Avec North Star Deserter, enregistré dans le repaire de Godspeed,
l’Américain Vic Chesnutt retrouve l’âpre splendeurde ses débuts.
Quand on scrute attentivement le décor musical américain, on se dit qu’au fond rien n’a vraiment changé depuis l’époque de la conquête de l’Ouest. Aux Etats-Unis, en 2007, il y a toujours d’un côté les aventuriers, qui redoublent d’imagination pour repousser les frontières de la chanson populaire – Sufjan Stevens étant le dernier de ces pionniers –, et de l’autre les colons sédentarisés qui, avec une détermination tout aussi louable, s’attachent à amender les terres déjà conquises. Au début des années 90, Vic Chesnutt a été l’un de ces héros de l’arrière : un homme de progrès enraciné dans le songwriting traditionnel, bien décidé à le retourner en tout sens, à le faire respirer autrement.
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D’une aveuglante limpidité, ses chansons sont pourtant assombries par les messages empreints de colère qu’elles contiennent. Garçon trop tendre né dans un monde trop dur (la campagne profonde de l’Etat de Géorgie), Chesnutt a passé sa jeunesse à curer ses angoisses en s’injectant des doses massives d’alcool. A l’âge de 18 ans, un soir de biture ordinaire, il s’est brisé le dos après avoir planté sa bagnole dans un fossé. Pour beaucoup, Chesnutt, à ses débuts, n’est donc pas un musicien comme les autres : enfoncé dans un fauteuil roulant, il est d’abord ce type frêle et démoli qui règle ses comptes avec son pays natal. Ses premiers disques (Little, West of Rome et Drunk) montrent pourtant un songwriter scrupuleux, qui ne sacrifie jamais la forme au fond. Sous le sculpteur sur bois plutôt rustique, qui s’écorche la voix sur des mélodies pleines d’échardes, se cache un ébéniste consciencieux, polissant ses chansons avec davantage d’amour que de hargne, qui s’exprime pleinement dans Is The Actor Happy (1995), About to Choke (1996) puis The Salesman and Bernadette (1998). Chesnutt disqualifie alors tous les commentateurs qui le rangeaient parmi les freaks du folk américain : il devient un véritable classique.
Ses œuvres suivantes souffrent hélas d’un éparpillement sonore pas toujours maîtrisé : l’Américain semble alors s’épuiser à chercher un second souffle. Il le trouve aujourd’hui, avec un album dont l’âpre splendeur ranime le lyrisme crépitant de ses meilleurs disques, tout en le portant vers des crêtes d’intensité qu’il n’avait jamais atteintes. Ce regain de forme et de force, particulièrement marquant sur le plan vocal, n’est qu’à moitié surprenant. Chesnutt a en effet eu la riche idée d’enregistrer North Star Deserter à Montréal, en compagnie de membres de Godspeed, A Silver Mt. Zion et Hanged Up : soit la crème des pensionnaires du label Constellation, dont les musiques incendiaires ont fait trembler le monde du rock sur ses bases. Du poignant dépouillement de Warm aux déferlements de violence de Debriefing, les Canadiens étalent toute la gamme de leurs coups : cordes effleurées qui rehaussent certaines mélodies d’un trait d’ombre (Rustic City Fathers), guitares électriques, tapies à l’arrière-plan, qui sonnent soudainement la charge (Everything I Say), chœurs mixtes qui viennent accentuer la fièvre d’un refrain (Glossolalia)… Le tout participe à l’avènement d’une beauté détonante, qui résonne comme une formidable arme de combat contre la froide laideur de ce temps.
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