Dernière étape au Trans : au bout de deux jours, on ne fait plus trop de distinction entre nuit et jour, sommeil et fatigue, soda et alcool, femmes et enfants, burgers et huîtres chaudes, « Trans Musical in Rennes » et « Trans Europe Express »…
Céline, ma comparse, qui tient la caméra contre ventes, marées et autres racailles locales, tchatche les videurs et (ne) répond (pas) aux coups de fils de son mec en pleine conférence de presse de De La Soul, n’arrête pas de gonfler. Le fantôme de ses dents de sagesse arrachées s’est logé tout au creux de sa joue et lui fait un mal de chien. Heureusement, pas de miroir dans les salles de concert. Du coup, elle croit sur parole mes mensonges honteux : « mais non tu ne gonfles pas« , « mais oui tu dégonfles« .
Ce qui nous permet tout de même de zigzaguer avec une énergie folle entre les différents concerts et de choper au passage une interview avec Beans, un des trois MC d’Anti-Pop Consortium, c’est-à-dire, en deux mots, l’avenir du hip-hop.
Le bonhomme, tout sourire, aimable et posé (quelqu’un a oublié de lui dire qu’il fait du hip-hop et qu’il devrait donc être forcément désagréable) nous parle de Can et Amon Duul et nous apprend que le prochain disque d’Anti-Pop verra le jour chez Warp, qui décidément récupère toutes les gourmandises du moment.
A propos de Warp et de ses dernières signatures, un ami attaché de presse, faussement marié à une amie attachée de presse, nous glisse dans la poche le prochain album de Tortoise. Cool. On écoutera ça à la maison, entre deux sommes réparateurs.
La veille, sous une tente, Bertrand Burgalat, tout comme Beans, avait évoqué les mystères du krautrock et en particulier ses souvenirs émus de Kraftwerk et Ash Ra Tempel. Pour donner forme à son propos, BB se fendra d’un concert psychédélique à souhait, plein d’effets psychotropes et d’excursions hallucinées : les petis gars d’Ash Ra Tempel ne l’auraient pas renié?
Les gaillards de Simian, non plus, qui offrent aux Trans leur première prestation scénique : un peu maladroits au début, ils s’en sortent plutôt bien et laissent augurer de belles choses pour l’avenir : leur pop turbulente et bizarroïde est droit héritée des folies en chambre de Syd Barrett. De toute manière, en interview, ces types-là parlent d’Autechre comme moi de ma grand-mère : ils ne peuvent être mauvais’ A suivre.
On est venu à Rennes pour les voir : Anti-Pop Consortium sur scène vers minuit, livre un show patraque et halluciné. Leurs machines ne fonctionnent pas. Pourtant, malgré les difficultés techniques et les mauvaises volontés, on reconnaît la même énergie et les mêmes brisures ascétiques que chez Suicide ou Kraftwerk. Anti-Pop réinvente un hip-hop décharné, à poil, quasi-punk, auto-destructeur et pleinement ludique. Au début du concert, ils entonnent un Trans Musical in Rennes sur le rythme du Trans Europe Express de Kraftwerk : Rennes, l’espace de deux secondes, devient une annexe magique de Düsseldorf et de Manhattan. On est content : on les aime.
Après Anti-Pop, on mate le hip-hop de Live Human : un DJ, un contre-bassiste, un batteur. Ces trois types, qui viennent de San Francisco, dégagent une énergie folle, qui métisse hip-hop, jazz et rythmiques quasi jungle. On reste estomaqués.
Au bar, tout le monde attend la prestation de MC Paul Barman, faux pseudo de Prince Paul. Fatigués, on va se coucher. Fin de la course.
Le lendemain, dans le train, Céline s’amuse à filmer mon imitation de De La Soul : fin de ma crédibilité?