The Notwist revient bientôt avec un très grand album : le clip du single rageur Kong est à voir ici, accompagné d’une longue et passionnante interview de Markus Acher.
Rares sur disque, le précédent The Devil, You + Me datant de 2008, de retour il y a quelques jours sur scène, avant d’autres dates en mars, dans un Divan du Monde rendu fou d’admiration pour leur pop brisée à technologies et sensibilités variables, les vétérans allemands The Notwist reviennent le 24 février avec un album fort, beau, complexe et déjà très attendu, Close to the Glass, dont nous reparlerons bientôt en longueur.
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L’un de ses plus grands morceaux, le très rock Kong, se présente ici en très beau clip animé, réalisé par Yu Sato à partir d’illustrations de Tim Divall. L’occasion de publier l’intégralité de la passionnante interview que nous a offerte, il y a peu, Markus Acher : les 25 ans du groupe, la frontière entre l’humain et sa technologie, les expérimentations maniaques de The Notwist, les influences musicales ou humaines de Close to the Glass, l’Allemand raconte tout.
ENTRETIEN
The Notwist a plus de 25 ans : quand vous avez commencé, pensiez-vous que le groupe existerait toujours en 2014 ?
Markus Acher : Au tout départ, nous voulions être un groupe hardcore. Nos groupes préférés étaient des groupes de hardcore ou de punk américain, on était également tous fans de Neil Young. Nous voulions jouer fort, nous voulions de la distorsion. Nous n’avions pas forcément d’idée de ce que serait le futur, mais quelque chose est resté de ces débuts : nous avons toujours voulu conserver cette puissance, cette énergie, le fait de jouer fort et de jouer ensemble, comme un vrai groupe. Ce qui est venu un peu plus tard, l’électronique par exemple, n’a rien changé à cette envie. La frustration a été le premier terreau pour le groupe, mais nous avons ensuite élargi notre palette : elle est encore présente, mais elle n’est qu’une des émotions que nous essayons d’explorer. Notamment parce que nous avons évidemment des influences musicales, mais également que ce qui s’est déroulé dans nos vies, nos conversations, ce qui nous entoure, la littérature ou le cinéma ont aussi pris beaucoup d’importance dans notre musique.
Comment, en 25 ans, ne pas tomber dans les automatismes, l’ennui ?
Nous avons toujours été conscients de ce risque. Nous essayons toujours de provoquer des accidents, nous essayons d’utiliser nos instruments d’une manière qui n’est pas prévue, de faire des choses qu’on ne sait pas faire : le moment où les choses ne fonctionnent pas comme elles le devraient est selon moi le plus intéressant.
Est-ce facile de détourner ou pirater le fonctionnement d’une machine ? L’électronique est supposée être une science « dure »…
On joue beaucoup avec des synthétiseurs analogiques par exemple, et cela permet de totalement transformer leur son, de le faire interagir avec celui d’autres instruments. L’analogique a cet avantage d’avoir une forme de complexité qui fait qu’on ne sait jamais précisément quel résultats ces expériences vont donner : on contrôle ce que l’on tente, on ne contrôle pas ce que l’on obtient. La plupart des sons électroniques sur cet album ne sont pas passés par des ordinateurs mais viennent de ce genre d’instruments et de combinaisons, nous avons retraité beaucoup de choses, une partie d’entre eux sont par exemple des instruments acoustiques que nous avons transformés en sons électroniques. Voire des samples, très retraités, issus de notre collection de disques –nous en avons beaucoup, ça donne beaucoup de matière. Ce ne sont pas les habituelles petites cases colorées d’un logiciel informatique : nous n’avons jamais voulu être un « groupe à ordinateurs » de toute façon. On joue tout ce que l’on peut jouer, au sens physique et organique du terme.
D’une certaine manière, votre son définit aussi ce que devient l’être humain, entre existence charnelle et présence électronique.
Oui. C’est par exemple le cas de Signals, qui ouvre l’album : nous avons essayé d’imaginer une scène, ce que peut être la vie d’un individu dans les limites de cet univers digital, de ces réseaux informatiques qui constituent aussi désormais le prolongement de notre monde.
La balance entre vos éléments pop et l’expérimentation a toujours été importante pour The Notwist ; que peux-tu m’en dire ?
La base d’une chanson n’est qu’une base : les arrangements peuvent ensuite, chez nous, varier à l’infini. Il y a des centaines de manières de transformer un morceau. Casino, par exemple, était à l’origine une composition instrumentale de notre batteur. Nous l’avons enregistrée mais l’avons trouvée trop acoustique, Martin y a ajouté des éléments électroniques, puis j’ai trouvé une mélodie vocale, le mélange de l’ensemble donnant un résultat final totalement différent de l’idée d’origine. Sauf que nous n’étions toujours pas satisfaits : nous avons donc tout jeté puis recommencé depuis le début, troquant l’électronique pour une guitare, parce que nous voulions garder l’âme de la chanson, que nous aimions tous. Ca donne une idée de la manière dont nous pouvons essayer de jongler avec nos idées et nos avis : l’expérimentation est quelque chose de central dans notre processus d’écriture des morceaux. On prend un morceau, on secoue ses éléments dans tous les sens, on retourne tout ce que l’on peut, on bidouille les arrangements mais l’idée de chanson doit rester primordiale. Quand on s’ennuie avec les seuls éléments pop, on essaie de les tordre un peu.
Ces efforts pour trouver le bon équilibre, la bonne formule, expliquent pourquoi il vous a fallu deux ans pour enregistrer Close to the Glass ?
