Après des années en survie artificielle, Noir Désir vient d’annoncer sa séparation. Une fin à l’image de la carrière unique de ce groupe propulsé par le chaos et l’urgence. Récit.
La force de Noir Désir venait de son unité sans failles : une muraille qui de barricades. Cette autarcie seule autorisait une intransigeance de tous les instants, jusqu’à la parano. “Soyons désinvoltes, n’ayons l’air de rien”, chantait Cantat. A la première personne du pluriel, la phrase résumait parfaitement cet esprit de corps : Noir Désir contre le reste du monde. La plupart du temps, on n’interviewait d’ailleurs pas Bertrand Cantat, on rencontrait Noir Désir. Rarement, le chanteur se laissait aller au “je” de la confidence. Ça nous était pourtant arrivé une fois, dans les Landes en 1996, pour un entretien d’une intimité alors rare et précieuse.
Il disait : “Les gens qui vivent avec moi savent que je suis au fond, malheureusement, égoïste. C’est un côté dégueulasse. Même les autres membres de Noir Désir ignorent cette facette.” Ignoraient ou faisaient semblant d’ignorer ? Le départ brutal et les mots très durs de Serge Teyssot-Gay semblent entériner l’idée d’une faillite du dialogue chez ces copains d’adolescence, de l’échec de cette utopie démocratique, où tout se dirait, tout se discuterait. Ce communiqué ressemble plutôt à un abcès qui se crève après des années d’infections, de silences de plus en plus lourds à porter.
“Chaque disque est un processus au terme duquel mentalement, physiquement, nous ne pouvons plus nous supporter”, disaient les quatre membres de Noir Désir d’une seule voix. Cette fois-ci, le groupe aura donc éclaté avant même l’achèvement. Seuls les murs du studio où il répétait connaissent les raisons réelles du crash, la gravité ultime des propos et du conflit qui a opposé Serge et Bertrand.
Même Denis et Jean-Paul qui ont tenu à bout de bras l’équilibre et l’unité du groupe quand le ciel tournait au violet, n’ont pas pu contenir cet ultime orage. Interrogé, Serge Teyssot-Gay répond laconiquement : “Je ne souhaite pas parler dans l’immédiat. Les explications spécieuses de certains ou un déballage public me semblent indignes à tout point de vue. En attendant que le temps fasse son travail de cicatrisation.” Un jour… Peut-être.