Hommage de chèvres. Chez les rigoristes Mountain Goats, le folk s’avance en habits de fortune, mais garde quand même un pâle sourire aux lèvres. Sur la pochette sibylline de Nothing for juice, quatrième disque répertorié des Mountain Goats, on peut lire du Maurice Blanchot, du Suétone dans le texte, et puis ces quelques mots, péremptoires, […]
Hommage de chèvres. Chez les rigoristes Mountain Goats, le folk s’avance en habits de fortune, mais garde quand même un pâle sourire aux lèvres.
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Sur la pochette sibylline de Nothing for juice, quatrième disque répertorié des Mountain Goats, on peut lire du Maurice Blanchot, du Suétone dans le texte, et puis ces quelques mots, péremptoires, qui disent en résumé : « Toutes les chansons de cet album sont de nous, sauf celle qui a été écrite par Robert Johnson. Si vous ne voyez pas de laquelle il s’agit, nous ne pouvons plus rien pour vous. » Entre la pensée du vide, l’érudition austère et la repartie homicide, John Darnielle a depuis longtemps marqué les limites de son petit commerce. Une boutique rationnée, aux rayonnages clairsemés, à peine garnie d’un petit lot de chansons ébréchées, cabossées, usées par les kilomètres. On voyage beaucoup sur les disques confinés des Mountain Goats de Bogota à Reykjavik en passant par l’Alabama ou l’Ecosse , mais on ne change jamais d’air. Rare, l’air, mais substantiel, saturé d’oxygène. Avec les Mountain Goats, le folk se vêt de rien, d’une haire ou d’un cilice, et garde quand même un pâle sourire aux lèvres. On vient à Nothing for juice comme on part à la cueillette aux mûres. D’abord, il faut marcher longtemps, jeter un œil prudent sous les ronces où se terrent forcément quelques vipères, s’écorcher les doigts aux épines, prendre son mal en patience : au bout de la souffrance, un peu de sucre sur la langue et plein de taches rouges sur les mains. Même dans cent ans, quand la notion de lo-fi ne sera plus qu’un vieux fantasme mort-né de critique rock à la retraite, John Darnielle n’aura pas dévié d’un pouce dans sa démarche rigoriste. De toute façon, aucun studio digne de ce nom ne saurait supporter l’aridité de ce folk sobre comme un dromadaire, aucun micro ne pourrait capter sans se fendiller le son radical, presque insoutenable, de cette guitare sèche aux cordes gercées, au corps brisé, au cœur gonflé. Ni misérable ni miséreuse pas plus que ne l’étaient les sublimes incunables de la Carter Family ou des Monroe Brothers , la musique des Mountain Goats se vit d’abord comme une ascèse, comme un pauvre don de soi. Ici, on ne partage presque rien, une basse décharnée mais bonne comme le bon pain, une gorgée de violon, quelques éclairs d’électricité. Parce qu’elles n’ont plus rien à cacher, parce qu’elles ont déjà tout donné, parce qu’elles ne doivent rien à personne, les chansons purifiées de John Darnielle peuvent s’offrir le luxe rare de fixer l’auditeur droit dans les yeux, sans honte ni faux-semblants. Ceux qui ont déjà croisé ce regard intraitable ne s’en sont jamais vraiment remis.
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