C’est l’une des raisons, oui. Mais nous n’avons pas non plus travaillé en permanence sur le disque, il y a eu des pauses, notamment pour des projets parallèles ou des concerts. The Notwist est évidemment notre projet principal, mais il nous faut aussi tout simplement trouver de l’argent. Le temps passé sur un disque coûte quelque chose, et il faut faire tourner la machine… Nous avons aussi notre propre studio désormais, un endroit où nous pouvons répéter, avec une partie de notre matériel : ça nous coûte assez peu cher, mais ça nous permet de prendre notre temps pour tester les choses.
Tu me parlais d’influences non-musicales : quelles ont-elles été, ces dernières années ?
Je me suis beaucoup intéressé au travail de Wallace Berman, un artiste américain qui travaillait sur et l’assemble art, notamment dans les années 50 à Los Angeles, et qui a créé un magazine nommé Semina. Il transposait ses idées dans des collages, où des éléments provenant de sources très différentes étaient confrontées, et c’est une influence évidente pour la manière dont j’envisage la musique de The Notwist. C’est de cette manière qu’on a pensé l’album, dans son ensemble : nous ne voulions pas qu’une seule chanson donne le ton pour le reste des morceaux, mais qu’il soit divers, qu’il soit un assemblage d’atmosphères, de sons, de techniques, qu’il puisse changer d’un titre à l’autre, voire que les ruptures puissent opérer au sein même d’un morceau. C’est ce qui nous a pris le plus de temps : assembler toutes ces pièces, leur trouver un ordre, une cohérence d’ensemble, les coller, les décoller, les recoller d’une autre manière.
Le collage est musical, mais il y a aussi beaucoup d’émotions, d’atmosphères qui se croisent…
Oui, c’est en partie en réaction au précédent album, The Devil, Me + You, où beaucoup de chansons étaient dirigées par un thème qui nous marquait. Vers la fin de son enregistrement, nous avons traversé quelque chose de très dur, un ami proche est tombé malade, puis est il mort. Nous avons d’une certaine manière, concrète, été confrontés à notre propre mortalité, découvert que la vie était une chose fragile, que rien n’était acquis, définitif. On a aussi découvert qu’on marchait en permanence sur un chemin plein de cahots imprévisibles, que les accidents pouvaient survenir à n’importe quel moment, et c’est ce qui a également influencé Close to the Glass. J’ai voulu raconter des histoires, présenter des individus, qui avaient pour moi des origines déterminées mais diverses : un personnage secondaire d’un roman, une courte scène dans un film par exemple, des œuvres de différentes périodes, avec des atmosphères variables. On en revient au collage : comme l’univers sonore dans lequel elles se déroulent, les humeurs et les histoires peuvent effectivement également changer du tout au tout. Bien que je ne me risquerais pas à raconter des choses que je ne connais absolument pas, j’ai aussi voulu m’éloigner un peu de moi-même avec ces histoires. Imaginer me glisser dans le cerveau de quelqu’un au sein d’une histoire.
Pourquoi cette volonté de t’échapper de toi-même ?
C’était, je pense, un plaisir plus qu’autre chose. J’ai voulu, plutôt que de raconter de « grandes » choses, me fixer sur des détails, de plus petits éléments. Mais j’ai autant découvert sur moi-même de cette manière qu’en écrivant des textes sur la mort…
Entre The Devil, You + Me et Close to the Glass, vous avez enregistré la bande-son d’un film, Storm : en quoi cela a-t-il influencé Close to the Glass, notamment cette volonté de raconter des histoires ?
Pour Storm et pour les bandes originales de films en général, les choses sont très différentes de l’enregistrement d’un album : les histoires et les images préexistent à la musique, qui doit s’adapter en conséquence. Il nous a fallu apprendre à « réduire » notre musique.
Que peux-tu me dire du titre de l’album, Close to the Glass, « proche du verre » ?
Nous choisissons souvent le titre d’une des chansons pour en faire le titre de l’album, tout en essayant que ce titre fasse sens pour l’ensemble. J’aime le paradoxe que ce titre contient : au travers d’une vitre, on peut voir les choses en étant extrêmement proches d’elles, tout en conservant la plus grande des distances. Ca collait justement très bien avec cette idée de raconter des histoires : on observe le détail des événements sans faire soi-même partie du récit. C’est un peu comme être à l’intérieur d’une maison et d’avoir, de chaque fenêtre, un point de vue différent sur ce qui l’entoure.
Y a-t-il des disques qui vous ont particulièrement influencés, pour Close to the Glass ?
Nous écoutons tous beaucoup de choses, mais pour ma part j’ai redécouvert un disque que j’avais à l’époque beaucoup écouté, et qui n’est pas très éloigné, sur la forme, de ce que l’on essaie de faire : Fantasma, de Cornelius. Il y a la même idée d’intégration poussée de l’électronique et des guitares, la même esthétique de collage, de chansons évolutives. Il y a également eu Odelay de Beck ou Hello Nasty des Beastie Boys : des albums qui ont essayé de jouer avec les styles, les époques, les histoires, les ambiances, tout en restant dans un cadre plutôt pop. C’est une forme brisée de pop-music.
Si tu devais décrire Close to the Glass avec tes propres mots, comment le ferais-tu ?
J’espère que ceux qui l’écoutent se laisseront surprendre, mais que cette surprise n’est pas « construite », comme on construit, artificiellement ou mécaniquement, les émotions fortes d’un scénario hollywoodien. J’espère aussi que les gens écouteront l’album dans son entier, et non par bouts, ce qui est devenu la norme : c’est comme ça que nous l’avons conçu, nous pensons qu’il doit s’écouter du début à la fin, nous avons fait beaucoup d’efforts pour que les morceaux s’articulent les uns avec les autres. Nous n’avons pas pensé à ce disque comme une collection d’éléments, mais comme un tout.
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