alpes, qui ont pu inviter les Naive New Beaters, Hippocampe Fou et Griefjoy à jouer avec eux. La formule va un peu changer : on va travailler avec un peu moins de groupes, un par mois, mais on l’accompagnera de manière plus poussée.
https://www.youtube.com/watch?v=t_gc6BzQboM
Comment ton expérience au Nouveau Casino a-t-elle nourri ton projet artistique pour le Silencio ?
Avec Laurent, on avait l’intention de travailler le Café Charbon et le Nouveau Casino non pas comme deux lieux distincts mais comme un espace commun qui pouvait se prêter à l’expression de plusieurs disciplines. Si notre cœur de métier et notre savoir-faire est clairement focalisé sur le champ musical, nous sommes aussi notamment très sensibles à l’image. J’ai bossé plusieurs années en tant que bénévole puis salarié occasionnel au Festival du Court Métrage de Clermont-Ferrand, et j’avais particulièrement envie de projeter des films au Nouveau Casino. Alors, plusieurs fois par mois, les dimanches après-midi, on installait des transats dans la salle, les gens pouvaient passer par le Charbon, prendre une bière, un chocolat chaud et s’installer pour mater une série de films, dont la programmation était confiée à un festival ou une boîte de production par exemple. On a aussi organisé des lectures au Charbon. Tout ceci a été annonciateur pour ce que je peux faire ici, au Silencio. C’est un club multiculturel, qui mélange allégrement les genres, les disciplines, les publics. J’y programme des concerts, des DJs, mais il y a également une salle de projection de 24 places où, en marge de la programmation ciné, je peux réfléchir à travailler sur le court-métrage : nous lancerons probablement un rendez-vous régulier autour de ce format à partir de septembre.
Comment définirais-tu ton métier de programmateur ? Quel serait le programmateur idéal ?
Le métier de programmateur, c’est avant tout celui de mettre en relation un artiste et son public, en respectant l’histoire et l’identité du lieu dans lequel il évolue. L’idée, en toute logique, pour des raisons artistiques et économiques, c’est d’accueillir l’artiste lorsqu’il est en mesure de remplir la capacité d’accueil du lieu. Œuvrer pour la direction artistique d’un établissement de prestige comme le Silencio, c’est la double possibilité de présenter dans un véritable écrin le bouillonnement créatif de la nouvelle garde, mais aussi d’accueillir les artistes plus renommés qui font l’actualité musicale. Ici, j’arrive dans un lieu ouvert en 2011, qui a déjà une histoire forte. Le design du Silencio est signé David Lynch. Le réalisateur l’a marqué de son empreinte, de son esprit. Ça a clairement une incidence sur la programmation, sur les velléités artistiques : il y a une intention de présenter la grande diversité des formes musicales nouvelles, expérimentales ou en marge. La jauge de la salle est conviviale, on s’adresse à une communauté de membres qui évoluent dans les sphères créatives, qui sont curieux, ouverts, prescripteurs. C’est donc un club qui se prête parfaitement aux showcases, et c’est ce qui me passionne : je suis dans un besoin constant de nouveauté. On a fait jouer, il y a quelques jours, Ala.Ni, ma première date programmée à mon arrivée. Son concert a été sublime et a véritablement convaincu l’assistance. La salle se prête à ça, à des esthétiques un peu pointues et élégantes. Elle est parfaite pour être le premier lieu dans lequel les artistes jouent à Paris. Au Nouveau Casino, j’étais surtout en lien avec les producteurs de spectacles en France, mais au Silencio j’ai des rapports plus directs avec les labels, les managements ou les agents anglo-saxons des artistes, qui aiment nous les envoyer. J’ai un circuit plus court, ça change un peu ma façon de travailler.
Comment détectes-tu les groupes que tu programmes ?
Il y a de plus en plus de canaux. Il y a évidemment Internet : ça reste le premier moyen pour se renseigner, fouiner, découvrir. Je me ballade aussi pas mal sur les festivals, je pense notamment à des choses à taille humaine comme Eurosonic aux Pays-Bas ou le FME au Québec, qui permettent de découvrir beaucoup de jeunes groupes, dans des super conditions. L’un des meilleurs en Europe, selon moi, est le Reeperbahn Festival à Hambourg. Le quartier de Reeperbahn est l’équivalent de Pigalle à Hambourg. De fait, le festival est un peu l’équivalent du Mama à Paris. La programmation est géniale : tu peux y sentir quelles sont les tendances, tu y vois généralement tous les groupes qui feront bientôt l’actu les mois suivants. Ces festivals sont aussi des moments privilégiés pour parler et partager avec mes confrères programmateurs. Je pense par exemple aux sept cent kilomètres de route qui séparent Montréal de Rouyn-Noranda, où se déroule le FME : on peut se faire écouter et se faire découvrir pas mal de choses en huit heures de van…
Tu es également chargé de relancer la programmation concert du Social Club. Que peux-tu m’en dire ?
C’est très proche de ce que je pouvais faire au Nouveau Casino. Je travaille le créneau 19h-23h, ce qui a été rarement fait au Social Club, mis à part quelques concerts de hip-hop. Dans un premier temps, je cherche à respecter autant que possible l’ADN de la salle : c’est celui d’un club, 23h-6h, qui diffuse principalement de la musique électronique, de la house, de la techno, mais aussi beaucoup de hip-hop, Je m’inscris dans cet esprit, mais je veux également m’adresser à d’autres publics, réinstaller le lieu sur des esthétiques différentes, aller chercher les gens qui ont oublié que le Social Club peut se prêter aux concerts, comme à l’époque du Triptyque. J’ai par exemple fait jouer Carpenter Brut, sorte de hardrock digital à la Justice. Je vais aussi essayer de faire des choses plus crossover : une fanfare par exemple : Too Many Zooz, des New-yorkais qui ont l’habitude de jouer des cuivres dans le métro de la ville, qui mettent une ambiance incroyable. Le cadre se prêtera aussi très bien à des groupes à l’esthétique un peu punk, garage ou psyché.
Peux-tu me parler des concerts à venir, ici au Silencio comme au Social Club, qui t’excitent le plus ?
J’attends beaucoup de la venue, bientôt, de Son Lux au Silencio. Weekend Affair, le tout premier groupe que j’ai fait jouer pour Converse Avant-Poste, va également y jouer. On fait aussi venir Gnucci, une rappeuse suédoise, accompagnée sur scène par Spoek Mathambo. La venue de Claude, side-project de Fulgeance, me tient particulièrement à cœur. Comme celle de Hannah Cohen, signée sur Bella Union : on la compare déjà à la nouvelle Lana Del Rey. Les choses ont aussi commencé au Social Club, où nous recevrons la pop aérienne des talentueux australiens Panama, l’americana cajun de The Devil Makes Three – ensemble contrebasse-guitare-banjo qui chante la gloire du bourbon, l’electro-kraut tapageuse des Finlandais de K-X-P ou les compositions électro soignées de Verveine, jeune révélation suisse déjà remarquée aux Transmusicales de Rennes par exemple.
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